Alain Saulnier
Tenir tête aux géants du
web : une exigence démocratique
Montréal, Écosociété, coll.
« Polémos », 2024, 288 p., 27 $.
Danger : les dictatures démocrates ou comment nous museler
Le moins que l’on puisse dire de 2024, c’est que les démocraties s’en vont à vau-l’eau. Outre les jeux de chaises musicales des partis politiques au pouvoir et les « changez de bord la compagnie », de nouveaux joueurs s’incrustent dans la joute : « les géants du web ».
Recensant Les barbares
numériques (Écosociété, 2022), un essai d’Alain Saulnier, j’écrivais qu’à l’heure
des guerres et des insurrections en direct, il fallait savoir qu’un meneur de
jeu s’implantait sans qu’on y porte trop d’attention : la toute-puissance des
GAFAM et de leurs porte-voix, les réseaux sociaux incontrôlés.
Ce qui pouvait sembler un propos alarmiste s’avère plus vrai qu’on pouvait alors imaginer. Les observations de Saulnier méritaient d’être actualisées, discutées et exemplifiées, ce que fait Tenir tête aux géants du web : une exigence démocratique.
Pourquoi taper à nouveau sur ce clou, sinon parce que vous et moi ne nous rendons pas compte du pouvoir grandissant, apparemment sans limite, des ultras mieux nantis de la planète et de leur mainmise sur tous les enjeux sociopolitiques des démocraties, notamment grâce au web.
Ce qui n’était pas mesurable
auparavant, ce sont, entre autres, certains effets délétères de la pandémie,
dont la fidélisation aux achats en ligne. Amazon et Temu (site chinois de
commerce en ligne) sont devenus la panacée d’un grand nombre de consommateurs
au détriment des commerces locaux.
Rafraîchissons notre mémoire. « Les
barbares numériques » ou GAFAM, « acronyme dont les lettres
correspondaient à l’origine aux cinq firmes numériques dominantes du
marché : Meta (anciennement Facebook), Alphabet (Google, YouTube, Chrome,
Android, Gmail, etc.), Apple, Amazon et Microsoft ». Certains chefs d’entreprise
associés à ces sociétés sont souvent évoqués : Mark Zuckerberg, le
dirigeant de Meta (Facebook, Instagram, Messenger, WhatsApp, Oculus VR, etc.);
Jeff Bezos, à la tête d’Amazon et ses filiales, dont Amazon Prime Video; Tim
Cook qui dirige l’empire Apple, etc.
Un autre joueur mentionné par
Saulnier n’est autre qu’Elon Musk. Le propriétaire de Tesla, Starlink
(fournisseur d’accès Internet par satellite) et Space-X, sans oublier Twitter
devenu X sous sa gouverne. Dès l’acquisition de ce réseau, il a licencié le
personnel et imposé ses propres règles de la liberté d’expression. On connaît
ses coups de gueule devenus des diktats dont X est une « chambre d’écho
médiatique, description métaphorique d’une situation dans laquelle l’information,
les idées, ou les croyances sont amplifiées ou renforcées par la communication
et la répétition dans un système défini. » Sans oublier ses accointances
avec le président élu des États-Unis qui en a fait l’unique responsable du
nettoyage des écuries d’Augias qu’est, à ses yeux, l’organisation
gouvernementale états-unienne.
Revenons à Tenir tête aux
géants du web : une exigence démocratique. L’essayiste s’intéresse aux
effets réels de l’empreinte de ces géants sur les démocraties, les pouvoirs
politiques, socioéconomiques et socioculturels. S’il applaudit les nouvelles
législations fédérales contraignant ces derniers à des règles précises d’opération,
il n’en déplore pas moins leur façon de détourner l’obligation de rémunérer les
médias traditionnels pour les contenus qu’ils leur volaient en excluant les
informations journalistiques locales et nationales de leur plateforme. Ce qui
est déconcertant, c’est qu’une vaste proportion des usagers des réseaux sociaux
y puisent uniquement leurs informations provenant de sources approximatives.
Le modèle d’affaires des médias
traditionnels – presse écrite et électronique – ne tient plus la route et
menace de faire imploser même les plus sérieux joueurs, ce qui s’observe déjà par
la fermeture de nombreux journaux régionaux et par la mise à mal des revues
culturelles, malgré les efforts déployés par la Société de développement des
périodiques culturels du Québec (Sodep). Cette situation concerne aussi la
chaîne de diffusion d’informations rigoureusement recueillies, les moyens de
communication des divers aspects de la culture et de ses valeurs. Pensons à la
télévision traditionnelle qui perd annuellement un nombre croissant de
téléspectateurs au profit des plateformes numériques, tel YouTube, Netflix, Crave,
Disney+ ou Amazon Prime Video, ou des services de diffusion en continu (streaming),
tel Spotify.
Le loup dans la bergerie que je
vois poindre un peu partout dans Tenir tête aux géants du web, se nomme
algorithme prédictif. Il serait plus juste de parler d’une meute de loups, car
chaque joueur du web possède son propre système d’algorithme prédictif. Prenons
un exemple que tout usager du web a rencontré : vous cherchez de l’information
sur un modèle d’automobile et, l’instant suivant, votre page Facebook vous
propose les offres de dépositaires de la marque dans votre région. Il en va de
même des fureteurs, quels qu’ils soient, qui vous proposent des réponses à vos
recherches selon les règles de leurs propres algorithmes prédictifs
financièrement rentables.
Mentionnant Facebook, il est
clair pour Alain Saulnier que les réseaux sociaux sont devenus LA première
source d’informations, peu importe l’origine de ces dernières, ce qui laisse
place aux « fake news » et autres rumeurs répétées jusqu’à en perdre
le message initial. Un exemple que j’ajoute à ceux de Saulnier : le
pouvoir des réseaux sociaux de microblogages consacrés à un sujet spécifique.
Truth Social de D. Trump en est un exemple patent, d’autant plus qu’il est aussi
une puissante chambre d’écho des messages qu’il diffuse. Dans ce cas
spécifique, l’homme d’affaires exprime ses opinions et ses commentaires sur
tout et sur rien. Par exemple, avant même d’entamer son mandat, il a lancé l’offensive
contre ceux qu’il appelle « les ennemis du peuple », les médias. (La
Presse+, 19 décembre 2024)
Alain Saulnier a raison d’écrire
que de tenir tête à ces géants est un devoir démocratique. Certains pays d’Europe
ont commencé à mettre des holà aux géants du web, notamment par l’imposition
« de normes d’identification des contenus culturels ». D’autres États,
même les É.-U., tentent de briser des monopoles, par exemple celui de Google et
de son moteur de recherche. Il en va de notre état de droit, de notre
démocratie, malgré l’indifférence générale. L’écosystème qui régit la société
québécoise est à risque plus que tout autre pour les raisons d’ordre
linguistiques et culturelles, ferment de notre société. Si nous ne trouvons pas
rapidement comment protéger nos canaux de création et de diffusion, ce sont les
assises de notre société qui sont menacées.
Que dire de l’intelligence
artificielle, l’IA générative, et de ses effets pouvant être dévastateurs sur
de nombreux champs d’activité, incluant l’environnement, car les serveurs,
gardiens des données de l’IA, ont des exigences énergétiques incommensurables.
L’infonuagique – le « modèle informatique dans lequel le stockage des
données et leur traitement sont externalisés sur des serveurs distants accessibles
à la demande à partir de tout appareil bénéficiant d’une connexion Internet »
(GDT) – est très, très gourmande. Et je ne parle pas de l’insécurité que différents
usages de l’IA peuvent faire peser sur les populations, pays et nations.
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