mercredi 16 mai 2018


Marty Laforest
États d’âme, états de langue : essai sur le français parlé au Québec, édition revue et augmentée
Montréal, Alias, coll. « Classique », 2018, 116 p., 12,95 $.

Se débarrasser des idées reçues

Qu’un essai paru en 1997, puis en 2007, soit à nouveau dans l’actualité littéraire est rare et suscite la curiosité, sinon l’intérêt. C’est le cas d’États d’âme, états de langue : essai sur le français parlé au Québec, une étude de Marty Laforest, sociolinguiste et analyste du discours.




« Conçu au départ comme une réponse à un énième ouvrage portant sur le délabrement de la langue d’ici – le livre Anna braillé ène shot [Lanctôt, 1997] de Georges Dor –, il devait également constituer, dans mon esprit, une sorte de petite introduction à la linguistique. » Louis Cornellier le souligne en préface : ce livre est « un trésor pédagogique et un modèle de vulgarisation scientifique. […] il s’agit, sans aucun doute, de l’essai sur la langue le plus vif et le plus éclairant publié au Québec. »
Retenons d’abord que l’histoire de la langue française est jalonnée d’embûches. Ainsi, un « grand nombre des immigrants français venus s’établir en Nouvelle-France au XVIe siècle avaient une langue maternelle autre que le français ». Puis, à « l’époque de la Conquête, l’unification linguistique de la Nouvelle-France en faveur du français était chose faite », alors qu’il faut attendre au début du XXe siècle pour qu’il en soit ainsi en France. L’effet de la Conquête sur la langue est marqué par l’absence de relations avec la France et l’évolution du français durant ces années-là.
Ne perdons pas de vue la différence entre langue parlée et langue écrite, et tous les préjugés que cette distinction entretient. Que dire des variétés de la langue française qui font qu’il n’existe pas UN français parlé, mais autant qu’il y a de territoires où elle est la langue nationale? C’est la structure de ces français qui est la base du « français standard commun », utilisé par toutes les communautés francophones.
Il en va tout autrement pour le lexique, l’élément le plus mobile. Si l’Académie française a reçu, en 1635, le mandat de « normaliser et perfectionner la langue française », les lexicographes n’attendent pas ses prescriptions pour ajouter ou enlever des mots de leurs ouvrages. L’Office québécois de la langue française (OQLF) fait d’ailleurs des envieux partout en francophonie pour la rigueur et l’efficacité de son travail lexicographique.
Il est courant de faire état des niveaux de langue selon les situations de communication. Un médecin tient, par exemple, un discours différent avec un patient ou une collègue. Je n’écris pas avec la même familiarité à un ami et à un employeur. Les « sociolinguistes utilisent le terme variété plutôt que niveau, le premier évoquant l’idée de modulation, de choix et d’alternance. La variété standard (ou langue standard) est la langue qu’on écrit en se conformant aux prescriptions des grammaires et celle que l’on parle "sous surveillance", reconnue par l’ensemble de la communauté comme proche de la langue écrite et adéquate dans les situations plus formelles. »
Qu’en est-il de l’accent? Tous les individus ont un accent plus ou moins marqué selon leur origine; le masquer est une façon de simplifier la communication. Quant à la question du « vous » et du « tu », elle fait l’objet d’un chapitre rappelant que, contrairement à la croyance populaire, le « you » de la langue anglaise a la double signification et que son utilisation dépend des rapports entre interlocuteurs.
Marty Laforest conclut qu’« un grand nombre de croyances sur la langue continuent de circuler, qui alimentent les préjugés et nous font tourner en rond autour de nos certitudes. Pour savoir où va le français québécois, il faut d’abord chercher à savoir d’où il vient et de quoi il est fait exactement. » Bref, « si l’on veut entreprendre une réflexion fructueuse, il est toujours pertinent de se débarrasser des idées reçues. »

Aucun commentaire:

Publier un commentaire