mercredi 7 mars 2018

Leonard Cohen
Étrange musique étrangère
Montréal, Ville-Marie littérature, coll. « Typo », 2018, 304 p., 17,95 $.

La pérennité des mots, rien que des mots

Leonard Cohen est entré dans ma vie à la fin des années 1960, alors que j’étudiais à McGill. Mes camarades écoutaient en boucle ses chansons, certains lisaient aussi sa poésie ou ses romans publiés depuis 1956. C’est avec Selected Poems, 1956-1968, recueil acheté à la librairie Classic Bookstore, sise en face de l’université, que j’ai vraiment découvert, puis apprécié son univers, vaste et polyvalent.
Juif, montréalais, anglophone et francophile, esprit universel, Cohen devançait déjà le communautarisme des siens, sans le renier. Ainsi, je crois que, très tôt dans sa vie publique, Leonard Cohen s’est montré un homme libre comme on en rencontre peu.




À cette époque, j’ai choisi de lire sa poésie, ses histoires et ses chansons en langue anglaise. Certes, j’ai eu entre les mains des traductions venues de France, mais l’absence de l’état d’esprit purement montréalais et celui de la diaspora juive qui le caractérisaient me consternait. Comme si le rêve états-unien de la France d’après-guerre brouillait le sens de ses vers ou de ses proses et en détournait la compréhension.
Décédé le 7 novembre 2016 à Los Angeles où il habitait, on n’a pas cessé depuis de lui rendre hommage après hommage. Qui saurait oublier le spectacle Tower of Song? Pour l’occasion, son fils Adam a réuni une pléthore de grands musiciens et interprètes au Centre Bell pour la soirée du 5 novembre 2017, puis télédiffusé sur les ondes de la SRC en janvier dernier.
À ce jour, la plus belle reconnaissance que le Québec a pu rendre à Leonard Cohen est la réédition, en format de poche, d’Étrange musique étrangère. Paru chez McClelland & Stewart, à Toronto en 1993 sous le titre de Stranger Music : Selected Poems and Songs, l’ouvrage était, en quelque sorte, une anthologie des recueils qu’il avait alors publiés.
La légende veut que Cohen ne fût pas tout à fait satisfait des traductions qui avaient été faites de ses textes. Il demanda alors à son vieil ami, Michel Garneau, de refaire le travail au grand complet. L’auteur-compositeur-interprète connaissait non seulement Garneau, mais l’œuvre littéraire de ce dernier, tant sa poésie que son théâtre. Quand on voit les photos des deux camarades en couverture de Poèmes du traducteur (l’Hexagone, 2008), leurs regards moqueurs illustrent bien la complicité qui les anime.
En quatrième de couverture de l’édition québécoise originale d’Étrange musique étrangère, parue en 2000, Garneau explique, sous forme d’un poème, ce qui l’a amené à faire cette traduction :
vous avez sûrement remarqué
que les traducteurs s’excusent
et se justifient et même se traitent
élégamment de traître
alors j’affirme tout de suite
que j’ai fait de mon mieux
j’ai traduit Leonard
parce qu’il me l’a demandé
c’est un honneur
et ce fut un plaisir
un plaisir sévère? austère?
comme est la traduction
je traduis pour étudier
j’étudie pour apprendre
à vivre en pur plaisir fugace les épiphanies
les purs moments d’être dans le dire
qu’on trouve plus souvent dans les poèmes
qu’ailleurs dans le littéraire
et peut-être même dans l’existence
Lorsque cette nouvelle édition en format de poche m’est parvenue, j’ai pris plaisir à effectuer une recherche semblable à un jeu de chasse au trésor pour retrouver les premiers poèmes de Cohen qui avaient ému l’étudiant que j’étais. Cela m’a permis de faire encore de belles découvertes, mais aussi de retrouver le fil conducteur de l’écriture de l’auteur qui ne s’est jamais brisé et qui a alimenté ma confiance en la poésie, cet incontournable genre littéraire essentiel par-dessus tout.
Comme pour résumer l’entièreté d’Étrange musique étrangère, je retiens les vers de « The reason I write », car je crois qu’ils illustrent parfaitement l’idée qu’il n’est pas nécessaire qu’un poème soit un feu d’artifice littéraire pour être pérenne, mais qu’il soit doté d’une puissance d’évocation telle qu’il ouvre tous les accès de la réalité comme de l’imaginaire. Ici, c’est l’amour, thème globalisant de Cohen, qui tisse le firmament de tous les possibles.

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