Louis-Philippe Hébert
Le spectacle de la
mort
Montréal, Lévesque, coll. « Réverbération», 2018, 126
p., 23 $.
L’écrivain hologramme
Un colis-poste dans lequel on a
glissé un livre de Louis-Philippe Hébert est toujours piégé. En l’ouvrant, le
destinataire sera téléporté dans un univers dont la fulgurance des images le
rendra tout autre que ce qu’il croit être. Je le sais d’expérience, car j’ai reçu
des dizaines de ces envois qui m’explosent au visage dès que je tourne les
premières pages du livre.
S’habitue-t-on à de tels
bouleversements, tout littéraires qu’ils soient? Non, mais on ne saurait se
passer de la décharge d’adrénaline que provoque un tel éclat. Quel plaisir des
sens allait m’apporter son nouvel opus Le
spectacle de la mort?
Surprise, étonnement et tout le
touintouin de constater que l’écrivain a choisi un genre vieux comme le monde,
le roman épistolaire. Les plus anciens ouvrages ayant emprunté cette forme « date
de l’Antiquité gréco-latine » et son « apogée [fut] à la fin du
siècle des Lumières, autour de 1780 ». Le choc absorbé, j’ai constaté en
feuilletant le livre que l’auteur nous confiait une suite de courriels envoyés,
du 29 février au 14 mars 2016, à D. G., un ami écrivain, alors que le narrateur
est à Albi, en Roumanie, pour y prononcer une conférence.
L’auteur des correspondances se
nomme Louis-Philippe Hébert, le double de l’écrivain est ainsi narrateur et
maître du jeu. Autofiction? Univers imaginaire? Qu’importe, car chercher à
démêler cet écheveau est inutile à la compréhension de l’histoire.
Celle-ci se déroule en vase
presque clos, le correspondant est pour ainsi dire reclus dans une chambre
d’hôtel où ses hôtes l’ont installé. Cet enfermement est prétexte à un huis
clos avec lui-même et avec des personnages de son passé qu’il voit apparaître
tels des hologrammes à leur image. Il y a sa mère, son père, son ami Émile
Lazare dit ‘Mille l’apiculteur, Emil Cioran l’écrivain roumain, et Ariane une
amoureuse d’autrefois impossible d’oublier.
Ces gens vont et viennent dans
son esprit, illustrant cette phrase mise en exergue du roman : « Le
passé s’ajoute. Le futur se soustrait. » Nous comprenons ainsi que le
narrateur et correspondant est un écrivain vieillissant qui, à travers les
pages de ses propres œuvres, se souvient d’événements relatifs au temps, aux
lieux et aux gens qui l’interpellent, ce qu’il raconte au destinataire de ses
courriels qui ne lui répondra jamais.
Plus le récit avance, plus tout
s’embarbouille autour du narrateur dès qu’il quitte sa chambre. Il y a la
barrière linguistique qui lui semblait franchissable grâce à sa connaissance du
latin et du grec ancien, mais qui s’avère plus difficile. Si bien que, devant l’auditoire
de la conférence, il peinera à comprendre la version roumaine de son exposé,
comme s’il était prisonnier de son propre texte.
Ce n’est pas tout. À l’hôtel, le
personnel, si courtois les premiers jours, est de moins en moins amène. Même la
femme de ménage ne comprend pas qu’il veut qu’elle fasse le lit, l’époussetage
et lui apporte des serviettes propres. Cela sans parler de la salle à manger et
de l’espace réservé au petit déjeuner où la présence de tant de gens l’accable,
car trop de visages évoquent des souvenirs, agréables ou non.
L.-P. croit être « devenu
trop encombrant. Je vois trop de choses. Je soupçonne trop bien ce qui se passe
ici. » Et d’ajouter : « Je n’ai jamais été si conscient. Jamais
eu la conscience si aiguisée. Jamais été aussi attentif au monde qui m’entoure. »
C’est là qu’il comprend qu’« un enfant torturé traînera toute sa vie son
gouffre. Il tentera de la combler. Moi, par mes écrits. D’autres, par des
lectures… »
Il pousse plus loin la
compréhension de ce karma en écrivant la veille de son départ d’Albi : « Mon
cher ami, vous aviez sans doute compris depuis longtemps que tout écrivain
véritable est le fruit d’une meurtrissure, et que son œuvre entière en comporte
la référence méthodique – voilà l’explication! il écrit selon une méthode
pleine de détours et de circonvolutions qui tempèrent ses aveux, qui retardent
sa confession, et qui se jouent dans un temps au ralenti. »
Le genre épistolaire s’est
toujours inspiré de la réalité et de l’imagination des auteurs. Le spectacle de la mort puise-t-il dans
la réalité et la fiction de L.-P. Hébert? Qui sait? Chose certaine, c’est que
l’écrivain a séjourné en Roumanie à l’époque où il situe le roman et que les
références qu’il fait aux lieux et aux personnages croisés sont vraisemblables.
Ce décor et toutes les sensations physiques ressenties nourrissent
l’enfermement dans lequel s’est terré l’auteur des courriels lui ont permis
d’enfin comprendre d’où lui vient cette irrépressible passion d’écrire.
Louis-Philippe Hébert n’a jamais été aussi
transparent, selon une expression à la mode, en s’identifiant au narrateur du
récit et en lui faisant porter le poids de ses gestes et de ses réflexions.
Roman épistolaire, mais aussi histoire intimiste qui jette un éclairage
original sur ce qui motive le besoin, l’urgence d’écrire.
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