Victor-Lévy Beaulieu
Écrire sur
Facebook. La vieille dame de Saint-Pétersbourg
Notre-Dame-des-Neiges,
Trois-Pistoles, 2021, 208 p., 39,95 $.
La vie est un éclair, la mort sans fin
Victor-Lévy Beaulieu publia Ma Chine à moi le printemps dernier. Pour contourner le spleen d’après chef-d’œuvrage, il s’est remis au jogging intellectuel en affichant une prose nouvelle quotidiennement, ou presque, sur face de bouc. Il a ainsi renoué avec cette jouissive novlangue sienne, une appropriation du discours sans cesse réinventé. Après quelques mois sur le réseau, il s’est dit : « Pourquoi ne pas transformer cette centaine de contes et de racontars en un livre auquel on joindrait les illustrations que les facebookiens apprécient tant? » Et voilà qu’arrive Écrire sur Facebook. La vieille dame de Saint-Pétersbourg, contes et racontars.
De la centaine de messages parus de février à juin 2021, l’auteur en a conservé plus d’une cinquantaine, fusionnant les histoires racontées sur quelques jours. Ainsi, « Hell de Hell! » réunit les textes parus du 18 au 23 mars; il y relate la visite du réalisateur de Race de monde aux Trois-Pistoles qu’il avait invité, car il voulait lui faire comprendre pourquoi le comédien Robert Rivard devait impérativement interpréter le personnage de l’oncle Phil.
Il en va de même pour la truculente
histoire de « la vieille dame de Saint-Pétersbourg » du titre, une
remarquable fantasmagorie dont vous vous souviendrez longtemps tellement cette
vieillissante dame indigne est à la hauteur des grands personnages dont foisonne l’œuvre de VLB.
Comment a-t-il assemblé une telle
courtepointe de mots et d’images? Outre les récits dont je viens de parler, tous
sont, à peu de chose près, identiques à l’original. Il y a cependant un ajout important :
les exergues en tête de chacun, comme autant de poèmes dont les images illustrent
le thème qu’ils jouxtent. Voyez ces exemples :
Ce qui est
sans partage
Dans sa vie
Ne laisse
pas de quoi
Se
ressouvenir.
Ou :
L’enfance ne
se vit pas
Dans l’action
Mais dans
quelque chose
De plus
subtil,
Qu’on
appelle l’innocence
À défaut de
pouvoir
La mieux
nommer.
Et enfin :
La
littérature des autres
A au moins
ceci de bon :
Elle est
consolante
Parce
qu’elle sait mieux exprimer
Ce qui ne
peut pourtant pas l’être.
Il y a dans ce patchwork des couleurs
et des motifs entrelacés. Il en va ainsi de "l’art de se remembrer" :
« J’aime cette expression et je trouve dommage qu’on l’ait mise de côté comme
tant de belles choses venues de la langue française. Se remembrer, c’est se
souvenir tout à coup et presque toujours par hasard d’un moment particulier du
passé qui, nous revenant à l’esprit, change quelque chose de fondamental en son
soi-même. »
Une question revient telle une
marée d’un livre de VLB à l’autre : quelle est l’origine de son prénom. "Drôle
de parentelle" nous l’apprend avec toute la richesse de la langue que l’écrivain
sait si bien renouvelée. Victor lui vient de son parrain et Lévy, d’une histoire
géopolitique « d’une tribu juive en exil en royaume de France, tribu
surbroquée les Lévy-LeRoy. » « Si ce jour d’hui, je souffre peut-être
d’une schizofinie mal identifiée mais fiable, c’est à cause que dans ma famille
où c’est que ma mère aguissait le nom de Victor, j’étais surnommé Lévy… sauf, manquablement,
quand on rendait vesite à mononcle Victor. Je sortais de là avec deux gros cinquante
cents en argent sivousplaît, mais les oreilles pas mal écorchées, de quoi pus
savoir rien de mon identifiable! »
Écrire dans les médias sociaux peut
sembler un talent dont tous les abonnés sont doués. Nenni, car combien de fois
les cheveux nous dressent sur la tête en constatant le bas niveau de littéracie
qu’on y pratique, une constatation que font aussi les profs de cégep et d’université.
À contrario, un écrivain de carrière peut faire de l’espace disponible sur les plateformes
numériques un vaste terrain de jeu où pratiquer son art de diverses façons. C’est
ce qu’a fait VLB, profitant du même coup des réactions immédiates de ses abonnés,
de plus en plus nombreux, cela sans que Cerbère, le gardien des enfers facebookiens,
ne montre ses crocs, charmé par la musique de la lyre montant de la Mer Océane.
Ces brèves histoires permettent de
butiner comme les abeilles dans les jardins du Manoir French où habite l’écrivain
Beaulieu et de polliniser notre imaginaire. D’ailleurs, le livre fait place en
son centre à un cahier de 24 pages de superbes illustrations couleur rameutant,
entre autres, dans les jardins luxuriants du maître des lieux, quelques-uns de
ses animaux dont des chats, ses chiens partis dans l’au-delà, sa « vieille
Fury III de1966 », sa sportive Morgan, Mélanie – une de ses « filles-sauvages »
–, son lui-même, etc.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire