Mathieu Thomas
Ceux dont on ne redoute rien
Montréal, Québec Amérique, coll. « Littérature d’Amérique »,
2021, 448 p., 29,95 $.
Voyager dans le temps et le contretemps
Imaginez deux routes parallèles. L’une raconte une histoire contemporaine. L’autre, une semblable sinon la même se déroulant au 19e siècle. Pourtant, il s’agit d’un seul et même récit. Celle d’autrefois est enchâssée dans celle d’aujourd’hui, une mise en abyme. L’une et l’autre s’appuient sur dire la « reconstruction historique fictive à partir d’un fait historique qui aurait eu des conséquences différentes si les circonstances avaient été autres », une uchronie.
Voilà la proposition que nous fait Ceux dont ne redoute de rien, premier roman de Mathieu Thomas. Cette rigueur stylistique va de pair avec les recherches historiques nécessaires au réalisme et à la vraisemblance du récit, alternant d’une époque à l’autre, de personnages ayant vécu jadis à des contemporains fictifs.
En toile de fond, le nationalisme
québécois à la Louis-Joseph Papineau (1786-1871) voulant faire obstacle à la
création de la Confédération canadienne et à celui évoqué par la fondation d’Option
Nationale par Jean-Martin Aussant, le 31 octobre 2011. Pour relier e façon
crédible ces deux événements, il y a la découverte inopinée de documents anciens
par Édouard Martin et Sandrine Borel, chacun habitant un logement propriété d’une
vieille dame peu amène.
Un jour, cette dernière frappe à
leur porte pour qu’ils l’aident sur le champ à colmater une fuite d’eau à la
cave. C’est durant cette opération, au milieu d’un fatras d’objets hétéroclites,
qu’ils découvrent les documents, si bien dissimulés que personne ne doit connaître
leur existence, et se les approprient. Ainsi débute le match entre hier et
aujourd’hui, entre les recherches d’Édouard et Sandrine, et celles de Charles
Sévigny en 1864.
Les fameux documents sont en
piètre état, mais Édouard et Sandrine parviennent à les déchiffrer. Cela les
amène dans une maison abandonnée, dans les Basses-Laurentides; sur place, ils trouvent
d’autres documents dans la paroi d’un vieux foyer.
Pendant ce temps, un siècle plus
tôt, nous entrons dans l’imprimerie de Médéric Lanctôt, fervent nationaliste et
éditeur du journal L’Union nationale, où circulent ses amis patriotes
pendant que son fidèle typographe, Cléophas, travaille malgré le constant va-et-vient.
Un jour, le jeune Charles Sévigny vient offrir ses services. Lanctôt le prend à
l’essai et le confie au typographe dont il devient l’apprenti.
J’imagine l’ampleur des
recherches historiques auxquelles l’auteur s’est livré pour reconstituer le
plus fidèlement possible ses personnages historiques. Je pense à Louis-Joseph
Papineau, au cœur de la quête qu’entreprend le jeune Charles, mais aussi à
Wilfrid Laurier et à d’autres qui ont joué un rôle important dans la mouvance
nationaliste opposée à l’union du Haut et du Bas-Canada en une Confédération.
L’élément déclencheur de cette saga
survient lorsqu’apparaissent les noms d’Alexis de Tocqueville et de Gustave de Beaumont.
« En 1831, [ce dernier] fut chargé par le gouvernement d’aller étudier le
système pénitentiaire américain. Il embarqua sur le vaisseau Le Havre avec son
ami Alexis de Tocqueville, dont il écrivait à son père : " Il
est évident que nos destinées sont et seront toujours communes." Ils
passèrent dix mois aux États-Unis. » Or, et c’est là le nœud du roman, les
deux Français auraient rencontré secrètement Papineau à Montréal, à la demande
de Lamarque, un ancien général de l’Empire désireux de soutenir la montée du nationalisme
canadien que la France a abandonné aux mains des Anglais.
Cette rencontre a-t-elle vraiment
eu lieu? Les recherches que font le jeune Sévigny à l’époque ainsi qu’Édouard
et Sandrine maintenant visent à confirmer ou infirmer l’événement. Chaque volet
de ce diptyque respecte la contemporanéité de Charles, ses amis et sa famille, ainsi
que celle d’Édouard, ses amis et Sandrine. Chacune des époques raconte le mouvement
nationaliste qui a cours, ses heures de gloire et ses déceptions, mais aussi le
renouvellement constant du militantisme qui fait renaître tous les espoirs.
Les événements permettront à Charles
Sévigny de se rapprocher de son père qui, même devenu aphasique, parvient à lui
léguer d’importants documents, alors que les recherches menées par Édouard et
ses amis non seulement conforteront leur nationalisme, mais resserreront les
liens entre Sandrine et lui.
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