Jean Royer
Femmes et littérature.
Entretiens sur la création
Montréal, Bibliothèque québécoises, 2017, 232 p.,
14,95 $.
Dans l’univers
créateur des écrivaines
J’ai convié mon ami, l’écrivain
Jean Royer, à ma table de lecture pour terminer l’année 2017. Il nous propose ce
que la littérature offre de plus introspectif, soit la réflexion d’auteures sur
leur art, à travers les pages de Femmes
et littérature. Entretiens sur la création. L’ouvrage donne à lire un choix
de rencontres qu’il a faites avec des écrivaines d’ici et d’ailleurs de 1978 à
1995, la plupart parues dans Le Devoir
et dans cinq volumes parus à l’Hexagone, auxquelles s’ajoutent quelques
inédits.
Un mot sur ce passeur dont le
travail m’inspire et me sert de modèle. Poète
et écrivain Jean Royer a publié à ce jour une quarantaine d’ouvrages: des récits
— dont les récits autobiographiques Les
trois mains —, des essais — dont
l’incontournable Introduction à la
poésie québécoise et Gaston Miron sur parole. Un portrait et sept
entretiens—– et une vingtaine de recueils
de poésie. Il a aussi fait paraître des anthologies, dont Le Québec en poésie (Gallimard). Il a fondé la revue de poésie Estuaire en 1976. Il a dirigé les pages culturelles du Devoir, où
il a aussi été critique littéraire, avant de prendre en charge les Éditions de
l’Hexagone. Il a présidé la Rencontre québécoise internationale des écrivains de
1997 à 2005. Nommé membre de l’Ordre des francophones d’Amérique en 1998, il a
aussi reçu le prix Claude-Sernet en France, le prix Alain-Grandbois au Québec et
le prix Athanase-David en 2014, entre
autres distinctions. Il est membre de l’Académie des lettres du Québec.
Revenons à Femmes et littérature, un très bon exemple de journalisme
littéraire éclairé. Il faut dire que l’entretien tient plus de la conversation
que de l’entrevue ponctuelle, ce qui nous permet de partager l’intimité
intellectuelle des protagonistes, de la connaissance de l’œuvre de l’essayiste aux
réflexions de chacune des 30 invitées sur la création littéraire. Tirés d’un
vaste corpus, ces rencontres se sont déroulées soit à l’occasion des Rencontres
québécoises internationales des écrivains, soit au moment de la parution d’un
nouvel ouvrage que l’essayiste Royer met en perspective de l’ensemble de
l’œuvre des écrivaines dont il a une vaste connaissance.
S’il m’est impossible de rendre
compte de chacune des conversations, je constate que plusieurs des sujets
abordés, dont l’objectif récurrent de changer les rapports femmes-hommes tant dans
le processus de la création littéraire que dans la vie de couple et la vie en
société, sont loin d’être désuets. La culture occidentale fait généralement plus
de place aux femmes dans plusieurs domaines, dont la littérature, mais
l’hégémonie masculine est toujours présente et puissante. Une des auteures s’interroge
d’ailleurs: comment créer en toute liberté lorsqu’une œuvre sera, la plupart du
temps, reçue qu’avec le consentement d’un éditeur masculin?
Quelques exemples tirés de ce riche
matériau que sont ces entretiens illustrent la diversité des points de vue.
Ainsi, l’écrivaine et traductrice Hélène Rioux n’hésite pas à dire : «… il
faut savoir aussi que l’écrivain n’a qu’une chose à dire, qu’il creuse le même
sillon durant toute sa vie. Bien sûr, on essaie de le dire de mieux en mieux et
de façon plus précise à chaque livre, mais dans le fond on n’a qu’une chose à
dire. »
Je retiens aussi le propos de l’écrivaine
française Chantal Chawaf dont l’« écriture explore la force affective des
mots », elle pour qui il faut « une écriture qui éclaire ce pan du
langage resté dans l’ombre : le corps, la sensibilité, le féminin,
l’intime, le nourricier, les fonctions de la vie prêtes à élaborer le cri
nouveau ». Elle propose un « cri nouveau » où se reconnaissent
la femme et l’homme, tournant le dos à la dictature de l’érotisme fantasmé. Et
de conclure : « L’écriture, en se faisant plus compréhensive et
directe, en nous ressemblant plus, pourrait enfin aider les hommes et les
femmes à inscrire les lois d’amour, de justice et de respect plus
charnellement, plus profondément, plus intimement en eux, là où dans le
langage, ces lois deviendraient alors si proches, si vraies, si étroitement
confondues avec notre affectif, qu’elles feraient partie de nous, de notre
instinct de survie… »
En refermant Femmes et littérature, je me suis demandé où en était cette
nouvelle humanité tant souhaitée à l’orée de 2018, sans pouvoir répondre
brièvement. Chose certaine, les récentes dénonciations faites par des femmes au
prise avec les inconduites de mâles dominateurs se croyant tout permis et de
celles discriminées au niveau salariale par rapport à leurs collègues
masculins, s’ajoutent aux constations que font plusieurs des écrivaines avec
lesquelles Jean Royer s’est entretenu.
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