Marie-Hélène Voyer
Mouron des champs, suivi de Ce peu qui nous fonde
(essai)
Saguenay, La Peuplade, coll. « Poésie », 2022, 216
p., 21,95 $.
Femme, femme, femme
Déambulant rue Lafontaine dans le vieux Rivière-du-Loup, il allait de soi d’entrer dans la librairie J.A. Boucher devant laquelle nous étions garés pour y bouquiner. Allions-nous avoir assez apporté de livres pour les deux semaines dans le Bas-Saint-Laurent?
Rappelons que le « Prix des
libraires du Québec est un prix littéraire créé en 1994 par l’Association des
libraires du Québec et le Salon international du livre de Québec. Il "honore
les auteurs dont l’œuvre a retenu l’attention des libraires par son originalité
et sa qualité littéraire" ».
Les prix littéraires n’ont jamais
guidé mes choix de lecture, mais parfois retenu mon attention, c’est le cas de Mouron
des champs. Je me suis souvenu de l’essai dans lequel Marie-Hélène Voyer met
en évidence le peu de cas que nous faisons de notre patrimoine bâti, celui-ci n’étant
parfois qu’un patrimoine de façade, une illusion de nos préoccupations
historiques.
Dans son recueil de poésie, accompagné
de Ce peu qui nous fonde, un bref essai tout aussi poétique, l’écrivaine
se soucie à nouveau d’un aspect du passé, ce qu’il est convenu d’appeler le patrimoine
immatériel que sont les femmes d’hier – nos arrière-grands-mères, grands-mères
et nos mères – qui nous ont légué tant de choses d’aussi loin que notre mémoire
oublieuse se souvient.
Marie-Hélène Voyer a choisi la
poésie narrative pour explorer ce terreau fertile donnant à chacune des neuf
séquences qui composent le livre un titre évoquant un aspect de la féminitude d’un
temps jadis qui n’est hélas! jamais tout à fait terminé et encore moins rayé des
habitudes d’une certaine masculinité contemporaine – d’une certaine « mâlitude »
dominante.
En « avant-dire », elle
énonce sans détour son projet : « il me faudrait tracer l’histoire / de mes vieilles vivantes / toutes
leurs vies raboutées / elles et moi raccommodées / dans un livre / d’amertumes
rieuses / et de joies sombres / ce serait le livre / d’une
mémoire impossible / encagée / et pourtant… l’histoire d’une
voix cénotaphe / qui cherche à retrouver ses mortes / quelque
part entre ses mains / là où l’écriture fait tache ».
Le titre de chacun des segments trace une large fresque sur laquelle les
mots et leur rythme se posent – utile pour reprendre son souffle que la lecture
à voix haute exige (comment s’approprier autrement la poésie?); ils sont à la
fois dits et évoqués comme un mystère révélé : battre la campagne (les
halètements), granges (les suffocations), cuisines (les rechignages), chambres
(les chuchotements), sous les combles (les râles), reliquaires (les hoquetages),
mausolée (les lamentations), caves (les grondements), dans les fosses (les respirs).
L’ensemble crée un portrait de générations de femmes laissant derrière
elles les pièces composant la courtepointe d’un univers féminin sans cesse renouvelé
selon la façon de chacune d’occuper l’espace-temps imposé par les diktats
générationnels, celui des us et coutumes souvent dirigés par des contingences des
États ou des Religions.
De Ce peu qui nous fonde, je retiens les mots de
Marie-Claire Blais mis en exergue et qui reflètent exactement l’image
maternelle que M.-H. Voyer y présente :
« Et ma
mère qui avait toujours eu si peu d’existence pour elle-même, ne vivant que toujours
que pour les autres, sortait de l’ombre comme un portrait inachevé et l’absence
de ses traits effrayés semblaient me dire : "Achève cette brève image
de moi." »
La relation mère-fille m’est
toujours demeurée mystérieuse jusqu’à ce que je m’approche d’une fratrie
féminine, dominée par la présence des hommes de la famille, et que je distingue
chaque pièce d’un jeu de droits et de devoirs que ces derniers imposaient. Or,
la relation de la narratrice de Ce peu qui nous fonde et de sa mère
illustre le devoir (ou, peut-être, le pouvoir) de la transmission du rôle de
mère qui lui a été proposée et dont elle découvre la prégnance dès la conception
d’une enfant. Si bien qu’elle conclut par ce message à sa propre fille : « Il
est long le travail de vivre hors de nos mères. Bientôt, tu connaîtras les mots
pour naître à toi et pour mailler ta vie quelque part dans la grande trame des
vivants. » (195)
« Mouron des champs dit
l’histoire de vies dures et empêtrées, de destinées de filles de fermiers, de
pauvresses du bout du rang, de mères travailleuses infatigables aux désirs corsetés.
Revitalisant brillamment le vocabulaire des parlers populaires, l’écrivaine
fouille les lieux de vie familiaux où se resserrent l’emprise de la domesticité́
et la violence de la contention. Cette poésie profonde et tassée comme un pain
de mie porte la voix des mortes et met en lumière les encagements du passé. C’est l’occasion pour la poète de revenir sur
la disparition de sa mère, cette femme de cendre qui s’effondre, sur les ombres
qui planent depuis l’enfance et sur l’affranchissement que permet l’écriture. Un
souffle d’amour pour apprendre à vivre. »
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