Rachel Leclerc
La chambre des saisons
Montréal, Noroît, 2021, 178 p., 23 $ (papier), 15,99 $,
(numérique).
Temps d’hier, vie d’aujourd’hui
Rachel Leclerc, dois-je le rappeler, est une écrivaine qui joue de plusieurs instruments, de la prose narrative à la critique littéraire, mais aussi et surtout d’une poésie qui coule d’un recueil à l’autre comme une inépuisable source d’images évocatrices d’une vie intérieure fort riche.
Avec La chambre des saisons,
elle nous amène du côté de sa Gaspésie natale où elle est revenue vivre en 2016
après une longue résidence à Montréal. Ce serait faire court de dire qu’elle n’a
pu résister à l’appel du large, mais ce peut aussi être une métaphore vers
laquelle les vers de son nouvel ouvrage nous orientent :
le brouillard
sur la mer de novembre
évoquera les
paysages d’Islande
plus tard,
célébrant
la forêt quadrillée
d’or
scintillera
par tous ses sentiers (13)
« Souvent l’infini me
terrasse », premier et très long poème du recueil, a les airs d’une narration
intérieure inspirée par l’horizon jusqu’au plus lointain du large qu’elle
perçoit par tous les pores de sa chair et l’entièreté de ses capteurs d’émotions.
Je n’ai pas
voyagé plus loin
que le bout
de ces phrases
je reste
immobile, ne réclamant
que le juste
et le nécessaire
un
seul regard me suffit pour l’avenir
car je veux
la résonnance de l’intime (24)
Cet écho du soi à soi, le ciel dégagé
des turbulences, voulues ou non, n’interdit pas le rêve que font naître les
eaux océanes :
Un esquif léger
suffirait
libéré du
verbe et de sa nécessité
pour accueillir
la courbe du jour (49)
La seconde suite du livre s’intitule
« Famine ». L’écrivaine Leclerc y fait le récit poétique des conséquences
d’un événement tragique survenu en « 1815, la grande éruption du volcan
Tambora, en Indonésie, [qui] a provoqué ce qu’on a appelé l’Année sans été. Un
nuage de cendres s’est répandu pendant quelques mois dans l’hémisphère Nord... »
Cela a eu, entre autres incidences, que « Dépendants de la mer et de la
terre, les Gaspésiens ont souffert comme les autres de la famine. » (55)
Faire du beau avec la misère des gens n’a rien de paradoxal, c’est bien plus la
quête de l’humanisme profond des êtres émergeant lors de grandes, de très grandes
adversités, comme s’il s’agissait de l’ultime résilience dont ils sont capables.
« La dernière saison »,
troisième et dernière suite, se déroule au rythme de trois mouvements : "L’automne
ou l’attachement", "L’hiver ou l’affliction", "Le printemps
et l’été, l’enfance". Dédiée sa sœur Cécyle, la poétesse y fait la cartographie
des saisons semblables à l’image d’une vie de famille qui tanguent, de gauche
et de droite, de bas en haut, figurant un bateau ivre dans le tumulte des eaux
incertaines :
mais faut-il
en vouloir aux saisons
après l’orage
elles dressent des colonnes
de clarté solaire
au milieu des forêts
elles
inaugurent aussi le bal des castes
et les serments
échangés entre terriens (102)
Il est ainsi vrai que « Rachel
Leclerc prête sa voix aux fantômes de sa famille, en particulier à celui de la
mère disparue trop tôt. »
De cette vaste fresque du temps
qu’il fait sur le pays de l’intime, de celles et ceux qui l’habitent, de celles
et ceux dont chaque segment du recueil et chaque vers donnent l’impression qu’ils
volent au-dessus de leur existence. À se demander s’ils la vivent vraiment.
Une longue strophe qui n’a cessé
de retenir mon attention, comme si ses vers étaient une vasque dans laquelle
baignaient les quêtes de l’écrivaine :
"et si
demain j’ouvrais les yeux
qu’apprendrais-je
qui ne me fut d’avance
accordé par
la liberté des rivages
ou qu’il me
suffisait d’aller voir
au-delà des
grands fleuves et déserts…" (113)
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