Pascale Navarro
La classe de danse
Montréal, Leméac, 2022, 120 p., 14,95 $.
La passion comme art de vivre
Il est des voix qu’on entend, mieux qu’on écoute, et qui laissent une trace indélébile dans notre arrière-mémoire, laquelle nous les rappelle fréquemment comme si leurs échos nous appartenaient depuis la nuit des temps. La journaliste, écrivaine et conférencière Pascale Navarro est une de ces voix entendues à l’époque où elle était chef de pupitre de la section "Livres" et responsable de la chronique "Danse" de l’hebdo Voir. Je crois avoir lu la plupart de ses recensions dont la pertinence critique et la justesse de ton correspondaient alors à ma façon d’aborder la littérature.
Revenons à La classe de danse
qui est un exercice de mémoire animé par des souvenirs très précis, jusque dans
les moindres détails. D’entrée de jeu, c’est la forme du récit qui m’a séduit,
car, même si je ne connais absolument rien de cet univers, le monde de la danse
tel que Pascale Navarro nous le fait découvrir a quelque chose d’émouvant.
Comment pourrait-il en être autrement quand notre guide est une enfant
passionnée pour qui la classe de danse est son univers fait de musiques, de
mouvements et d’efforts constants. C’est aussi celui de l’apprentissage d’une
discipline personnelle qui, l’ignorant alors, transcendera la seule pratique de
la danse qui s’introduit dans la vie de l’enfant jusqu’à devenir préalable à
tout mouvement du cœur, du corps et de l’esprit. Bref, la classe de danse est tels
l’alpha et l’oméga de sa vie bien qu’elle soit « partagée entre le plaisir
de danser et la panique à l’idée que des yeux m’observent. Cette impression d’une
faille qui se creuse ne me quittera plus. » (45)
La trame du récit est organisée
comme une véritable classe de danse en faisant sien ce qui me semble être ses
cinq temps : la barre, le centre, la scène, les coulisses et le mouvement.
Puis, chacune des séquences compte divers exercices visant à les pratiquer de la
meilleure façon possible jusqu’à ce que chacune des habiletés requises atteigne
ce qu’on appelle alors « la perfection ». Oserais-je écrire : l’enfant
s’en va en guerre, l’échec est impensable.
Puis, l’écrivaine – n’oublions
pas que Pascale Navarro est d’abord et avant tout une professionnelle de l’écriture
– ajoute à tous les instants la référence à la pièce musicale utilisée par les
professeures comme ambiance de la répétition : de Bach à Tchaïkovski en
passant par Smetana et Adolphe Adam, mais aussi par André Gagnon ou Gipsy
Kings. Peut-on parler de l’éclectisme musical des professeures ou de la jeune
narratrice? Pour cette dernière, ses références musicales sont d’abord
classiques et elle devient plus curieuse au fur et à mesure qu’elle prend une
distance avec l’art du mouvement et laisse son adolescence se manifester et s’exprimer.
Lire quelques passages de La
classe de danse en écoutant la pièce musicale à laquelle le texte fait
référence est une expérience que je recommande, car vous verrez peut-être comme
moi les artistes en plein apprentissage. Vous visualiserez alors le lien entre
la narration et la trame musicale qui l’inspire. Vous comprendrez, j’en suis
certain, que lorsqu’on lit, on ne sait jamais si ou quand l’émotion surgira. Il
ne faut surtout pas l’attendre, mais la laisser poindre cette charge
sensorielle difficile à traduire en mots, sinon en l’évoquant.
La classe de danse est tel
le journal intime d’une enfant de huit ans, d’une adolescente et d’une jeune adulte
de dix-huit ans qui vit un rêve jusqu’à ce qu’elle comprenne, comme Brel dans « La
quête », qu’elle fait un impossible rêve. Comment alors donner un sens à son
existence centrée sur la passion d’un art pour lequel elle a engagé sa jeune
existence, voire hypothéquer l’avenir? Pascale Navarro communique avec finesse
la violence qu’elle ressent lorsqu’on lui dit crument qu’elle est renvoyée de l’école
de danse. Une violence aussi agressante que celle ressentie un soir de ses quinze
ans où elle va « rejoindre cet ami de la famille à l’université, où il
enseigne… Quand je sortirai de là [écrit-elle], quelques minutes plus tard, ma
vie sera sens dessus dessous. Je sais que je ne serai plus jamais la même. »
(39) Finesse et violence ne vont pas ensemble, direz-vous, mais c’est ce qu’on comprend
dans ces passages où on l’oblige à renoncer à ses projets d’avenir comme on l’a
fait de son innocence.
Que faire alors? « Je dois
prendre ma place, je ne sais pas laquelle, ni ne sais de quoi mon avenir sera
fait. » (102) Après le visionnement de Pas de deux (1968), un
documentaire de Norman McLaren produit par l’ONF, elle se demande : « Comment
dire cette fusion entre la musique, le mouvement, les corps? On dirait que la
danse veut se frayer un chemin dans ma tête. Par ma main qui écrit, elle veut continuer
à exister. » (103) La suite de cette réflexion fait l’histoire.
On connaît le militantisme féministe
de Mme Navarro. En lisant La classe de danse, il me semble manifeste que
passion, militantisme et discipline sont indissociables de la femme qu’elle est.
Il ne faut surtout pas oublier l’importance, parfois déterminante, des camarades
de classe et des amitiés, balises vitales sans lesquelles parcourir cette route
aurait été difficile, voire impossible.
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