Gilles Archambault
La candeur du patriarche
Montréal, Boréal, 2023, 112 p., 19,95 $.
Il habite tous ses livres, tous ses livres l’habitent
Un quarante-quatrième ouvrage paraissant en soixante ans d’écriture, ce n’est pas une mince affaire en cette Amérique française. Gilles Archambault mérite mieux que cette simple constatation, car non seulement a-t-il créé un univers narratif original, mais il lui a insufflé sa façon de penser, son ironie et sa manière de dire. Il habite tous ses livres et tous ses livres l’habitent.
La candeur du patriarche,
arrivé mi-avril, est un recueil de récits brefs comme le furent ses trois ou
quatre précédents titres. Ici, les vingt-sept narrations sont des instantanés de
souvenirs qui se reflètent dans le miroir de l’âge, leur prégnance les rendant intemporels.
Ainsi, « Naissance » et « Tout dire », le premier et
dernier récit, expriment l’émerveillement du patriarche devant Gustave, son arrière-petit-fils,
et l’avenir que la seule présence de l’enfant annonce, ne serait-ce que de se
tenir debout. Sera-ce que la position du corps, la détermination ou les deux?
Comme l’écrivain le rappelle en citant Chamfort (1740-1794) : « L’homme
arrive novice à chaque âge de la vie ».
Depuis Combien de temps encore?
(2017), Gilles Archambault pratique la remembrance. Pas question de se flageller
en raison d’erreurs du passé sur lesquelles il n’a aucune emprise. Pas question
non plus d’élaborer des projets d’un avenir à trop courte vue. Que faire de tout
le fatras que la vie laisse derrière soi comme autant d’objets accumulés qui n’ont
de sens que pour nous et qui, éventuellement, embarrasseront les héritiers, tels
ces souvenirs de voyage ou ces livres écornés, sinon de les regarder une
dernière fois pour les vider de la mémoire ou du souvenir qu’ils y ont laissé.
Parmi cet enchaînement d’instantanés,
je reviens sur « Naissance » que l’écrivain lut sur Ici-Radio, le 18
juin 2022, à « l’occasion du départ à la retraite de Joël Le Bigot »
avec qui il a collaboré pendant 23 ans, livrant quotidiennement un billet d’humeur.
Pour avoir été un fidèle auditeur de cette émission comme je le suis des livres
de G. A., son humeur était comme un vent sur lequel la journée prenait son
envol. Subrepticement, ses mots du matin rejoignaient ceux de ses livres dont j’ai
lu et recensé la majorité avec un plaisir sans cesse renouvelé. Et même si l’écrivain
s’en défend, il est pour moi une des grandes voix de la littérature québécoise
des cinquante dernières années.
Constater, puis réfléchir à voix
haute : voilà, je crois, l’essentiel du propos de La candeur du
patriarche. Au hasard, ce « je ne lis plus tellement de romans »
(17), une opinion à laquelle j’adhère secrètement. Parlant de Montaigne,
Diderot ou Stendhal – terreaux fertiles de générations d’intellectuels – il
écrit : « Puis-je surtout les accuser d’avoir fait de moi un manieur
de mots qui, devant la mort qui guette, note des impressions parfois
contradictoires, s’éblouit, se désespère, s’étonne et se trouve bien naïf? »
(18)
Cette naïveté peut-elle encore seoir
à un homme de bientôt 90 ans ou était-ce une façon de confondre la réalité du
grand âge? Au tournant d’une page comme d’un récit à l’autre, la naïveté dont
Gilles Archambault se réclame s’apparente à la candeur du titre, plus près de l’honnêteté
que de l’innocence. « Fumée sans feu », récit d’un assoupissement sur
la galerie de sa résidence que des voisins empressés ont confondu avec un
quelconque malaise – encore le grand âge mis à mal – et qui ont composé le 911,
auquel les premiers répondants – pompiers, autopatrouille, ambulance, etc. –
ont vite répondu, sortant de son val le dormeur sans qu’il comprenne cet émoi.
Ah! les bonnes intentions dont l’enfer est pavé, car « [ma] sieste prenait
[ainsi] une étrange allure. Je croyais me réfugier dans une oasis, je devenais
un cas médical. » (21)
« Peur de la mort », une
question ou non? « Que puis-je répondre sinon que je crains surtout la
dégénérescence qui précède souvent l’entrée dans le néant? » (23) Ou alors,
la définition qu’Ambrose Bierce donne à la longévité, cette « "prolongation
peu commune de l’angoisse de la mort." » (27)
Parmi les choses de la vie qui sont
importantes pour Gilles Archambault, outre sa famille, il y a ces quelques personnes
qui furent ce qu’il est convenu d’appeler des amis au sens ancien du terme,
lequel n’a rien à voir avec les clics facebookiens. L’écrivain et professeur François
Ricard est en tête de cette courte liste. « Cet homme était pour moi l’incarnation
rêvée de l’amitié. » (28) Décrire la réalité de l’amitié, du sentiment aux
gestes, n’est pas chose facile, mais G.A. en trace le périmètre en relatant
diverses situations que Ricard et lui partagèrent. Sur le plan professionnel, il
fut : « Conseiller littéraire aux éditions Quinze, chez Alain Stanké,
puis au Boréal, François m’a servi de guide pendant plus de quarante ans.
Lecteur exigeant, il savait tout aussi bien reconnaître la justesse d’une
phrase que souligner avec tact une maladresse. » (30) Du côté de l’intimité,
« Jacques Brault était déjà un ami très cher. Il a suffi de quelques
années, dix ou douze, pour que François devienne lui aussi un confident d’exception. »
(31)
Le nom de Jacques Brault évoqué, c’est
lui qui est le sujet de l’avant-dernier récit. « La mort des amis, bien
que répétée, n’est jamais une habitude. Il était entendu que Jacques mourrait
dans peu… Sa mort, je la souhaitais depuis plusieurs mois [J. B. souffrait d’un
cancer]. Pour moi, Jacques Brault a été à la fois un confident et un maître… Il
était un universitaire reconnu, j’étais au mieux un ouvrier de l’écriture,
tâchant de manier des mots qui m’aideraient à trouver un sens de la vie. »
(97-98) Souhaiter sa mort pour ne pas le voir souffrir, Archambault lui-même ne
voulant pas avoir à sombrer dans la déchéance ultime d’une fin de vie cancéreuse.
J’annote mes lectures pour m’approprier
les œuvres. Or, La candeur du patriarche est à ce point surligné et
commenté en marge que je pourrais presque construire un vingt-huitième récit
que j’intitulerais « État d’esprit » et qui relaterait la philosophie
existentielle de l’écrivain Archambault qui se cache derrière son expérience d’un
homme de grand âge. « Est-ce à cause de cela ou était-ce à cause de mon
âge, depuis quelques années, on semble s’attendre à ce que je sois devenu une
sorte de vieux sage. J’en ai l’âge, après tout. Pourtant je n’ai aucune disposition
à ce rôle. Si j’affirme ne pas avoir de cauchemars peuplés par l’ombre de la
mort, je n’oublie pas que je n’y suis pour rien. Ce trait de mon caractère, je ne
l’ai pas façonné. Il m’a été donné à la naissance. » (61)
Je ne peux parler de ces récits sans
dire un mot de « Montparnasse ». L’écrivain y raconte sa relation avec
la Ville lumière : « Depuis près de cinquante ans, Paris avait été
pour moi une destination d’élection. Une bonne centaine de fois, en mission ou
autrement, j’avais choisi différents hôtels de la rive gauche. » (76) Il y
a là, je l’avoue, un peu de jalousie, car, même si je suis allé beaucoup moins
souvent dans la capitale française, j’y suis très attaché, notamment à
Saint-Germain-des-Prés. Il n’est pas uniquement question de Paris dans ce
récit, mais bien des limites que l’âge impose. « Vieillir, c’est aussi l’entêtement
de tenir coûte que coûte à certaines lubies. Ce peut être aussi la pauvre
audace d’obéir à des inclinaisons d’autant plus invitantes qu’elles n’ont pas
été créées par la dernière mode. » (79)
Je pourrais continuer à visiter un
à un les récits, mais je fais confiance aux lectrices et aux lecteurs qui
seront tentés de se plonger dans ces fragments d’histoires. À qui s’adresse cet
ouvrage, demandez-vous? Les gens âgés ou ceux du grand âge se sentiront interpeller.
J’aimerais bien connaître l’opinion de jeunes ou de très jeunes adultes pour
qui la fin de vie n’est pas à l’ordre du jour, ni la leur, ni celle de leurs
parents.
Sachez qu’il y aura un prochain
livre de Gilles Archambault en 2024. Il a annoncé Vivre à feu doux au
cours d’une entrevue à Émilie Perreault. Je vous invite d’ailleurs à prendre le
temps d’écouter cet entretien (disponible sur RC Ohdio, "Il restera toujours
la culture", 3 mai 2023) portant sur La candeur du patriarche. Il y
a ajouté quelques réflexions de même nature que celles du recueil, dont celle-ci :
« Écrire ressemble beaucoup à aimer. Aimer quelqu’un, c’est placer la
possibilité du bonheur dans l’autre. C’est périlleux, mais c’est ce qu’il y a
de plus beau dans la vie. »
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