mercredi 14 juin 2023

 Jean Lemieux

Nos meilleurs amis les morts

Montréal, Québec Amérique, coll. « QA fiction », 2023, 336 p., 29,95 $.

Vie de chalet : longtemps après

En ouvrant Nos meilleurs amis les morts, septième enquête d’André Surprenant, le héros imaginé par Jean Lemieux, j’ai fait le chemin parcouru par le roman policier avant d’être reconnu comme genre narratif à part entière, un préjugé qui n’a rien à voir avec les romans de Lemieux.

On se souvient que le sergent-détective Surprenant habite une maison léguée par son oncle Roger avec Geneviève, sa conjointe, et les deux fils d’icelle. Toujours à l’emploi du SPVM, il relève du poste de la Place Versailles. Louis-Philippe Brazeau, « obèse amateur d’opéra », est toujours son coéquipier; Sébastien Guzman, un enquêteur du bureau; leur consœur en congé de maternité n’a été pas remplacée. Les crimes n’en sont pas moins nombreux et le meurtre du notaire Jean-Claude Ladouceur – « saigné comme un cochon » –, les oblige à faire plus avec moins.

Au retour du travail, Mireille McClean a trouvé son époux baignant dans une mare de sang. Rien d’anormal dans la maison, sinon que le meurtrier semble être entré sans difficulté et avoir laissé un carré rouge évoquant les grèves étudiantes sur la scène de crime. Calme, la veuve raconte aux policiers : « J’ai rencontré Jean-Claude quand j’avais vingt ans. Je travaillais avec mon père dans une pourvoirie en Mauricie. Ça ne paraît pas aujourd’hui, mais dans ce temps-là, j’étais une fille de bois. »

La mise en situation de l’intrigue livre juste ce qu’il faut de détails pour nous lancer sur la piste des protagonistes initiaux. Jean Lemieux est soucieux du détail des personnages qu’il imagine, tantôt un aspect physique, tantôt leur façon d’être. André Surprenant n’est pas que policier, mais aussi un compagnon de vie, un père et un grand-père. Les stéréotypes ne sont pas absents, mais l’usage qui en est fait illustre l’impétuosité de certains protagonistes. Le journaliste Vandal, par exemple, fait encore des « échanges » d’informations avec Surprenant selon le protocole non écrit du donnant-donnant.

En bon père de famille, Surprenant s’intéresse ici à son beau-fils William, un cégépien actif au sein du mouvement des Carrés rouges. C’est là une des mises en abyme conférant à la trame des allures de poupée-gigogne dont l’accumulation soutient l’ensemble.

Lors d’une réunion portant sur le meurtre de Ladouceur apparaît Robert Coupal, directeur adjoint du SPVM. On s’interroge sur cette soudaine visite, Surprenant plus que les autres puisqu’il connaît bien Coupal, car ils furent confrères à l’école de police.

Dans le contexte d’un crime non résolu, un nouveau meurtre survient dont le scénario est semblable au précédent. Vincent Liggio, la victime, habite le « frigo », un immeuble transformé en dispendieux et mystérieux condos. Liggio est réputé faire partie de la mafia italienne et chargé du blanchiment de l’argent du crime.

On adjoint enfin une nouvelle enquêtrice au poste Versailles. Alice Verreau, une jeune policière, a de l’allant et apprécie l’expérience et le style de Surprenant dont elle devient la coéquipière.

Le notaire Ladouceur était, dit-on, un homme discret autant dans sa personnalité que dans sa pratique du droit notarial. On sait cependant qu’il a été impliqué dans diverses transactions immobilières concernant le « frigo », que des sommes de son compte en fidéicommis ont transité par des institutions liées au banquier Pierre Melanson. Le romancier lève petit à petit le voile sur cet homme qui règne sur l’univers de plusieurs personnages.

C’est le cas de Léonard McClean, le beau-père de Ladouceur. Âgé et malade, cet homme au tempérament pugnace ne s’en laisse pas imposer, employant une violence verbale qui augure de possibles gestes brutaux. Plus l’enquête sur le premier meurtre progresse, plus McClean père revient dans les discussions, notamment au sujet du chalet de Mireille McClean à Saint-Roch-de-Mékinac, où est également situé un domaine appartenant à Melanson, là où s’est noyée la jeune Ariane Bellemare des décennies plus tôt.

Diverses hypothèses laissent croire que les meurtres de Ladouceur et de Viggio sont d’ordre financier, surtout que, dans les heures suivant ces assassinats, leurs comptes de banque ont été vidés.

Côté vie familiale, nous rencontrons Laurie, la fille naturelle de Surprenant, « la cadette née d’une aventure dans un congrès en 1987 » et dont il a appris l’existence des années plus tard. Devenue policière comme lui, sa première affectation à la SQ est en Abitibi. Geneviève, sa compagne, lui suggère de passer du temps avec Laurie. C’est ainsi qu’elle l’accompagne à Shawinigan. Hélas, Laurie se trouve au mauvais endroit au mauvais moment et elle est victime d’un tireur, probablement celui qui a commis les meurtres.

Une troisième victime s’ajoute, Mireille McClean noyée dans sa piscine. Les enquêteurs menant plusieurs enquêtes simultanément, ils en viennent à considérer qu’il y a un lien entre elles. C’est la piste du lointain passé du notaire, celui de sa femme, du père de celle-ci, du domaine de Melanson et de Melanson lui-même, ultime point de convergence sous l’aura du jeu d’échecs. L’imbroglio semble inextricable jusqu’à ce que les policiers fassent le lien entre la noyade présumée de la jeune Ariane Bellemare et ceux qui ont jadis fréquenté le domaine de Melanson. Même Robert Coupal est associé à cet événement.

Je tairai la chute de l’histoire. Chose certaine, le roman de Jean Lemieux mérite un vaste lectorat tant par l’intrigue principale que par les aventures secondaires, chacune ayant un lien avec la cascade de rebondissements. Moi qui ne suis pas un aficionado des polars, je me suis laissé emporter par le rythme fou des aventures, l’humanisme des personnages, même les plus torves et leur typologie minutieusement bien élaborée. L’expression qui me vient pour résumer l’histoire: hyper captivante ou, comme on dit outre-Atlantique, voilà un vrai « page-turner ».

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