jeudi 22 février 2024

Gilles Archambault

Vivre à feux doux

Montréal, Boréal, 2023, 112 p., 19,95 $.

Mijoter lentement sa fin de vie

Je vous ai proposé, à sa parution, Mes débuts dans l’éternité (Boréal, 2022), un recueil composé de trente nouvelles écrites par Gilles Archambault, cet écrivain iconoclaste, misanthrope patenté, dont je recense les livres depuis les années 1980. Je lui empruntais alors le titre de l’un des textes, « Un musée pour moi tout seul ». Je serais tenté de le répéter pour présenter Vivre à feux doux, son nouvel opus en quatre parties, chacune comptant huit nouvelles brèves.

Ai-je lu ou entendu l’écrivain Archambault mentionner que le tapuscrit de ce livre était déjà entre les mains de son éditeur l’automne de 2022? Toujours est-il qu’il y a effectivement un lien étroit entre ce recueil et le précédent, chacun proposant des variantes de ce musée semblable à un album de photos parfois décolorées.

Le nonagénaire nous ramène dans l’univers de son grand âge où le temps prend son temps, trop selon lui, pour faire passer les jours. Le moindre écart à la solitude assumée, ou non, et l’ennui qu’éveillent les gens rencontrés troublent les limites d’un avenir anticipé par dépit plus que par satisfaction.

Le titre de chacune des sections du livre – « Immensément triste comme d’autres sont immensément riches, Je me suis habitué à moi, Vivre à feu doux et Couvercle fermé » –est comme la salle du musée personnel dont Gilles Archambault a déjà entrepris l’installation. Là où il innove, c’est qu’il a réduit au minimum le point d’appui de chacune des trente-deux situations évoquées. Cela m’a rappelé ces peintres qui, tout figuratif qu’ils furent jadis, ont effacé petit à petit les lignes qui définissaient les paysages ou les personnages que leurs toiles représentaient. Quant à l’écrivain Archambault, ce sont les détails qui provoquent ou ont provoqué une sensation ou une émotion, un plaisir ou une lassitude mise en évidence.

Ai-je raison ou tort de remarquer que, plus encore ici que dans de précédents livres, le déplaisir de vivre en société ou de simplement traîner la vie comme un boulet alors que le corps se déglingue et que les rares connaissances revivent en boucle le scénario d’un passé fragmenté par une mémoire plus imaginative que fidèle?

Mais alors, l’écrivain n’est-il pas ici en train de réaliser ce rêve de visiter ce musée : « Rien ne me plairait autant que de visiter, la nuit de préférence, un tout petit musée dans lequel seraient réunis des objets, des photos, des souvenirs de ma plus lointaine enfance… J’aurais, l’espace de quelques heures, la permission de retrouver ce qu’a été mon passé… Je serais un spectateur, sans plus. Un spectateur ému. Ému, je l’ai été si souvent au cours de ma vie. »

Cette émotion très présente sous la plume de l’écrivain, il sait bien la partager par petites touches en évitant de tomber dans un inutile pathos, lui préférant une moquerie soutenue comme s’il valait mieux rire que de pleurer des moments inévitables de l’existence. Après tout, qui a demandé à naître.

L’exemple ultime de l’univers littéraire actuel de Gilles Archambault n’est-il pas contenu dans la dernière nouvelle du recueil? Intitulé « Cendres » – comme dans le biblique « tu es poussière et tu retourneras en poussière » –, la narration est faite par une voix hors champ qui, tel un miroir, décrit l’attitude d’un certain Gilles face aux aléas de la vie. « Gilles ne pense que fort rarement alors au temps qui fonce sur lui avec l’acharnement qui le caractérise. Il se dit qu’il occupera les années qui viennent à écrire des livres. » Mais, le temps fuit et voilà que : « Dans quelques mois Gilles aura quatre-vingt-dix ans. Les livres, il les a accumulés un peu étourdiment. Il a même l’impudence de continuer à écrire. Il affirme qu’il n’espère plus rien de ce côté et que ses livres sont des coups d’épée dans l’eau qui lui apportent de moins de moins de contentement. »

Triste bilan, diront certains, réalisme teinté de nostalgie, diront les autres. Verre à moitié plein ou verre à moitié vide, chose certaine : « Elle s’approche, la mort. L’autre jour, il a demandé à son fils s’il accepterait de verser ses cendres dans les eaux du Vieux-Port de Montréal. En y repensant, il s’est dit que cela n’avait vraiment pas d’importance. »

Gilles Archambault n’a pas peur des mots et des images quoi qu’ils évoquent. La mort, cette inéluctable fin de vie, est aussi imprévisible que notre naissance dont nous n’avons de souvenir que ceux qui nous ont été racontés. La différence entre le début et la fin de l’existence, c’est la vie elle-même et tout ce qui la compose, voulu ou non. Vivre à feux doux, c’est une image de la sérénité dont l’écrivain a parfois l’impression de se moquer, toujours avec un sourire en coin.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire