mercredi 8 décembre 2021

Victor-Lévy Beaulieu

Écrire sur Facebook. La vieille dame de Saint-Pétersbourg

Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, 2021, 208 p., 39,95 $.

La vie est un éclair, la mort sans fin

Victor-Lévy Beaulieu publia Ma Chine à moi le printemps dernier. Pour contourner le spleen d’après chef-d’œuvrage, il s’est remis au jogging intellectuel en affichant une prose nouvelle quotidiennement, ou presque, sur face de bouc. Il a ainsi renoué avec cette jouissive novlangue sienne, une appropriation du discours sans cesse réinventé. Après quelques mois sur le réseau, il s’est dit : « Pourquoi ne pas transformer cette centaine de contes et de racontars en un livre auquel on joindrait les illustrations que les facebookiens apprécient tant? » Et voilà qu’arrive Écrire sur Facebook. La vieille dame de Saint-Pétersbourg, contes et racontars.


De la centaine de messages parus de février à juin 2021, l’auteur en a conservé plus d’une cinquantaine, fusionnant les histoires racontées sur quelques jours. Ainsi, « Hell de Hell! » réunit les textes parus du 18 au 23 mars; il y relate la visite du réalisateur de Race de monde aux Trois-Pistoles qu’il avait invité, car il voulait lui faire comprendre pourquoi le comédien Robert Rivard devait impérativement interpréter le personnage de l’oncle Phil.

Il en va de même pour la truculente histoire de « la vieille dame de Saint-Pétersbourg » du titre, une remarquable fantasmagorie dont vous vous souviendrez longtemps tellement cette vieillissante dame indigne est à la hauteur des grands personnages dont foisonne l’œuvre de VLB.

Comment a-t-il assemblé une telle courtepointe de mots et d’images? Outre les récits dont je viens de parler, tous sont, à peu de chose près, identiques à l’original. Il y a cependant un ajout important : les exergues en tête de chacun, comme autant de poèmes dont les images illustrent le thème qu’ils jouxtent. Voyez ces exemples :

Ce qui est sans partage

Dans sa vie

Ne laisse pas de quoi

Se ressouvenir.

Ou :

L’enfance ne se vit pas

Dans l’action

Mais dans quelque chose

De plus subtil,

Qu’on appelle l’innocence

À défaut de pouvoir

La mieux nommer.

Et enfin :

La littérature des autres

A au moins ceci de bon :

Elle est consolante

Parce qu’elle sait mieux exprimer

Ce qui ne peut pourtant pas l’être.

Il y a dans ce patchwork des couleurs et des motifs entrelacés. Il en va ainsi de "l’art de se remembrer" : « J’aime cette expression et je trouve dommage qu’on l’ait mise de côté comme tant de belles choses venues de la langue française. Se remembrer, c’est se souvenir tout à coup et presque toujours par hasard d’un moment particulier du passé qui, nous revenant à l’esprit, change quelque chose de fondamental en son soi-même. »

Une question revient telle une marée d’un livre de VLB à l’autre : quelle est l’origine de son prénom. "Drôle de parentelle" nous l’apprend avec toute la richesse de la langue que l’écrivain sait si bien renouvelée. Victor lui vient de son parrain et Lévy, d’une histoire géopolitique « d’une tribu juive en exil en royaume de France, tribu surbroquée les Lévy-LeRoy. » « Si ce jour d’hui, je souffre peut-être d’une schizofinie mal identifiée mais fiable, c’est à cause que dans ma famille où c’est que ma mère aguissait le nom de Victor, j’étais surnommé Lévy… sauf, manquablement, quand on rendait vesite à mononcle Victor. Je sortais de là avec deux gros cinquante cents en argent sivousplaît, mais les oreilles pas mal écorchées, de quoi pus savoir rien de mon identifiable! »

Écrire dans les médias sociaux peut sembler un talent dont tous les abonnés sont doués. Nenni, car combien de fois les cheveux nous dressent sur la tête en constatant le bas niveau de littéracie qu’on y pratique, une constatation que font aussi les profs de cégep et d’université. À contrario, un écrivain de carrière peut faire de l’espace disponible sur les plateformes numériques un vaste terrain de jeu où pratiquer son art de diverses façons. C’est ce qu’a fait VLB, profitant du même coup des réactions immédiates de ses abonnés, de plus en plus nombreux, cela sans que Cerbère, le gardien des enfers facebookiens, ne montre ses crocs, charmé par la musique de la lyre montant de la Mer Océane.

Ces brèves histoires permettent de butiner comme les abeilles dans les jardins du Manoir French où habite l’écrivain Beaulieu et de polliniser notre imaginaire. D’ailleurs, le livre fait place en son centre à un cahier de 24 pages de superbes illustrations couleur rameutant, entre autres, dans les jardins luxuriants du maître des lieux, quelques-uns de ses animaux dont des chats, ses chiens partis dans l’au-delà, sa « vieille Fury III de1966 », sa sportive Morgan, Mélanie – une de ses « filles-sauvages » –, son lui-même, etc.

Ce superbe recueil de fables jamais moralisatrices – ou d’isopets écrits en vernaculaire beaulieusien – parce que tant et tant évocatrices que je les ai déjà lus plus d’une fois. Je vous suggère fortement de vous l’offrir et aux vôtres en famille serrée et chaleureuse en ces aveilles de Noël 2021. Pour pourrez ensuite vous y esbaudir et jouer de la langue inventive de Victor-Lévy Beaulieu qu’aucune foi ni loi ne saura encarcaner dans une bulle, si tant pétillante fut-elle qu’elle vous monte à la tête et éclaire votre esprit de son verbe haut et fort.

VLB, Dessine-moi un dimanche, Franco Nuovo, 12 décembre 2021: https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/dessine-moi-un-dimanche/episodes/590497/rattrapage-du-dimanche-12-decembre-2021

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