Gilles Archambault
Vivre à feux doux
Montréal, Boréal, 2023, 112 p.,
19,95 $.
Mijoter lentement sa fin de vie
Je vous ai proposé, à sa parution,
Mes débuts dans l’éternité (Boréal, 2022), un recueil composé de trente
nouvelles écrites par Gilles Archambault, cet écrivain iconoclaste, misanthrope
patenté, dont je recense les livres depuis les années 1980. Je lui empruntais alors
le titre de l’un des textes, « Un musée pour moi tout seul ». Je
serais tenté de le répéter pour présenter Vivre à feux doux, son nouvel
opus en quatre parties, chacune comptant huit nouvelles brèves.
Ai-je lu ou entendu l’écrivain Archambault mentionner que le tapuscrit de ce livre était déjà entre les mains de son éditeur l’automne de 2022? Toujours est-il qu’il y a effectivement un lien étroit entre ce recueil et le précédent, chacun proposant des variantes de ce musée semblable à un album de photos parfois décolorées.
Le nonagénaire nous ramène dans l’univers
de son grand âge où le temps prend son temps, trop selon lui, pour faire passer
les jours. Le moindre écart à la solitude assumée, ou non, et l’ennui qu’éveillent
les gens rencontrés troublent les limites d’un avenir anticipé par dépit plus que
par satisfaction.
Le titre de chacune des sections
du livre – « Immensément triste comme d’autres sont immensément riches, Je
me suis habitué à moi, Vivre à feu doux et Couvercle fermé » –est comme la
salle du musée personnel dont Gilles Archambault a déjà entrepris l’installation.
Là où il innove, c’est qu’il a réduit au minimum le point d’appui de chacune
des trente-deux situations évoquées. Cela m’a rappelé ces peintres qui, tout
figuratif qu’ils furent jadis, ont effacé petit à petit les lignes qui
définissaient les paysages ou les personnages que leurs toiles représentaient. Quant
à l’écrivain Archambault, ce sont les détails qui provoquent ou ont provoqué
une sensation ou une émotion, un plaisir ou une lassitude mise en évidence.
Ai-je raison ou tort de remarquer
que, plus encore ici que dans de précédents livres, le déplaisir de vivre en
société ou de simplement traîner la vie comme un boulet alors que le corps se
déglingue et que les rares connaissances revivent en boucle le scénario d’un
passé fragmenté par une mémoire plus imaginative que fidèle?
Mais alors, l’écrivain n’est-il
pas ici en train de réaliser ce rêve de visiter ce musée : « Rien ne
me plairait autant que de visiter, la nuit de préférence, un tout petit musée
dans lequel seraient réunis des objets, des photos, des souvenirs de ma plus
lointaine enfance… J’aurais, l’espace de quelques heures, la permission de
retrouver ce qu’a été mon passé… Je serais un spectateur, sans plus. Un spectateur
ému. Ému, je l’ai été si souvent au cours de ma vie. »
Cette émotion très présente sous
la plume de l’écrivain, il sait bien la partager par petites touches en évitant
de tomber dans un inutile pathos, lui préférant une moquerie soutenue comme s’il
valait mieux rire que de pleurer des moments inévitables de l’existence. Après
tout, qui a demandé à naître.
L’exemple ultime de l’univers
littéraire actuel de Gilles Archambault n’est-il pas contenu dans la dernière
nouvelle du recueil? Intitulé « Cendres » – comme dans le biblique « tu
es poussière et tu retourneras en poussière » –, la narration est faite
par une voix hors champ qui, tel un miroir, décrit l’attitude d’un certain
Gilles face aux aléas de la vie. « Gilles ne pense que fort rarement alors
au temps qui fonce sur lui avec l’acharnement qui le caractérise. Il se dit qu’il
occupera les années qui viennent à écrire des livres. » Mais, le temps
fuit et voilà que : « Dans quelques mois Gilles aura quatre-vingt-dix
ans. Les livres, il les a accumulés un peu étourdiment. Il a même l’impudence
de continuer à écrire. Il affirme qu’il n’espère plus rien de ce côté et que
ses livres sont des coups d’épée dans l’eau qui lui apportent de moins de moins
de contentement. »
Triste bilan, diront certains, réalisme
teinté de nostalgie, diront les autres. Verre à moitié plein ou verre à moitié
vide, chose certaine : « Elle s’approche, la mort. L’autre jour, il a
demandé à son fils s’il accepterait de verser ses cendres dans les eaux du
Vieux-Port de Montréal. En y repensant, il s’est dit que cela n’avait vraiment
pas d’importance. »
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