Heather O’Neill
La vie rêvée des
grille-pain, traduction de l’anglais par Dominique Fortier
Québec, Alto, 2017, 400 p., 27,95 $.
Les grands peuvent
aussi rêver
Moniteur dans un camp de jour,
j’amenais quotidiennement les enfants aux pays des contes. Aujourd’hui, les
univers que propose l’écrivaine anglo-montréalaise Heather O’Neill dans La vie rêvée des grille-pain me
rappellent cette époque.
Ce recueil, composé de vingt
nouvelles dont les trames et personnages ont été imaginés par l’écrivaine, a aussi
un peu du souffle que la traductrice Dominique Fortier leur a donné, car
elle-même est une écrivaine aux histoires remarquables.
En refermant le livre, j’ai eu
l’impression d’avoir visité un vaste bâtiment circulaire au centre duquel on
aurait installé de petites scènes, une pour chacun des récits, où des acteurs, dont
toujours au moins un enfant, jouaient des comédies ou des drames, des plus
triviaux aux plus exceptionnels.
« L’ours et le Tzigane »
donne le ton, faisant passer le jeu d’un enfant qui raconte, à ses soldats de
plomb, « l’histoire d’un Tzigane grand et menaçant… [qui] avait un ours savant
et jouait du violon ». Laissé pour compte, le romanichel amène son
compagnon poilu dans une ville où ce duo improbable peut s’offrir en spectacle.
Hélas, les choses ne se passent pas comme prévu, la rencontre d’une orpheline musicienne
s’interposant entre eux. Le Tzigane réalise alors qu’il aurait dû être fidèle à
son ami l’ours, car ce dernier « était tout ce qui avait de bon et de
bien, et [qu’il] le suivrait, que ça lui plaise ou non, partout où il irait. »
Le musicien et l’ours de cette
fable, car il y a bien une morale à l’histoire qui est de distinguer l’être et le
paraître, font partie d’un univers tangible auquel on aime croire, Heather
O’Neill leur ayant donné assez de vraisemblance pour y adhérer.
Il en va de même pour « Histoire
de la Petite O (Portrait du marquis de Sade en jeune fille) » où se
côtoient réalité et imaginaire. Petite O a onze ans et elle est laissée à
elle-même, à l’école et dans les rues de son quartier. Elle impose sa loi à ses
amis avec qui elle partage une minuscule jungle urbaine où sexe et mensonge
sont des habitudes plus que des attitudes.
La nouvelliste a construit cette
histoire par petites touches, allant de quelques lignes à une ou deux pages,
selon ce que son héroïne pense, dit ou fait. Cette mosaïque constitue une
fresque, assez truculente d’ailleurs, de la vie d’une enfant qui « n’avait
pas l’impression que quelque chose clochait chez elle » et, qu’en fin de
compte, elle était peut-être « une petite fille parfaitement ordinaire. »
L’histoire des jumeaux, racontée
dans « Les bouteilles à la mer », illustre avec ironie que ce n’est
pas l’adulation des autres et l’aisance financière qui rendent heureux. Seuls survivants
d’un naufrage grâce au violoncelle de leur mère transformé en radeau de fortune,
les enfants ont appris à survivre et à se créer un univers sur l’île où ils ont
échoué. De là, ils envoient des messages à la mer. Longtemps après, ils sont
secourus et ils apprennent que leurs messages d’espoir ont été si bien reçus
qu’on les a publiés. Le frère et la sœur sont devenus célèbres, on veut les
voir et les entendre partout. Petit à petit, leur popularité les éloigne du
mieux-être que leur solitude leur a enseigné. Tant et si bien qu’ils disparaissent
à nouveau et relancent des bouteilles à la mer.
La trame et le tissu littéraire de
chacune des vingt nouvelles de La vie
rêvée des grille-pain méritent autant d’attention que le plaisir qu’elles
nous offrent. Comme l’a écrit le journaliste littéraire du Devoir, Fabien Déglise, Heather O’Neill est un secret bien gardé de
la littérature anglo-montréalaise. Un talent et une pratique de la littérature auquel
s’ajoute ici le travail de la traductrice Dominique Fortier, elle-même virtuose
de la littérature québécoise.
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