Marty Laforest
États d’âme, états de
langue : essai sur le français parlé au Québec, édition revue et
augmentée
Montréal, Alias, coll. « Classique », 2018, 116
p., 12,95 $.
Se débarrasser des
idées reçues
Qu’un essai paru en 1997, puis en
2007, soit à nouveau dans l’actualité littéraire est rare et suscite la
curiosité, sinon l’intérêt. C’est le cas d’États
d’âme, états de langue : essai sur le français parlé au Québec, une étude
de Marty Laforest, sociolinguiste et analyste du discours.
« Conçu au départ comme une
réponse à un énième ouvrage portant sur le délabrement de la langue d’ici – le
livre Anna braillé ène shot [Lanctôt,
1997] de Georges Dor –, il devait également constituer, dans mon esprit, une
sorte de petite introduction à la linguistique. » Louis Cornellier le
souligne en préface : ce livre est « un trésor pédagogique et un
modèle de vulgarisation scientifique. […] il s’agit, sans aucun doute, de
l’essai sur la langue le plus vif et le plus éclairant publié au Québec. »
Retenons d’abord que l’histoire
de la langue française est jalonnée d’embûches. Ainsi, un « grand nombre
des immigrants français venus s’établir en Nouvelle-France au XVIe siècle
avaient une langue maternelle autre que le français ». Puis, à « l’époque
de la Conquête, l’unification linguistique de la Nouvelle-France en faveur du
français était chose faite », alors qu’il faut attendre au début du XXe
siècle pour qu’il en soit ainsi en France. L’effet de la Conquête sur la langue
est marqué par l’absence de relations avec la France et l’évolution du français
durant ces années-là.
Ne perdons pas de vue la
différence entre langue parlée et langue écrite, et tous les préjugés que cette
distinction entretient. Que dire des variétés de la langue française qui font
qu’il n’existe pas UN français parlé, mais autant qu’il y a de territoires où
elle est la langue nationale? C’est la structure de ces français qui est la
base du « français standard commun », utilisé par toutes les
communautés francophones.
Il en va tout autrement pour le
lexique, l’élément le plus mobile. Si l’Académie française a reçu, en 1635, le
mandat de « normaliser et perfectionner la langue française », les
lexicographes n’attendent pas ses prescriptions pour ajouter ou enlever des
mots de leurs ouvrages. L’Office québécois de la langue française (OQLF) fait
d’ailleurs des envieux partout en francophonie pour la rigueur et l’efficacité
de son travail lexicographique.
Il est courant de faire état des
niveaux de langue selon les situations de communication. Un médecin tient, par
exemple, un discours différent avec un patient ou une collègue. Je n’écris pas
avec la même familiarité à un ami et à un employeur. Les « sociolinguistes
utilisent le terme variété plutôt que niveau, le premier évoquant l’idée de
modulation, de choix et d’alternance. La variété standard (ou langue standard)
est la langue qu’on écrit en se conformant aux prescriptions des grammaires et
celle que l’on parle "sous surveillance", reconnue par l’ensemble de
la communauté comme proche de la langue écrite et adéquate dans les situations
plus formelles. »
Qu’en est-il de l’accent? Tous
les individus ont un accent plus ou moins marqué selon leur origine; le masquer
est une façon de simplifier la communication. Quant à la question du « vous »
et du « tu », elle fait l’objet d’un chapitre rappelant que,
contrairement à la croyance populaire, le « you » de la langue
anglaise a la double signification et que son utilisation dépend des rapports
entre interlocuteurs.
Marty Laforest conclut qu’« un
grand nombre de croyances sur la langue continuent de circuler, qui alimentent
les préjugés et nous font tourner en rond autour de nos certitudes. Pour savoir
où va le français québécois, il faut d’abord chercher à savoir d’où il vient et
de quoi il est fait exactement. » Bref, « si l’on veut entreprendre
une réflexion fructueuse, il est toujours pertinent de se débarrasser des idées
reçues. »
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