mardi 2 mai 2017

Denis Boudrias et Jacques Boulerice
Marcher dans les pas du temps (récits, prose et poésie)
Saint-Jean-sur-Richelieu, Crayon d’argent, 2017, 184 p., 20 $.

Les mots, d’hier à maintenant

Deux collégiens d’autrefois, du temps d’avant qu’on invente le cégep pour, soi-disant, remplacer les fabriques de curés et d’élite, ont écrit et publié en 1965, avec leur camarade Beaudin, un recueil des mots aux couleurs des émotions d’alors. Le temps a passé depuis Avenues (du Verveux), mais leur ambition d’écrire ne s’est pas calmée.
Denis Boudrias est devenu avocat, juge municipal, coroner, ami des arts et des lettres, et mécène. Jacques Boulerice est revenu au collège pour y enseigner la langue et la littérature; il a aussi été de l’École littéraire du Jour en compagnie de Jean-Marie Poupart, Louis-Philippe Hébert et toute une cohorte de fous des mots ayant décidé, sans le savoir, de faire la Révolution tranquille littéraire.




Or, voilà que ces deux camarades d’hier se retrouvent pour réinventer la poésie et la prose qui les ont animés et projetés dans cet avenir, maintenant si tant passé qu’il est leur présent, à travers les pages de Marcher dans les pas du temps. Récits brefs, proses évocatrices et poésies riches de leurs expériences personnelles sont ainsi livrés au regard indiscret et imaginatif des lecteurs.
S’ils sont loin du projet intitulé Avenues que leur a proposé J.-P. Plante en 1965, ils en ont quand même gardé l’esprit comme l’écrivait à l’époque le regretté Gatien Lapointe: « Il y a dans ce recueil trois jeunes AVENUES qui s’ouvrent sur le monde et l’homme. Que chacun vienne y faire une promenade : il y trouvera un paysage intime et peut-être aussi sa propre immortelle jeunesse. »
La première partie du recueil est consacrée aux textes de Denis Boudrias. Si l’écriture de plaidoyers, de rapports ou de jugements fut son lot professionnel, il n’a pas pour autant perdu la liberté d’écrire pour le simple plaisir d’exprimer sentiments et émotions, ou de jeter un regard oblique sur la société où qu’elle soit. C’est ce que j’ai observé dans la prose ou les vers de l’auteur dont le verbe fréquente l’intimité des gens et de leurs pensées les plus secrètes.
Il aborde le thème de la solitude des êtres, de l’amour à réinventer, de l’âge qui, s’il additionne les années, prend parfois plus de temps que le temps lui-même n’autorise. Nul atermoiement, juste cette hâte quand le temps n’est plus compté. Quelques séjours à Paris racontés illustrent la façon de l’auteur d’observer ce qui l’entoure et de l’écrire avec toute l’affection que la Ville lumière lui inspire.
« Le vendeur de mots », qui clôt la section, résume à lui seul l’intention d’une littérature personnelle où la chimie des sens et le maillage des propos occupent la première place.
Suivent la poésie et les récits de Jacques Boulerice qui a choisi de les rassembler selon les époques où ils ont été écrits. Cette façon de faire permet à ceux qui le découvrent d’observer l’évolution de son art, comme celle des thèmes qui lui sont chers. Les familiers n’auront peut-être pas de grandes surprises, mais tous devraient se rallier à l’idée qu’une œuvre littéraire qui ne bat pas au même rythme que la vie d’un auteur n’est pas destinée à une longue existence ni à une quelconque pérennité, c’est-à-dire tout le contraire de ce Jacques Boulerice construit livre après livre depuis Élie, Élie pourquoi? (Le Jour, 1970).
Ainsi, qui sera étonné de retrouver ici papa, maman, grand-mère Rosa, les fils ou l’amoureuse? Comme un hier à aujourd’hui que le temps élague de ces mots qu’on croyait d’une absolue nécessité, mais que le poète a lui-même effacé avant le temps ou la critique.

Reprendre la route de la fraternité 50 ans devant la parution d’Avenues était un beau défi, l’émotion ou l’expression d’icelle n’étant pas jamais la même d’un âge à l’autre. Or, Marcher dans les pas du temps fait bien le pont dessiné par les auteurs, illustrant ainsi que certaines sources ne se tarissent jamais.

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