mercredi 22 décembre 2021

Rachel Leclerc

La chambre des saisons

Montréal, Noroît, 2021, 178 p., 23 $ (papier), 15,99 $, (numérique).

Temps d’hier, vie d’aujourd’hui

Rachel Leclerc, dois-je le rappeler, est une écrivaine qui joue de plusieurs instruments, de la prose narrative à la critique littéraire, mais aussi et surtout d’une poésie qui coule d’un recueil à l’autre comme une inépuisable source d’images évocatrices d’une vie intérieure fort riche.

Avec La chambre des saisons, elle nous amène du côté de sa Gaspésie natale où elle est revenue vivre en 2016 après une longue résidence à Montréal. Ce serait faire court de dire qu’elle n’a pu résister à l’appel du large, mais ce peut aussi être une métaphore vers laquelle les vers de son nouvel ouvrage nous orientent :

le brouillard sur la mer de novembre

évoquera les paysages d’Islande

plus tard, célébrant

la forêt quadrillée d’or

scintillera par tous ses sentiers (13)

« Souvent l’infini me terrasse », premier et très long poème du recueil, a les airs d’une narration intérieure inspirée par l’horizon jusqu’au plus lointain du large qu’elle perçoit par tous les pores de sa chair et l’entièreté de ses capteurs d’émotions.

Je n’ai pas voyagé plus loin

que le bout de ces phrases

je reste immobile, ne réclamant

que le juste et le nécessaire

 un seul regard me suffit pour l’avenir

car je veux la résonnance de l’intime (24)

Cet écho du soi à soi, le ciel dégagé des turbulences, voulues ou non, n’interdit pas le rêve que font naître les eaux océanes :

Un esquif léger suffirait

libéré du verbe et de sa nécessité

pour accueillir la courbe du jour (49)

La seconde suite du livre s’intitule « Famine ». L’écrivaine Leclerc y fait le récit poétique des conséquences d’un événement tragique survenu en « 1815, la grande éruption du volcan Tambora, en Indonésie, [qui] a provoqué ce qu’on a appelé l’Année sans été. Un nuage de cendres s’est répandu pendant quelques mois dans l’hémisphère Nord... » Cela a eu, entre autres incidences, que « Dépendants de la mer et de la terre, les Gaspésiens ont souffert comme les autres de la famine. » (55) Faire du beau avec la misère des gens n’a rien de paradoxal, c’est bien plus la quête de l’humanisme profond des êtres émergeant lors de grandes, de très grandes adversités, comme s’il s’agissait de l’ultime résilience dont ils sont capables.

« La dernière saison », troisième et dernière suite, se déroule au rythme de trois mouvements : "L’automne ou l’attachement", "L’hiver ou l’affliction", "Le printemps et l’été, l’enfance". Dédiée sa sœur Cécyle, la poétesse y fait la cartographie des saisons semblables à l’image d’une vie de famille qui tanguent, de gauche et de droite, de bas en haut, figurant un bateau ivre dans le tumulte des eaux incertaines :

mais faut-il en vouloir aux saisons

après l’orage elles dressent des colonnes

de clarté solaire au milieu des forêts

elles inaugurent aussi le bal des castes

et les serments échangés entre terriens (102)

Il est ainsi vrai que « Rachel Leclerc prête sa voix aux fantômes de sa famille, en particulier à celui de la mère disparue trop tôt. »

De cette vaste fresque du temps qu’il fait sur le pays de l’intime, de celles et ceux qui l’habitent, de celles et ceux dont chaque segment du recueil et chaque vers donnent l’impression qu’ils volent au-dessus de leur existence. À se demander s’ils la vivent vraiment.

Une longue strophe qui n’a cessé de retenir mon attention, comme si ses vers étaient une vasque dans laquelle baignaient les quêtes de l’écrivaine :

"et si demain j’ouvrais les yeux

qu’apprendrais-je qui ne me fut d’avance

accordé par la liberté des rivages

ou qu’il me suffisait d’aller voir

au-delà des grands fleuves et déserts…" (113)

Ainsi va La chambre des saisons de Rachel Leclerc qui nous invite à faire, défaire ou refaire ce tour d’horizon, d’hier à demain, au temps d’aujourd’hui pour tenter d’y recomposer le passé imparfait jusqu’à devenir cet impossible plus que parfait.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire