Jean Désy
Soigner la médecine :
ramener l’humain au cœur de la santé
Montréal, XYZ, coll.
« Réparation », 2024, 128 p., 19,95 $.
« Ramener l’humain au cœur de la santé »
C’était il y a sept ans, je préparais le numéro 165 de Lettres québécoises, ma dernière collaboration à cette revue depuis 2003. L’écrivain invité était Jean Désy, médecin du Grand Nord, professeur des sciences médicales et de littérature à l’université Laval, écrivain souvent récompensé. L’autoportrait qu’il signait dans le périodique, « Amériquoise nordicité », me fit comprendre l’authenticité de l’homme, toujours fidèle à lui-même quelque soit ses pratiques au quotidien.
Plus tard, Entre le chaos et l’insignifiance :
histoires médicales (XYZ, 2009) me troubla profondément, car les neuf
récits qui le composent m’ont ramené à de beaux moments de ma petite enfance auprès
de mon grand-père maternel, lui aussi médecin, et super héros de mon
apprentissage de la vie. Certains propos du docteur Désy m’ont rappelé l’inquiétude
souvent décelée dans les yeux de mon propre père, un des premiers
administrateurs laïcs d’un hôpital québécois.
La relation du médecin et du
patient, telle que Jean Désy la comprend et la pratique, n’a rien à voir avec certaines
images des disciples d’Esculape dans l’espace public. Dans L’accoucheur en cuissardes (XYZ, 2015), un recueil d’une
quarantaine de récits, il écrit : «Mon souhait, c’est qu’à partir de faits
bien réels, d’histoires parfois tristes, parfois croustillantes, parfois
tragiques ou parfois comiques, nous arrivions à réfléchir un peu mieux aux
grands enjeux entourant l’éternelle obligation de nous soigner les uns les
autres, par-delà la stricte réalité, jusqu’aux limites de la poésie. Je refuse
que la médecine soit de plus en plus considérée comme une seule science. Je
crois à l’amalgame de l’art et de la science pour aborder l’univers de la
maladie… et de la santé. »
À la fin d’une lecture dont les
mots résonnent des jours après avoir tourné la dernière page, il m’arrive
d’écrire ne pas en être sorti indemne, sans pouvoir en exprimer la raison. Une
sorte Waterloo du cœur, du corps et de l’esprit subjugués par des mots ayant
rejoint ma vulnérabilité. Soigner la médecine a décuplé de telles
inquiétudes. Certes, la prose de Jean Désy y est pour beaucoup, car elle nous
fait vivre ce qu’elle raconte. L’auteur sait mesurer le sens et la portée des
mots, comme la posologie d’un remède de soi à soi, de soi aux autres. Il y a
aussi ce que racontent les événements choisis, la façon dont l’auteur les
introduit et la réflexion qu’il en tire. Par-dessus tout, il y a l’humain au
cœur de ces péripéties semblables à des radiographies de l’entendement des
femmes et des hommes.
Qu’arrive-t-il
alors sur le terrain? « Soigner, à mon sens, c’est accepter de se
préoccuper de l’être humain dans son entièreté, corps et esprit réunis. Car
c’est l’âme humaine qui doit être prise en compte lorsque tout malade consulte,
"soma" et "psyché" amalgamés… L’art de soigner, c’est
savoir recevoir l’autre… » (14-15) Cette pratique médicale considère
« le corps d’un patient comme un tout, pas seulement comme la somme
de ses différents aspects physiques et psychologiques », elle est holistique. Quant au mot « âme », il n’est pas entendu ici au
sens religieux, mais en référence à l’anima, le souffle qui rythme la vie des
êtres humains jusqu’à leur trépas.
L’écrivain médecin revient sur
cette composante vitale, presque insaisissable sinon au moment du dernier
souffle qui n’est ultime que pour cet élément, le corps ne cessant de vivre
qu’ultérieurement.
« L’âme en psychologie
analytique désigne la vie intérieure de l’être. Les termes de système
psychique, de psyché - la psyché désigne l’ensemble des phénomènes psychiques.
Synonyme de l’activité mentale, elle englobe toutes les manifestations
conscientes et inconscientes d’un individu ou d’âme sont équivalents dans le
cadre de la psychologie jungienne. »
Que soigner alors? Soigner les
mains, l’équipe, le lieu, le choc, Ruth, la violence, l’erreur, Rose-Monde, les
pendus, toubib or not toubib, la grâce, la mort, la chute? Voilà autant de
perspectives dans lesquelles Jean Désy se place pour décrire ces situations,
les analyser et en tirer une leçon ou non, le lâcher-prise étant parfois le
seul remède pour le patient et pour le médecin.
La pratique médicale dans une
urgence n’est pas la même qu’en clinique, car elle exige que tout le personnel
soignant soit pleinement actif et réactif. Un vieux monsieur qui s’y pointe
pour une inquiétude quelconque reçoit la même attention qu’un grand blessé, à
la différence que l’empathie et les mots rassurants suffisent à sa guérison.
Et que faire de cette jeune
enfant au corps tuméfiée que son père a amenée après qu’elle ait fait une chute
dans l’escalier et échoué sur le plancher de ciment de la cave? Docteur Désy
demande au père de le laisser seul avec la fillette à qui il dit alors :
« Il te bat? » La réponse affirmative lui ordonne d’agir sur le
champ, d’abord en rassurant la jeune victime qui ne retournera pas avec son
bourreau et qu’il va traiter son corps et son cœur.
Cet adolescent amené après une
tentative de suicide, qui subira les traitements appropriés, sera ensuite amené
dans une chambre où il se pendra presque sous les yeux du médecin, ce dernier
comprenant que les soins apportés au corps étaient nettement insuffisants.
Je retiens ici que des situations
extrêmes pour illustrer le quotidien d’un urgentiste, alors qu’en milieu
hospitalier ou en clinique, surtout en terres lointaines du Nord québécois, le
rythme du travail permet une relation plus humaine avec chaque patient et avec
toute l’équipe de soignantes et soignants, chacune et chacun oubliant son titre
au profit de leur mission commune : prodiguer des soins.
La nature du Grand Nord est vite
devenue la meilleure source de revitalisation du médecin dès qu’il y a mis les
pieds à un moment déterminant de sa pratique médicale qu’il remettait alors en
question. Imagine-t-on être constamment en face de femmes et d’hommes souffrants
et que cette situation n’en vienne pas à user prématurément le soignant? Soigner
la médecine aborde aussi cette question pour mettre en perspective une
pratique trop souvent déshumanisée.
« Les études médicales comme la pratique de la médecine demandent d’être vécues dans un réel état "vocationnel", une manière d’être et de percevoir le monde qui fait en sorte que tout ne se transforme pas trop rapidement en épreuve ou en souffrance… la prise de conscience de la vocation, quel que soit l’âge, demeure quelque chose d’extraordinairement pertinent au cours d’une vie, surtout aux forces heureuses que cela procure. »
Un autre exemple, moins dramatique que les précédents, est la visite de Ruth à l’urgence. La coiffeuse a mal à la gorge et l’urgentiste pense qu’il a des cas plus urgents. Après un examen sommaire et un diagnostic à l’avenant, il la salue et passe à une autre urgence. Un patient fait du chahut dans une salle de soin et s’arrête brusquement sans que l’on comprenne; c’est Ruth, habituée à l’intimité de ses clientes du salon de coiffure, qui l’a rassuré. « Le "soin" donné à autrui va de la chirurgie cardiaque la plus sophistiquée au simple regard d’encouragement quand quelqu’un s’interroge à propos d’une crise anxieuse qui est en voie de faire chanceler sa psyché. »
Je suis d’accord avec cette
assertion, car j’ai vu ma mère, hypocondriaque avec un H majuscule, revenir
d’une visite médicale soulagée jusqu’au prochain malaise, vrai ou imaginé.
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