Serge Bergeron
Marcel Dubé : écrire pour
être parlé
Montréal, Leméac, 2023, 424 p., 42,95 $.
La vie d’un classique
Alors que la société québécoise s’interrogeait sur le sens du mot « classique » en littérature paraissait, simultanément chez Leméac, Marcel Dubé : écrire pour être parlé, un récit biographique de Serge Bergeron, et Œuvres choisies, quatorze pièces de théâtre et une sélection de textes en prose de Marcel Dubé.
Pour les anciens dont je suis, l’expression classique littéraire renvoie aux maîtres du théâtre français, aux comédies de Molière, aux drames et aux tragédies de Racine ou de Corneille. Sans parler des poésies de Hugo, Chateaubriand, Verlaine ou Rimbaud. De tels modèles ne manquent pas, mais les comparaisons avec la littérature canadienne-française, puis québécoise sont bancales. Ce seront d’ailleurs aux poètes de s’installer les premiers au panthéon de notre culture littéraire.
En réfléchissant au sens à donner
à la notion de classique en arts – littérature, musique, beaux-arts (arts plastiques
et graphiques) –, je constate qu’à l’ère de l’éphémère où le succès dépend du
nombre de « like » sur les réseaux sociaux, l’idée même de classique n’a
plus cours parce qu’antithétique avec l’insaisissable air du temps. N’empêche,
le théâtre québécois d’aujourd’hui est tributaire de la culture théâtrale des
années 1950 aux années 1980, notamment grâce à la télédiffusion régulière de
dramatiques sur les ondes de la radio et de la télévision nationale, aux
téléséries écrites par des auteurs issus du milieu des lettres et même aux
émissions d’affaires publiques qui font la place belle à la littérature. Je
pense ici à l’éditorial d’André Laurendeau paru dans Le Devoir au
lendemain de la télédiffusion d’Un simple soldat, en décembre 1957.
L’œuvre de Marcel Dubé répond à
tous les critères de ce qu’est un classique de l’écriture dramatique d’une autre
époque, celle préparant, puis participant activement à la Révolution tranquille.
Dubé n’avait pas de véritables modèles de dramaturge québécois, hormis Gratien
Gélinas qui fut aussi précurseur des humoristes dont les Cyniques et Yvon Deschamps
furent les rejetons. Historiquement, le théâtre était le mal aimé de la
culture, car il était considéré comme une distraction malfamée aux yeux du clergé
dont les propos à son sujet étaient semblables à un anathème jeté sur les arts
de la scène.
Dans Marcel Dubé : écrire
pour être parlé, Serge Bergeron fait, pour ainsi dire, le verbatim de l’existence
de l’écrivain, de sa vie familiale à ses derniers jours, en passant par ses
études au Collège Sainte-Marie, sa passion du hockey, sa volonté d’écrire, sa
longue et riche contribution à l’élaboration d’une dramaturgie québécoise, en
passant par sa vie amoureuse, ses succès et ses échecs aussi retentissants les uns
que les autres, jusqu’à la dure réalité de ses graves ennuis de santé et l’impossible
obligation d’accepter l’oubli dans lequel son œuvre et lui-même sombrèrent.
Vouloir résumer la vie et l’œuvre
de Marcel Dubé, je lui emprunterais le titre d’un texte paru dans Le Devoir
du samedi 15 novembre 1958, La tragédie est un acte de foi. Évoquer le nom
de Dubé, c’est faire la synthèse de la dramaturgie québécoise des années 1950 aux
années 1980, à la radio, à la télévision, sur la scène. Mais, il y a plus, car,
en jetant un regard horizontal sur son parcours artistique, on constate qu’il a
été un écrivain polymorphe en créant des drames, des fictions narratives, de la
poésie, des articles dans divers médias et divers documents propres aux
nombreux mandats qui lui ont été confiés.
Serge Bergeron a écrit un récit biographique
à l’américaine, c’est-à-dire sans omettre de détails, certains n’éclairant en
rien son parcours ou son œuvre, mais fixant à jamais l’image d’un homme
exprimant à travers ses textes, surtout ceux dans lesquels il a donné vie à des
personnages fidèles à une certaine société d’une époque révolue, son propre drame
d’un humain toujours en quête d’une existence heureuse quitte à l’inventer. La
résilience dont il a fait preuve durant ses longs séjours en milieu hospitalier
est incommensurable et, ce que peu de gens savent, c’est qu’il a alors connu
une profonde solitude que seule l’arrivée d’une jeune infirmière, Francine Dubé
– ce qui était son véritable patronyme –, réussira à combler.
Les diables de Marcel Dubé, dont son
constant manque d’argent, sa tendance à procrastiner et ses abus d’alcool, auront-ils
eu raison de sa détermination et de son engagement en usant prématurément sa
vie et son talent? Cela a peu d’importance en regard de son héritage littéraire
reflétant un temps passé qui fut une véritable rampe de lancement pour le
Québec d’aujourd’hui. Rendons au dramaturge ce qui lui revient, une photo de
famille comme on en faisait au temps jadis que signe Serge Bergeron.
Marcel Dubé : Œuvres choisies
Leméac, coll. « Corpus »,
2023, 1176 p., 64,95 $.
Évoquer le nom de Dubé résume à lui seul la dramaturgie québécoise des années 1950 aux années 1980, à la radio, à la télévision, sur scène. La rétrospective de plus de cent pièces de théâtre peut laisser croire qu’il fut d’abord un écrivain en résidence à la SRC, mais surtout le père incontestable du théâtre québécois. Son œuvre témoigne du passage de la société canadienne-française, catholique et francophone, à la société québécoise laïque et joualisante. Cette période correspond à la fin du duplessisme et du pouvoir de l’Église, à l’éclosion de la Révolution tranquille. Il fut un écrivain polymorphe créant des drames, quelques fictions, de la poésie, des articles et divers documents propres aux mandats qui lui furent confiés. Les quatorze pièces – ses classiques – et les proses retenues ici illustrent l’ampleur et la richesse de son travail.
Marcel Dubé
Poèmes de sable
Bibliothèque québécoise, 2005, 236
p., 12,95 $.
D’abord paru en 1974, ce recueil de poésie a été revisité et augmenté. Il compte désormais trois parties: un livre dédié à Louise Marleau, un autre à Francine Dubé et un épilogue. Ses vers révèlent autant qu’ils résument tout le talent littéraire de l’auteur, celui dont les œuvres dramatiques sont d’une autre époque. Or, la poésie ne vieillit jamais, la preuve en est ce recueil dont les mots choisis minutieusement et les images qui en jaillissent d’une strophe à l’autre sont sans âge. La poésie et le théâtre sont des formes littéraires dont l’existence dépend de la parole des interprètes, ce que le regretté écrivain comprenait parfaitement. J’imagine aisément ses muses ou sa compagne dire l’un ou l’autre des poèmes en faisant ainsi éclore la plénitude du verbe et la musique qu’il évoque. C’est là le plus bel hommage à lui rendre.