Thierry Pardo
Petite éloge du mouton
Montréal, du passage, 2022, 64
p., 19,95 $.
Alpage urbain aux allures bucoliques
Le premier mouton de ma souvenance passait tous les ans sur un char allégorique accompagné d’un enfant blond et frisé, vêtu d’une peau d’agnelet, représentant Saint-Jean-Baptiste. Cette fête est devenue, des décennies plus tard, notre Fête nationale. Le second mouton croisé fut celui de Panurge, personnage de François Rabelais, cet auteur français du XVe siècle dont j’aime revisiter la prose tonitruante.
Je me suis rappelé Weedon ou la
vie dans le bois (du passage, 2020), un récit également signé Thierry Pardo,
qui portait sur l’espace de liberté de cette municipalité de la MRC du
Haut-Saint-François, en Estrie. En exergue, il y a cette phrase de H. D. Thoreau :
« Je partis dans les bois parce
que je voulais vivre selon mûre réflexion, affronter seulement les faits
essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais apprendre ce qu’elle avait à
enseigner, pour ne pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n’avais
pas vécu. »
Je vois, dans ce livre et maintenant dans Petit éloge du
mouton, un appel à une vie distincte de celle de la majorité des citadins,
différente aussi de la vie de campagne que les fin-de-semainiers s’inventent
sur les rives d’un lac, d’une rivière ou même à la montagne. Une vie zen, occasionnellement
contemplative.
Le projet Biquette compte sur une
équipe des bénévoles qui veillent sur le petit troupeau et sur les passantes et
passants, adultes ou enfants, surpris de voir les moutons en liberté. L’auteur
fait remarquer qu’on « s’aperçoit assez vite que notre connaissance de cet
animal si familier est grandement lacunaire. » Par exemple, « on
ignore parfois que mouton est le nom générique désignant les brebis (femelles),
les béliers (mâles), les agneaux et les agnelles (jeunes). »
Cette méconnaissance se raffine quand
on pense que le mouton vit en écosociété avec ses semblables avec, pour
principale préoccupation, de paître la journée longue. « D’où que l’on se
tourne, le mouton est là, placide, occupé à brouter comme si le reste du monde était
suspendu à sa mastication. »
« Le mouton et la laine maillent
notre histoire » est un des onze chapitres du livre, chacun portant sur un
aspect de l’existence du mouton, dont ses rapports avec ses semblables ou les
humains. « La sélection des espèces par les pasteurs de toutes les époques
a permis d’avoir des moutons pourvoyeurs de fibres, créant ainsi une dépendance
à la tonte, aux ciseaux et aux bergers. » (19)
En observant attentivement chacune
des bêtes, l’auteur Pardo constate que la « personnalité des moutons est
aussi diverse que la nôtre. Les plus jeunes suivent leur mère et tentent de lui
voler une tétée par surprise. Parmi eux, il y en a toujours un qui lance la
course, ou la bataille. Face à face, les agneaux se donnent des coups de crâne.
Il y a toujours un jeune moins joueur, plus réservé que les autres. Les adultes
ne participent pas à ces joutes. » (38)
La différence notable entre eux
et nous repose, selon ma lecture, sur le fait que « le travail trône au
panthéon [de nos] valeurs » (47) et que cueillir l’herbe est l’activité
principale de l’animal. « Les moutons ont une période de récolte et une de
repos où ils ruminent leur repas, et, pendant leur moment de cueillette, ils n’aiment
pas être importunés. » (49)
Et le berger, alors? « En
réalité, le berger se laisse guider par le mouton et pas seulement physiquement
à travers le parc. Il se laisse bercer par la régularité de sa mastication.
Cela agit comme un mantra méditatif sur l’âme et, petit à petit, le berger s’apaise
de l’intérieur. » (53)
Le pâturage montréalais n’est pas
un jardin zoologique et permet plutôt « la rencontre naïve, simple et
anachronique avec un troupeau de moutons au détour d’un bosquet montréalais.
Cette anomalie temporelle crée chez l’enfant, chez l’ancien une émotion immédiate.
La surprise est encore plus belle lorsque le promeneur se rend compte que les
moutons sont libres, sans collier ni clôture. Cette liberté est d’une incroyable
insolence à l’époque où tout doit être sous contrôle. » (59)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire