Antoine Boisclair, Jean-François Bourgeault et Thomas Mainguy (dir.)
Au bout du chemin, lettres à
Jacques Brault
Montréal, Boréal, 2024, 200 p.,
25,95 $.
« L’éternité n’est qu’un mot une peu long »
J’emprunte le titre de cette chronique au regretté Jacques Brault. J’aurais aussi pu utiliser ce vers tiré d’À jamais, recueil posthume : « Poésie, souffle vital, rien de moins, rien de plus. » L’un ou l’autre ouvrent parfaitement les pages d’Au bout du chemin, lettres à Jacques Brault, un recueil de dix-neuf correspondances adressées à l’écrivain publiées sous la direction d’Antoine Boisclair, Jean-François Bourgeault et Thomas Mainguy.
Depuis le 18 février 1976, jour deux de mes chroniques hebdomadaires, j’ai suivi régulièrement la construction d’une œuvre, Jacques Brault se considérant, avant tout, comme un artisan. S’y trouvent poésie, fiction et essais, un patrimoine bâti de mots et d’images que cet écrivain iconoclaste pratiquait, tout comme d’autres formes d’art, des arts plastiques à aux dits hérités de temps immémoriaux qu’il affectionnait.
Homme d’une très grande discrétion, il est entré en écriture en braquant
les phares de son altruisme en publiant « Miron, le magnifique », un
essai que lui et son admirable ami allaient toujours porter depuis. Il a aussi écrit
sur Alain Grandbois et préparé la publication des œuvres de Saint-Denys Garneau
en compagnie du Père Benoît Lacroix.
Il allait de soi que d’anciens élèves et collègues veulent lui rendre
hommage maintenant, sachant qu’il n’aurait jamais accepté une telle déférence, bien
qu’il a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Prix David (1965) – attribué
à l’époque pour un seul ouvrage soit Mémoire (Librairie Déom, 1965) paru
la même année qu’Objets retrouvés du regretté Sylvain Garneau –, le Prix Athanase-David (1986) et le Prix
Gilles-Corbeil (1996) de la Fondation Émile-Nelligan.
Parmi ces missives envoyées dans un espace indéfini, je lis d’abord les
mots d’Emmanuelle, sa fille, qui dit en peu de mots, mais en images
fulgurantes, ce qu’elle a écrit de façon intimiste dans son essai Dans les
pas de nulle part : parcours de l’œuvre de Jacque Brault
(Leméac, 2019. Je retiens de son regard porté sur son père, ce passage :
« Ta poésie est le plus bel héritage que tu pouvais nous laisser. J’ai
donc résolu de partir. À la recherche non pas du temps perdu, mais de ce qui
demeure vrai pour la poésie et qui le devient pour le silence qu’elle enferme.
Tu disais ne pouvoir écrire qu’en état de mélancolie, sans quoi l’inspiration
t’échappait. » Puis, cet autre qui évoque la possible communion entre
l’écrivain et l’auditoire : « Silences formels, nommés en avant-plan,
suggérés en arrière-plans, notre code typographique occidental, qui ne demande
qu’à éclater chez toi, procède de la même manière en réservant des espaces pour
la réflexion du lecteur qui écrira peut-être à son tour quelques notes qui entreront
peut-être à leur tour en résonance, en dialogue morcelé avec le texte. Une
pratique commune à tous que tu as posée d’emblée et systématiquement dans ton
premier essai, Chemin faisant,
en y incorporant tes propres notes marginales… »
Je choisis ensuite quelques
autres correspondants que je connais mieux. D’abord, son vieil ami Gilles
Archambault, réalisateur radio et écrivain, qui l’a souvent invité et qui
propose ici « Est-ce un hommage? », une boutade tout à fait archambaultesque.
« Il était alors devenu un auteur dont on parlait de plus en plus… Je
n’avais pas tardé à me rendre compte que l’universitaire qu’il était savait
aussi donner les clés qui permettaient d’entrer dans les œuvres les plus
exigeantes. Issu comme lui d’un milieu populaire, je croyais sans trop de
naïveté que la radio pouvait être une initiation à la littérature, à
l’art. » Un jour, Brault lui annonce qu’il va quitter la Métropole,
connaissant la réprobation d’Archambault. « Je respectais son silence,
Jacques était à l’occasion un taiseux. Jamais bavard, brillant analyste des
œuvres littéraires, qu’elles lui soient proches ou non, sachant en extraire
l’essence en trois ou quatre phrases, il devenait plus intraitable des
cachottiers dès qu’il s’agissait de sa vie personnelle. »
Autre ami de Jacques Brault, son éditeur Paul Bélanger qui prit la relève
de René Bonenfant et Célyne Fortin au Noroît, maison à laquelle il resta fidèle
pour ses projets de poésie. « Ainsi donc, l’homme gris a quitté son banc
et il déambule seul, sans attache ni maison. Solitaire et errant, tu l’étais
depuis longtemps dans la longue mémoire du temps oublieux, bien que pour
combattre l’oubli tu notais souvent des phrases et des mots dans tes carnets,
sur des feuilles volantes, des bouts de carton… Tes mots, Jacques, tes mots
sans domicile cherchent à présent une maison, un corps pour vivre par
eux-mêmes, pour transformer la douleur en expérience joueuse. Pour révéler le
merveilleux qui sommeille en toute forme d’expression. » Je transcrirais volontiers
l’entièreté de cette lettre, tellement elle illustre le lien indicible d’un
écrivain, ou d’une écrivaine, avec son éditeur. Cette relation est ainsi mise
en mots : « Tout ce qui sommeille dans l’âme devient un écho du
monde, un dialogue informel, une critique par sa seule présence, et non un
contenu déterminé, avec à la clé un message, comme les bruyants rapporteurs de
la réalité le voudraient. Le poète assure un contrepoint, un creux qui
transforme la réalité et lui attribue de nouvelles valeurs. »
C’est « En cheminant avec Jacques Brault » que l’écrivaine
Louise Dupré rappelle un compagnonnage avec le destinataire. Elle le cite dans Au
fond du jardin (Noroît, 1996) : « "Il arrive ainsi
qu’un chœur de voix anciennes et nouvelles, indistinctement, parvienne par la
fenêtre de la chambre où l’on se réveille enfant extasié après cinquante ans
d’existence nulle. Quelqu’un qui est-ce, ressuscite." Votre question est
aussi la mienne : qui le je deviens-il quand une chorale de voix s’empare
de lui? Qui est le je qui prendra la plume – ou ouvrira son ordinateur – et se
mettra à écrire ?... Le je de l’écriture est un autre, en effet… »
Je tourne les pages et la voix de
Robert Melançon, vieux compagnon d’armes poétique et universitaire, me ralentit,
car : « On ne comprend jamais tout à fait soi-même ce qu’on écrit.
C’est sans doute pourquoi on publie, en cherchant quelques lecteurs qui nous
éclaireront. J’en ai trouvé quelques-uns, et parmi eux tu as été un de ceux qui
m’ont tiré de mon demi-sommeil. »
Qui d’autre pouvait signer la
dix-neuvième et dernière lettre que Nathalie Watteyne? Écrivaine et
universitaire comme Jacques Brault, elle était de son ultime garde rapprochée
avec François Hébert, son compagnon. « Tu es parti en octobre 2022 et
François t’a suivi quelques mois plus tard, le 30 mai 2023. Vous n’êtes plus là
pour les discussions sur la langue française, la littérature et les arts, la
poésie de l’existence, non plus d’ailleurs que pour vous étonner rêveusement de
notre bref séjour sur terre. » Je dois dire que mes vieux amis
Fortin-Bonenfant m’ont fait connaître Nathalie et François autour de la table
familiale de la rue Mercier, à Saint-Lambert, à deux pas d’où le couple
habitait alors. Watteyne-Hébert seyaent parfaitement bien avec nos hôtes, dont
la table fut un lieu privilégié de rencontres sans prétention d’écrivaines et
d’écrivains de diverses époques, de différents genres d’écriture.
Quant à la relation entre Jacque B.
et François H., outre qu’ils furent collègues à l’U de M, elle prit la forme de
collaborations réciproques dans des projets de livre où les arts plastiques et
la littérature étaient réunis en une osmose créatrice, notamment dans les
livres-objets parus au Temps retrouvé, la très discrète maison d’édition de
Marc Desjardins qui fabrique, je choisis ce mot, des ouvrages artistiquement
globalisants. L’Élan de l’écrevisse
(2010) en est un double exemple, une édition dite définitive étant parue post-mortem
en 2023.
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