mercredi 11 janvier 2023

Marie-Renée Lavoie

Boires et déboires d’une déchicaneuse

Montréal, XYZ, 2022, 256 p., 24,95 $.

Quelques solutions temporaires plus tard…

La grande littérature n’a pas toujours besoin de drames démesurés alimentés par des personnages de haute classe ou de basse vilenie. À se demander si elle en a vraiment besoin, la vie quotidienne n’étant pas toujours un long fleuve tranquille. À preuve, Autopsie d’une femme plate (2017) et Diane demande un recomptage (2020), deux histoires truculentes racontées par Marie-Renée Lavoie dans lesquelles Diane Delaunais, sa progéniture et son ex, et Claudine Poulin et ses filles, déroulent sous nos yeux les aventures de femmes qui sont tout sauf plates.

Jamais deux sans trois et voilà Boires et déboires d’une déchicaneuse, un roman palpitant. Nous y retrouvons les mêmes protagonistes auxquels s’ajoutent des voisins et de nombreux collègues de travail. Diane, on s’en souvient, a été remercié pour cause de restructuration et a trouvé un poste temporaire dans un service de garde en milieu scolaire. La période estivale arrivée, son amie Claudine – toujours copropriétaire du duplex qu’elles partagent et dirigeante des ressources humaines de l’entreprise qui a remercié Diane – est aux prises avec un grave problème : encore, diminuer le personnel pour réduire les coûts et, surtout, faire une place au gendre de monsieur Johnson, le grand-patron.

Claudine en a plein les bras avec son boulot quotidien et elle offre à Diane un contrat temporaire pour venir à son secours. « Mandat de six semaines seulement, les boss veulent que le ménage soit fait avant l’automne… C’est pas des affaires compliquées, juste de chicanes normales, du monde qui s’haïssent, qui se plantent des couteaux dans le dos… » (11) Titre de la fonction : chargée de la "synergie des équipes professionnelles et numériques".

Le spectacle, mettant en vedette Diane et quelques membres du personnel de l’entreprise, peut commencer. Je remarque daredare que la présentation de celles et ceux qu’elle rencontre est faite à la façon d’un bref CV. Par exemple, « Jean-Jean, dit Johnny – 51 ans, moto de route, motomarine, vêtements de moto, modèles réduits de moto, filles sur des motos… » (15) ou « Carole – 52 ans, tutoriels de coiffure, couchers de soleil, Céline Dion, chats dans des boîtes, confitures maison, fougère en tissu… »

Le travail de Diane et celui de Claudine, devenue sa patronne, déborde sur leur amitié et leurs habitudes de copropriétaires. Même si elles s’imposent de ne pas parler travail à la maison, il leur arrive de confondre métier et repos, pour notre plus grand plaisir d’ailleurs. C’est dans leurs fréquentes conversations qu’elles ont recours aux « solutions temporaires », c’est-à-dire boire un coup ou deux.

Il en va de même lorsqu’on retrouve les trois enfants de Diane – Charlotte étudiante en médecine vétérinaire, mère Theresa de la cause animalière, son compagnon Dominique (Doum pour les intimes); Alexandre, en Angleterre; Antoine, geek en informatique, et sa compagne Malika.

Claudine n’a plus qu’Adèle sous son toit, une ado âgée de seize ans qu’elle nomme affectueusement la « petite baveuse » ou, mieux, la « petit' crisse ». La chère Adèle s’amuse à jouer la mouche du coche, l’empêcheuse de tourner en rond des deux maisonnées; les joutes verbales et ses actions, aussi imaginatives que vengeresses, agrémentent le récit.

Pour compléter l’environnement du duplex, la romancière a imaginé des voisins de ruelle qu’elle a prénommés les Ostimans. Si, Diane et Claudine ont jadis semblé lever le nez sur ces buveurs de « petites frettes », il a suffi que Fiouze – le chiot cardiaque que Charlotte a confié à sa mère – se prenne la tête dans le décor de l’escalier et qu’un Ostimans le sauve pour qu’il tombe dans leurs bonnes grâces.

Il y a aussi Madeleine, une dame âgée à laquelle Diane est venue en aide dans une précédente aventure et qu’elle visite régulièrement dans le RPA qu’elle habite. Or, Madeleine est en perte d’autonomie, ce qui oblige Diane à s’intéresser à cette situation et à être compatissante. Les scènes mettant en présence les deux femmes sont émouvantes et s’inscrivent dans les perspectives sociales que l’ensemble du roman met en relief. L’humour, c’est connu, est une voie royale pour de telles discussions littéraires.

Revenons au bureau. Diane profite de son titre faussement associé au numérique pour rencontrer Étienne et Dylan, les informaticiens de la boîte logés au sous-sol de l’édifice. Elle les traite aux petits oignons, consciente qu’elle n’a pas les autorisations appropriées pour faire les demandes qu’elle leur adresse. Les échanges qui suivront cette première visite et ce que chacun des protagonistes en retirera est un clin d’œil à la nébuleuse numérique, avec un bref arrêt sur les réseaux sociaux et à une mystérieuse influence sur la société où ils travaillent.

Toute la distribution gravitant autour de l’univers de Diane, de Claudine et de certains membres du personnel de la société qui les embauche participe à l’évolution de la trame narrative de diverses façons, tantôt risibles aux éclats, tantôt humainement tristes. Comme on disait jadis : où il y a homme, il y a hommerie. C’est le regard que jette Marie-Renée Lavoie sur celles et ceux qui animent le récit qu’elle imagine qui concilie difficultés de vivre, multiples quiproquos et sentiments de tous les niveaux qui font de Boires et déboires d’une déchicaneuse une histoire caricaturale d’une réalité hélas trop fréquente lorsqu’on doit réduire les effectifs dans le cadre d’une restructuration.

Les solutions à divers problèmes que Diane observe dans le cadre de la mission qu’on lui a confiée sont pour le moins imaginatives. Je pense, par exemple à Fernand, l’homme à tout faire de l’entreprise qui part à la retraite et qu’on ne veut pas remplacer. Diane considère son travail indispensable pour tous et elle invite Lydia, la fille très compétente de la quincaillerie qui l’a souvent dépannée, à postuler. Que dire de son tour de passe-passe pour faciliter la vie des deux informaticiens, sinon qu’il suffit parfois de peu pour préserver la bonne entente.

Marie-Renée Lavoie m’a à nouveau fait passer de bons moments grâce au microcosme qu’elle anime à travers ses personnages et les aventures, parfois rocambolesques, qu’elle leur fait vivre. Il y a quelque chose de très actuel dans l’ensemble du récit comme si nous assistions, béats, au spectacle de la condition humaine de ce millénaire. Cela sans prêchiprêcha, sinon qu’il y a plus de solutions que de problèmes.

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