Le sourire des
fantômes, avec des dessins de Jacques Brault
Montréal, Noroît, 2021,
56 p., 21 $ (papier), 14,99 $ (PDF).
À la recherche des temps égarés
Nathalie Watteyne est reconnue pour ses essais critiques de haut niveau. On lui doit, entre autres, d’avoir dirigé l’édition critique des Œuvres intégrales d’Anne Hébert, cinq tomes remarquables parus dans la collection « Bibliothèque du Nouveau Monde » (PUM). L’essayiste est aussi cette poète qui nous donne à lire Le sourire des fantômes, vingt-trois poèmes accompagnés de neuf dessins du poète Jacques Brault.
Nous sommes ici dans le présent, si imparfait soit-il, un présent que l’écrivaine observe, soupèse et s’approprie en le réinventant de mille façons :
à défaut d’être comprises
celles qui veulent être aimées
la nuit exhibent de beaux
atours
même s’il pleut même si d’autres
s’en mettent plein la vue.
(p. 9)
Était-ce là la principale quête au cœur de tous les poèmes
du livre? Qui sait ce qu’est cet amour, ici plus pluriel que singulier?
Je lis « Silhouettes au jardin » :
en confiant les clés
à l’homme de la maison je dis
quand tu n’es pas là je me
cherche
et pourtant
je l’aurais voulue comme il
faut
la famille
avec des chats des chiens
qu’elle se colle un peu ma
fille
bien au chaud ça nous tiendrait.
(p. 13)
J’entends là non pas un regret, mais le détournement d’un
espoir désamorcé avant de parvenir à exploser du trop-plein d’une vie commune.
« tu es partie tu es venue en moi comme je fus en toi / c’est
ainsi » : ces vers de Jacques Brault sont en exergue d’un poème
intitulé « nevermore », un "plus jamais" d’une certaine
passion :
bras et jambes désaccordés
sans faire de bruit sont partis
comment parler de toi
avec des fourmis dans les
jambes
et des heures de non-dits
avec une gerbe de roses dans
les bras
pourquoi faire du dis
je suis morte. (p. 19)
Je reviens à Jacques Brault, écrivain et grand observateur
de notre littérature, dont neuf dessins accompagnent Le sourire des fantômes.
J’insiste : neuf dessins qui se lovent entre les mots de Nathalie
Watteyne, sans les illustrer à proprement parler. Je lis ces images comme si
elles étaient l’expression d’un décodage personnel de l’aura qui nimbe le recueil
et se love d’un poème à l’autre. Des dessins comme un second souffle aux vers ainsi
donnés à vivre plus qu’à lire. Il y a une complicité entre le dessinateur et l’autrice
comme s’ils longeaient des voies parallèles menant à des destinations distinctes
autant que similaires. Un jeu de pistes auquel nous sommes conviés.
Je lis « la nature a horreur du vide », des vers d’où
se dégage l’intelligence du recueil, tel un leitmotiv récurrent :
l’aujourd’hui en août
n’offre que les attributs
de la soif de la faim
soleil aiguilles coques
pour que ne s’étiolent les
forces
dans la glaise avons glissé
comme si légères importaient
davantage
que vertes ces feuilles et
rouges ces baies
qui font de l’ombre à la terre
où dorment les chiens et
miaulent les chats (p. 23).
Nommer aussi bien le banal et l’exceptionnel, l’espérer et
la désespérance, le présent imparfait ou l’autre plus que parfait : c’est
ainsi que Nathalie Watteyne réinvente l’univers qu’elle imagine ériger sur les
vestiges de tous les passés, les siens comme d’autres. J’en prends pour exemple
un poème de prose intitulé « tout le meilleur possible »:
De jour comme de nuit, cet ami
bien doux émet des ondes pour répondre à mon désir et une telle musique à mes
oreilles aide en retour à comprendre le sien. Il est si délicat que j’ai cru qu’il
allait demander ma main. J’ai fait mine de ne pas saisir, car ma décision n’est
pas arrêtée, et pour ne pas me laisser intimider par les picosseux avec leur
cortège de mots creux. Réflexion faite, je dirai oui à des noces discrètes, sur
les rives d’un cours d’eau, non loin d’un pont. (p. 49)
Une magique et magnifique vision poétique qui dit tout mais avec sensibilité poétique et grand art.
RépondreEffacerMerci d'exister chère et honorable poétesse de notre temps qui s'écroule mais qui se reconstruit au fil de tes mots qui démystifient les maux...