Roger Des Roches
Faire crier les nuages
Montréal, Les Herbes rouges, coll. « Poésie »,
2017, 196 p., 18,95 $ (papier), 13,99 $ (numérique).
« Éloge au chaos »
Après une longue séquence de
lectures de proses narratives, je m’éloigne de tous ces univers fictifs pour
revenir à l’essentiel de la littérature, le poème. J’amortis la chute du haut des
nuages des pays inventés sur la terre grasse et riche des mots qui éclatent en
bulles, évoquant dans l’esprit du lecteur des images à ne plus savoir qu’en
faire, en empruntant les routes d’un essai comme ces entretiens sur la création
de Jean Royer recensés l’autre jour.
J’entreprends ainsi l’an nouveau
avec, pour compagnon de route, Faire
crier les nuages, le 39e livre que publie Roger Des Roches
depuis Corps accessoires paru au Jour
en 1970, cet éditeur de tous les possibles, pollinisateur d’une vaste ruche
dont tant d’abeilles tournoient et bourdonnent toujours au sommet de la
littérature québécoise, même 50 ans passés.
Oui, Roger Des Roches est de cet
essaim où il est resté le temps de deux ouvrages avant de passer chez celui des
frères François et Marcel Hébert, à l’enseigne de la revue Les Herbes rouges, dont les 202 numéros sont désormais disponibles
sur le site la BAnQ, d’érudit, devenue maison d’édition en 1978. Fidèle à cet
éditeur depuis, il a publié grosso modo un recueil de poésie par année, sauf
une intermission d’une dizaine d’années où il a plongé, avec succès, là où on
ne l’attendait pas, dans l’univers de la littérature jeunesse.
J’avoue candidement que j’ai
suivi à distance sa production, n’étant pas à l’aise de recenser une poésie aux
formes « dictées par la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par
la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale », une
poésie inspirée du surréalisme d’André Breton. La critique d’ici a d’ailleurs
souvent écrit que l’œuvre de R. Des Roches était une « recherche formelle,
traitement des mots comme pures sonorités, éclatement sémantique, confusion du
discours, abolition des conventions… »
Chose certaine, son œuvre
poétique s’est transformée et le formalisme d’autrefois n’a plus les aspérités
rébarbatives d’alors aux yeux des modestes lecteurs de poésie. Avec Faire crier les nuages, un énorme
recueil de 172 poèmes en vers et en proses poétiques, je constate que si
l’urgence et la spontanéité de dire sont toujours présents, une certaine
sérénité se dégage de l’ensemble.
Ne cherchez pas de sens formels
ou même alchimiques aux vers ou même aux poèmes. Il vaut mieux vous laisser porter
par les images en faisant bondir votre regard, attentif, des unes aux autres
comme si une vaste féérie vous émerveillait. Surtout, ne tentez pas de
comprendre l’intention du poète, laissez plutôt votre esprit créer son propre
chemin vers un panorama intérieur de sensations, puis, petit à petit, de
sentiments bons ou mauvais. Comme l’écrit Gérald Gaudet en entrevue avec Des
Roches : « Toi, tu construis; moi, je suis un lecteur. Je suis amené
à créer mes propres liens, à bâtir ma propre histoire, à composer mon livre en
fait. »
C’est bien de parler de cette poésie,
mais vaut mieux que je vous propose un passage qui, à mon avis, illustre la
proposition de l’auteur : « Neige capitale, l’œil moisi, ce petit agenouillé,
le petit en communion, dos droit, ventre qui devine contours et avenir. Un
jour, territoires toujours flous, il fera le fiévreux, la musique sera l’orage,
la correction, la soupe. Il hallucinera, les remords troués, les jambes fumées
à l’idée d’habiter à jamais cette caverne aux bêtes exigeantes. » (p. 61)
Puis, ce qui semble être le titre
des poèmes n’est pas toujours en lien avec les mots qu’il surplombe. Cependant,
si on s’amuse à lire ces intitulés à la queue leu leu, on a raison de constater
qu’ils sont eux aussi un poème, un long poème qui embrasse tous les thèmes.
Quelle agréable façon que d’avoir
débuté l’année 2018 en rafraîchissant son imaginaire à l’aune de la poésie de
Roger Des Roches!
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