mercredi 9 mars 2022

Jean Désy

Nous sommes poésie : rencontres sur les sentiers de la poéticité

Montréal, XYZ, 2022, 280 p., 24,95 $ (papier), 18,99 $ (numérique).

À la mémoire d’un ami poète

Les années durant lesquelles j’ai fréquenté Jean Royer furent et demeurent marquantes pour l’homme vieillissant que suis. De tout ce que mon ami Jean m’a appris, la plus importante que la poésie est d’abord et avant tout une façon d’appréhender la vie en considérant ce qui nous entoure dans son essence plutôt qu’en son apparence. J’évoque Jean parce que je crois qu’il aurait adhéré aux propos de Nous sommes poésie : rencontres sur les sentiers de la poéticité, une suite de « rencontres sur les sentiers de la poéticité essentielle » qu’a eu Jean Désy et dont il relate l’essentiel du verbatim.

Jean Désy est une figure marquante de la polyvalence des êtres humains, celles et ceux qui ont le talent de ratisser large sur les routes qu’ils croisent, n’hésitant pas à emprunter les chemins de traverse. Polyvalence professionnelle d’abord puisqu’être médecin ne lui a pas suffi, même s’il s’est engagé dans une pratique dans divers pays avant que le Grand-Nord devienne son port d’attache. Polyvalence professionnelle, car, passionné d’écriture, Jean Désy est retourné sur les bancs d’université pour apprendre à colletailler les grandeurs et les misères de la littérature, une voie royale pour communiquer ses passions grâce au récit ou à la poésie. Il a même convaincu les autorités d’accepter qu’il enseigne la littérature en classe de médecine.

Je vous suggère d’ailleurs de lire, gratuitement, le numéro 165 de la revue Lettres québécoises sur le site Érudit (https://www.erudit.org/fr/revues/lq/2017-n165-lq02958/) pour le mieux connaître.

Revenons à Nous sommes poésie, un essai empruntant la forme d’un dialogue entre l’auteur et une trentaine de connaissances. Ces rencontres ont eu lieu dans la nature familière à Jean Désy et qui convenait aux dix sujets de discussion proposés. L’élaboration de chacune de ces conversations, animées par la passion des interlocuteurs, est introduite par une mise en situation cernant les domaines abordés mais jamais conclus, sinon en évoquant des pistes que lectrices ou lecteurs peuvent développer à leur guise ou selon leurs intérêts.

Je retiens deux mises en situation à titre d’exemples. L’écrivain-médecin présente ainsi « Poéticité et vie nature » : « Il existe, certes, des poésies urbaines, des textes de qualité supérieure essentiellement inspirés par la ville, certaines grandes villes en particulier, et par la multitude humaine. En ce qui me concerne, je dois avouer que le monde des forêts, des rivières, des lacs vierges et des animaux sauvages, de la taïga et de la toundra, a constitué le terrain privilégié où j’ai pu ressentir la poésie du monde. » Il en va ainsi des « Différents langages poétiques », mise ainsi en situation : « Les différents langages poétiques utilisés sous leur forme "parabolique" (parabolique étant utilisé dans le sens "telle une parabole") sont essentiels parce que l’imagination active importe, surtout si on accepte de l’intégrer à la lecture, à la réception d’un texte. Les seules compréhensions logique ou rationnelle ne suffisent pas à nourrir une création, qu’elle soit littéraire ou autre, à la faire évoluer jusqu’à ce que, grâce au lecteur, à la lectrice, elle prenne son envol. »

« Une autre étape de la révolution cartésienne [« bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences »] amorcée depuis plusieurs siècles, qui a mené l’humanité au bord de l’effondrement, doit cette fois tourner autour de la quête de grâce, c’est ma conviction intime… Ces années-ci plus que jamais, donc, l’essentiel révolutionnaire se doit d’être poétique. Personne ne peut s’épargner d’intenses plongées dans la poésie des lieux, des espaces, du temps et des êtres. Il faut considérer que ce ne sera que dans une réelle volonté de fusion rationaliste-irrationaliste, dans un amalgame foré entre le matérialisme technoscientifique et les arts… que l’humanité pourra reprendre contact avec l’amour des sols, des montagnes, des arbres, des insectes, des oiseaux et des mammifères. L’amour, mais un amour gratuit, agapan [amour en grec], représente la bouée vers laquelle l’humanité doit diriger son navire dans ce voyage qui est le sien. Et pour boussole, je propose la poéticité, avec en vigie, le poète. »

« Entrer en poéticité, c’est accepter qu’une portion de l’essentiel du monde nous imprègne, nous transforme, nous transporte, nous ouvre les portes d’un universel auquel nous rêvions, peut-être, mais que nous n’avons pas encore vraiment touché, ou auquel nous n’avons pas rêvé. »

Or, « Les voies poétiques sont hermétiques qu’en apparence. Il s’agit que tout être épris de liberté laisse voyager son imagination, comme ses aspirations les plus intimes, pour que la poéticité s’empare de son esprit. »

Nous sommes poésie : rencontres sur les sentiers de la poéticité n’a absolument rien d’ésotérique en proposant de regarder le monde dans son entièreté – les individus, la nature animale et végétale, le climat et ses composantes –, non seulement le percevoir mais d’y adhérer de façon novatrice. Ainsi, les deux dernières années planétaires, baignées dans les eaux troubles de la pandémie, sont l’occasion de changements drastiques des paradigmes de vie en société. Revenir à une certaine normalité – qui peut d’ailleurs la définir? – ne peut être la même qu’avant ce bouleversement durant lequel tous les enjeux sociétaux ont été exacerbés, notamment l’écart entre richesse et pauvreté. Les fossés de tout ordre, même en les voyant se creuser jour après jour, n’ont ainsi fait que s’élargir. Or, la « poéticité » proposée par Jean Désy, ses interlocutrices et interlocuteurs, sans être la panacée, me semble être une voie inspirante pour effectuer une vraie transition entre l’hier idéalisé et le lendemain novateur.

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