jeudi 27 avril 2017

India Desjardins
La mort d’une princesse
Montréal, L’Homme, 2017, 296 p., 24,95 $ (papier), 18,99 $ (numérique).

La nostalgie réparatrice

Le titre du roman d’India Desjardins, La mort d’une princesse, m’a interpellé. Mais qu’allait faire un septuagénaire dans un univers racontant la vie professionnelle et sentimentale de Sarah Dufour? D’abord, découvrir la réalité littéraire de l’écrivaine, puis constater où en sont les femmes au bord de la quarantaine d’aujourd’hui.
L’héroïne en est aussi la narratrice, ce qui, ici, ajoute au réalisme du récit dont les péripéties sont liées à son intimité, voire à son moi intérieur en constante évolution. Il y a aussi que la trame, divisée en deux segments — 2008 et 2015 —, a recours à divers procédés, dont celui du journal personnel ou des textos échangés entre Sarah et son amie Anik, ou un certain Pascal. N’anticipons pas.




Résumant la trame, j’écrirais que Sarah Dufour a bâti sa réussite professionnelle sur les décombres d’un échec amoureux. Elle a créé sa propre boîte de relations publiques et la mène en consacrant le plus clair de son temps à son essor. Elle considère son amoureux d’alors, Gabriel, comme le prince charmant dont elle a tant rêvé adolescente. Or, il y a eu divergence de perspective, le Prince charmant refusant de s’aventurer maintenant dans une union de couple traditionnelle — femme, enfant, maison, chalet, etc.
Cette dérive classique, souvent masculine, éloignera Sarah et Gabriel, ce dernier prétextant une liaison. Cet aveu bouleversera complètement la vie sentimentale de Sarah, certaine d’avoir tout investi dans leur relation. Ainsi débute « la mort d’une princesse », un cheminement dont nous devenons les témoins.
Peu de personnages entrent dans l’intimité de la femme d’affaires, sinon Anik qui a aussi connu l’échec amoureux, sa conjointe l’ayant quittée en laissant derrière la chocolaterie et l’enfant qu’ils avaient voulu. Anik donne l’image d’une super femme capable de gérer sa monoparentalité et son commerce, sans aide.
L’entreprise de Sarah fonctionne parfaitement et sa réputation n’est plus à faire, mais à entretenir. Pourtant, les années de célibat commencent à miner son existence. Elle ne parvient pas, par exemple, à avoir une aventure d’un soir, à ventiler ses hormones. Elle tient mordicus aux principes qu’enfant on lui a inculqués, refusant de faire vivre à d’autres le drame amoureux qu’elle a vécu.
Sarah a bien des amitiés masculines, dont celle de François, un homme d’affaires dont elle promeut les projets entrepreneuriaux. Mais ces relations sont urbaines et ne tiennent pas compte du sentiment amoureux. Bien qu’elle ait décidé qu’il en soit ainsi, le manque d’équilibre entre sa vie personnelle et celle d’entrepreneure la tourmente.
Divers événements mettent en relief l’éphémère des biens et services que Sarah soutient et le vide intérieur qu’elle ressent lorsque les feux de la rampe s’éteignent. Il y a d’abord l’épuisement professionnel d’Anik qui va la conduire à l’hôpital et l’obliger à remettre à l’heure le pendule de son existence, puis l’arrivée imprévue de Pascal dans sa vie et, enfin, la mort subite de son ami François.
India Desjardins a créé des personnages fébriles vivant à 100 à l’heure sans trop se soucier des conséquences sur eux-mêmes et leur entourage. Les remises en question de Sarah Dufour sont nombreuses et elle les considère comme monolithiques jusqu’à ce que la vie se charge de lui rappeler l’erreur de cette façon de penser et d’agir par une cascade de péripéties tout à fait crédibles.
Allait-il de soi que La mort d’une princesse se termine par un « happy end »? Peut-être, mais le chemin parcouru par l’héroïne au fil du récit plutôt une embellie, une lumière au bout du tunnel qui lui fasse oublier la nostalgie d’une vie de princesse.

Note : si la solitude des femmes, choisie ou non, est un sujet qui vous intéresse, il vous faut lire Nous sommes bien seules (Leméac, 2017) de Julie Bosman. Comprenez que le « bien » choisi par l’auteure peut être compris dans son sens positif, comme « nous sommes heureuses d’être seules », ou son contraire, « nous sommes trop seules ». Un peu comme la Sarah de La mort d’une princesse qui hésite entre les deux. Les quinze récits que J. Bosman donne à lire sont d’une autre dimension, car ils lui ont été inspirés par des femmes ayant vécu une expérience unique, la leur incomparable. C’est beaucoup, direz-vous, mais n’en est-il pas ainsi quand on parle d’émotions ou de sentiments? Cette impression que ce que l’on vit d’heureux ou de pire n’est jamais ce que l’autre perçoit ou ressent. Chose certaine, il faut du talent et une application littéraire pour ainsi rendre justice aux témoignages, souvent confidentiels, en les faisant passer de la réalité à l’imaginaire, sans qu’ils perdent un brin de leur intensité.

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