mercredi 31 janvier 2018


Gilles Archambault
À peine un petit air de jazz
Montréal, Boréal, 2017, 120 p., 18,95 $.

Une petite cantate

Je me suis souvenu d’un titre assassin dont j’ai coiffé la critique d’un roman de Jean-Marie Poupart, « Le champion des fonds de tiroir ». C’était en octobre 1980 et je m’en veux toujours de cette maladresse. Pourtant, c’est ce titre qui m’est revenu en m’arrêtant à chacune des trente-quatre nouvelles d’À peine un petit air de jazz, le dernier Gilles Archambault. Mais, ces mots signifiaient maintenant autre chose, comme si ces proses brèves avaient mérité d’attendre entre les pages de carnets ou sur des fiches soigneusement classées avant de venir squatter l’imaginaire des lecteurs.
Puis, pour me rebiffer contre ce titre incongru, j’ai cru entendre Barbara interpréter « Une petite cantate » et cela va ainsi : «Une petite cantate / Du bout des doigts / Obsédante et maladroite / Monte vers toi / Une petite cantate / Comme nous jouions autrefois / Seule, je la joue, maladroite / Si, mi, la, ré, sol, do, fa ». Cette poésie convenait mieux pour intituler cette chronique, car, même si les récits de G. Archambault font référence au jazz qu’il aime tant, la musique qu’ils m’inspirent est plutôt du côté de cette mélodie, ces proses brèves distillant un bouquet de sentiments bruts, de ceux qui nous bouleversent.




Seize de ces récits font à peine une page, comme si l’octogénaire, iconoclaste à ses heures, faisait un pied de nez littéraire à l’égoportrait à la mode en illustrant que tout peut être dit en un tour d’esprit. Prenons la chute de « Père recherché » où une jeune femme confie au narrateur l’anamour qu’elle éprouve pour son père, cet aveu que le confident reçoit comme le blâme de son propre fils.
Encore plus cruels les mots d’« Un verre de vin » qu’un narrateur commande peu après avoir appris « qu’il mourra avant la fin de l’année ». Il avait sans cesse repoussé cette « horrible éventualité » au temps de sa jeunesse, alors que maintenant cette inéluctable fatalité le rattrape par un bel après-midi de juillet où les femmes le croisent « sans lui prêter la moindre attention ».
Onze des textes exigent d’être racontés en quatre pages pour cause de dialogues ou d’une pensée dont un simple flash ne peut saisir ou exprimer toute la subtilité, toutes les nuances en demi-teintes. Dans « La performance », par exemple, un sexagénaire avoue n’avoir jamais eu la fibre paternelle et être inquiet de la grossesse que Julie, sa fille unique, tout en émoi, venait de lui annoncer. Pour lui, faire l’amour n’apportait qu'un « sentiment d’épanouissement à nul autre pareil » et la « perpétuation de l’espèce, on y pense pas dans ces moments-là ». Au point où il vit sa paternité « avec la certitude d’avoir commis une faute irrémédiable. »
Parmi les textes un peu plus longs, il y a « Mais quel âge as-tu? » et le texte éponyme, « À peine un petit air de jazz ». Ce n’est pas tant leurs pages supplémentaires qui ont retenu mon attention, mais bien les propos que l’écrivain y a développés et la façon dont il les a étayés.
La question de l’âge est présente partout dans le recueil, mais la tournure que l’écrivain lui donne dans cette nouvelle qui se termine par le titre — « Mais quel âge as-tu? » —, Claudine interrogeant Louis, cet ami qu’elle retrouve à Rimouski par hasard. Il n’a que 50 ans, mais son manque d’estime de soi et de prospective d’avenir donne à croire qu’il est au bout de sa vie. Mais, n’a-t-il pas toujours été ballotté par les circonstances?
Puis, même si la nouvelle éponyme peut sembler annoncer une certaine joie, il n’en est rien et toute l’histoire qu’elle raconte est celle d’un mal-être inguérissable par la complaisance qu’y met le narrateur à jouer à la victime. Belle leçon à ne pas suivre!
Gilles Archambault est toujours fidèle au mal de vivre que sa prose affectionne, jouant sans arrêt un lancinant air de jazz.

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