Stéphane Despatie
Fretless
Montréal, Mains libres, coll. « Roman »,
2023, 312 p., 29,95 $.
« C’était à l’époque de jadis »
Le titre du livre semble sorti
tout droit de l’univers de l’écrivain. Comment pourrait-il en être autrement
quand on sait qu’il s’agit ici d’une guitare basse sans frettes comme celui du narrateur,
c’est-à-dire sans les « fines baguettes fixes qui servent à diviser le
manche de l’instrument en demi-tons ». Or, si le roman renvoie à un instrument
libre de toutes contraintes, il évoque de façon poétique la grande liberté dont
jouissent Raph et toute la faune de personnages qui l’accompagnent dans cette suite
de péripéties qui nous font voyager, tant en France qu’au Québec, dans l’univers
du groupe punk (!) Rouge Malsain dont il est le bassiste et dans celui d’une œuvre
d’art hors de prix convoité par Mark, un ami.
On n’a pas à être étonné que Despatie
s’aventure dans un univers très près de l’autofiction, car il s’est autorisé
depuis longtemps une écriture de l’intime et du quotidien comme le soulignait
Jean Royer dans son Introduction à la poésie québécoise. Bien que l’univers
de la poésie n’ait pas de frontières, il n’en demeure pas moins que la prose
narrative convenait mieux au récit d’un voyage initiatique dans le monde des
apprentissages que font de jeunes adultes, parfois à la dure.
La trame de Fretless est
semblable à un journal intime écrit sans réserve, sinon celui de dire les « vraies
affaires » pour les amener dans une dimension permettant d’en apprécier la
valeur avec plus de justesse que l’urgence de l’instant permet. Or, cette valeur
est aussi multiple que la palette du peintre, car elle n’est autre que le fonds
culturel accumulé depuis l’enfance, de façon plus fulgurante à l’adolescence –
ne serait-ce que pour le bagage de connaissances laissées sur son passage par l’école
dont les classiques d’hier et d’aujourd’hui se confondent à l’actualité – et
qui devient malgré soi l’hymne de toute une génération.
J’ai précédemment écrit que Fretless,
s’il a de multiples points de convergence avec un journal personnel ou même d’une
autofiction, raconte l’histoire d’individus appartenant à la génération X (1965-1979)
où ils doivent se tailler une place qui leur soit propre en bousculant les baby-boomers
qui agissent comme s’ils étaient les maîtres de l’univers. L’auteur a écrit qu’il
craignait que son roman reprenne les thèmes de Réservé aux chiens, son précédent
récit. Je suis d’avis qu’il fait bien plus, car ce premier roman est une toile
neuve sur laquelle il trace l’univers de personnages inspirés ou non de ses
propres expériences. J’ai même cru lire des pages entières de souvenirs animés dont
l’auteur aurait gommé uniquement le nom des acteurs, car tout « le monde a
un déclencheur, paraît-il, c’est comme ça. Un déclencheur qui fait que la vie
prend un autre virage. »
L’essence de Fretless me
semble tenir dans cette réflexion : « Accepter ses contradictions et
expérimenter avec elles étaient plus intéressant et constructif qu’une bête posture
intellectuelle nous interdisant de franchir certaines limites, seulement là pour
renforcer un manque de confiance. » N’est-ce pas là le concentré des
paroles, des actions ou des réflexions de Raph du début à la fin, notamment quand
il est question de ses passions et des choix qu’elles lui imposent, parfois
malgré lui, au nom de l’amitié ou de quelque autre élan d’un élan spontané.
Si on me demandait de raconter l’histoire
de la génération qui mène la société actuelle – pensons entre autres à quelques politiciens ou ministres actuels –, je suggèrerais
le roman de Stéphane Despatie, car son récit fait le lien entre celle des millénariaux
et celle des boomers en choisissant de les assembler dans leurs identités comme
dans leurs contradictions, du néoclassicisme des unes au choc punk – musical,
culturel et social – des autres. Tout cela dans une langue assumée et dans une
littérarité maîtrisée.
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