François Marcotte
Tant d’hivers
Montréal, Sémaphore, coll.
« Mobile » 06, 2024, 208 p., 29,95 $.
Avant, après, maintenant
Il arrive qu’une histoire imaginée semble plus vraie que la réalité qu’elle raconte. Il en est ainsi de Tant d’hivers, premier roman de François Marcotte, mais aussi « la première œuvre québécoise à être écrite à l’aide d’un logiciel de reconnaissance vocale. » Comprenez bien : l’écrivain a dicté son récit à un ordinateur dont une application a ensuite traduit à l’écrit ses paroles enregistrées.
Cette façon de faire était
incontournable, car François Marcotte, aujourd’hui dans la cinquantaine, vit en
résidence puisqu’il est lourdement paralysé – des épaules aux pieds – par la
sclérose en plaques (SP). L’écriture est devenue pour lui un acte de libération
et de résistance. Il s’est d’ailleurs fait remarquer, en étant finaliste du
Prix récit 2019 de la Société Radio-Canada, grâce à « Un jour jusqu’à la
fin de mes jours », en quelque sorte le préambule au roman.
Tant d’hivers raconte deux
époques de la vie de l’auteur. La première, intitulée « Les hivers de
front », est composée de huit moments choisis de l’enfance à l’âge adulte,
de ses jeux dans la neige à ses voyages en Europe où l’architecture des bâtiments
éveille son intérêt, jusqu’à ses premiers émois amoureux.
La deuxième période, « Les
hivers de force », compte également huit épisodes tirés du présent. Ils
décrivent la lente, mais irrévocable invasion de son corps par la SP, un chemin
de croix jusqu’à l’ultime calvaire de l’inaptitude.
Entre les deux séquences, il y a l’« intermède »
qui fait le lien entre le froid des vrais hivers d’antan et la froidure d’un
corps où le blanc n’est pas celui « que la neige a neigé », mais ces
taches blanches qui apparaissent sur les images d’une IRM du cerveau – imagerie
par résonance magnétique –, ces taches qui sont autant de signes que la maladie
dégénérative envahit de plus en plus le corps jusqu’à l’emprisonner totalement.
Ne reste alors que la tête et l’esprit de pleinement actifs et trop lucides de
son état. « Quand l’hiver dans ma tête a commencé sa descente après cinq
années de dormance et que je suis tombé en pleine rue à proximité de la
bibliothèque de l’Université de Montréal, c’était la preuve qu’il n’occupait
plus seulement mon cerveau et mon tronc cérébral, après être entré je ne sais
où, je ne sais comment, je ne sais quand, je ne sais pourquoi. J’avais
toutefois une certitude : il allait paralyser mon corps. J’étais condamné
à prendre les hivers de force. »
Voyons de plus près. En
introduction, « La fin du contretemps » décrit les derniers jours du
narrateur encore apte à vaquer à ses activités d’étudiant en architecture et de
flirter avec une jeune femme, espérant que cette idylle se transforme en une
relation amoureuse stable. Puis, les premiers symptômes de la maladie apparaissent,
par exemple la fatigue devient chronique au point où le moindre effort exige la
fin de ses activités. Cela peut sembler normal, car qui n’éprouve pas un peu de
fatigue après une journée de travail? Or, la fatigue d’une personne atteinte de
SP se transforme en épuisement total que seule une pause de durée variable lui
permet d’émerger.
Qu’en est-il des « hivers de
front »? Ils rappellent les hivers d’avant, des murmures au toit rouge ou argenté,
hors saison ou en un hiver, etc. Ce sont là divers souvenirs, de sa plus tendre
enfance à sa vie de jeune adulte en quête de nouveaux apprentissages. Ces
réminiscences se déroulent l’hiver, le froid et la neige devenant les images de
sensations inexplicables, le jeune homme ignorant l’épée de Damoclès qui lui
pend au-dessus de la tête.
L’hiver joue ici un double
rôle : celui de la saison, de son froid et de sa neige blanche dans
laquelle il fait bon jouer, mais aussi celui des taches blanches qui
apparaissent lors de l’analyse des images d’une IRM où on observe la
détérioration de la myéline qui constitue la gaine des fibres du système
nerveux central.
Obligé de retourner vivre chez sa
mère, arrive un moment où cette dernière s’épuise à prendre soin de lui et
qu’il faut trouver une aide extérieure. Débute alors un très long processus
pour que les services sociaux évaluent les réels besoins quotidiens du malade
et du temps qu’un préposé pourra s’y consacrer. Le malade devient ainsi un
nombre d’heures et un budget qui peut lui être accordé.
On se souvient certainement du
patient qui avait alerté les médias parce qu’on ne lui accordait qu’une seule
douche par semaine, et encore. Ce visage pouvant illustrer le cri de plusieurs
autres était celui de François Marcotte.
Tant d’hivers n’est pas un
réquisitoire contre le système de santé, mais le récit autobiographique d’un
être humain aux prises avec une maladie dégénérative qui l’a emprisonné dans
son corps et attaché à un système de santé publique pour qui toutes les maladies
passent au sas des règles administratives et de la bureaucratie. Jamais
l’écrivain ne se plaint, mais il fait ressortir des moments de grands désarrois
dans lesquels la maladie et le manque de soins le plongent.
Je retiens cette phrase, à la fois conclusion du récit et image forte de
la relation entre la SP et l’écrivain : « C’est alors que l’hiver
cesse d’être une saison, un jalon de souvenirs familiaux ou d’aventures, et
devient la métaphore d’un lent glissement vers la froideur de l’absurdité
administrative, des deuils d’une jeunesse sabotée par la maladie et des murs où
l’on attend que le temps cesse. »
Aucun commentaire:
Publier un commentaire