mercredi 15 décembre 2021

Nathalie Watteyne

Le sourire des fantômes, avec des dessins de Jacques Brault

Montréal, Noroît, 2021, 56 p., 21 $ (papier), 14,99 $ (PDF).

À la recherche des temps égarés

Nathalie Watteyne est reconnue pour ses essais critiques de haut niveau. On lui doit, entre autres, d’avoir dirigé l’édition critique des Œuvres intégrales d’Anne Hébert, cinq tomes remarquables parus dans la collection « Bibliothèque du Nouveau Monde » (PUM). L’essayiste est aussi cette poète qui nous donne à lire Le sourire des fantômes, vingt-trois poèmes accompagnés de neuf dessins du poète Jacques Brault.


Nous sommes ici dans le présent, si imparfait soit-il, un présent que l’écrivaine observe, soupèse et s’approprie en le réinventant de mille façons :

à défaut d’être comprises

celles qui veulent être aimées

la nuit exhibent de beaux atours

même s’il pleut même si d’autres

s’en mettent plein la vue. (p. 9)

Était-ce là la principale quête au cœur de tous les poèmes du livre? Qui sait ce qu’est cet amour, ici plus pluriel que singulier?

Je lis « Silhouettes au jardin » :

en confiant les clés

à l’homme de la maison je dis

quand tu n’es pas là je me cherche

 

et pourtant

je l’aurais voulue comme il faut

la famille

avec des chats des chiens

qu’elle se colle un peu ma fille

bien au chaud ça nous tiendrait. (p. 13)

J’entends là non pas un regret, mais le détournement d’un espoir désamorcé avant de parvenir à exploser du trop-plein d’une vie commune.

« tu es partie tu es venue en moi comme je fus en toi / c’est ainsi » : ces vers de Jacques Brault sont en exergue d’un poème intitulé « nevermore », un "plus jamais" d’une certaine passion :

bras et jambes désaccordés

sans faire de bruit sont partis

comment parler de toi

avec des fourmis dans les jambes

et des heures de non-dits

avec une gerbe de roses dans les bras

pourquoi faire du dis

je suis morte. (p. 19)

Je reviens à Jacques Brault, écrivain et grand observateur de notre littérature, dont neuf dessins accompagnent Le sourire des fantômes. J’insiste : neuf dessins qui se lovent entre les mots de Nathalie Watteyne, sans les illustrer à proprement parler. Je lis ces images comme si elles étaient l’expression d’un décodage personnel de l’aura qui nimbe le recueil et se love d’un poème à l’autre. Des dessins comme un second souffle aux vers ainsi donnés à vivre plus qu’à lire. Il y a une complicité entre le dessinateur et l’autrice comme s’ils longeaient des voies parallèles menant à des destinations distinctes autant que similaires. Un jeu de pistes auquel nous sommes conviés.

Je lis « la nature a horreur du vide », des vers d’où se dégage l’intelligence du recueil, tel un leitmotiv récurrent :

l’aujourd’hui en août

n’offre que les attributs

de la soif de la faim

soleil aiguilles coques

 

pour que ne s’étiolent les forces

dans la glaise avons glissé

comme si légères importaient davantage

que vertes ces feuilles et rouges ces baies

qui font de l’ombre à la terre

où dorment les chiens et miaulent les chats (p. 23).

Nommer aussi bien le banal et l’exceptionnel, l’espérer et la désespérance, le présent imparfait ou l’autre plus que parfait : c’est ainsi que Nathalie Watteyne réinvente l’univers qu’elle imagine ériger sur les vestiges de tous les passés, les siens comme d’autres. J’en prends pour exemple un poème de prose intitulé « tout le meilleur possible »:

De jour comme de nuit, cet ami bien doux émet des ondes pour répondre à mon désir et une telle musique à mes oreilles aide en retour à comprendre le sien. Il est si délicat que j’ai cru qu’il allait demander ma main. J’ai fait mine de ne pas saisir, car ma décision n’est pas arrêtée, et pour ne pas me laisser intimider par les picosseux avec leur cortège de mots creux. Réflexion faite, je dirai oui à des noces discrètes, sur les rives d’un cours d’eau, non loin d’un pont. (p. 49)

En refermant les pages du Sourire des fantômes, j’ai eu la certitude tranquille qu’une source d’eaux vives jaillissait des vers de la poète, tantôt épuisant tantôt revigorant Le sourire des fantômes. Il y a une légèreté d’être allant au-delà des atermoiements par l’évocation du toujours vierge et possible, car réinventant sans cesse le présent.

1 commentaire:

  1. Une magique et magnifique vision poétique qui dit tout mais avec sensibilité poétique et grand art.
    Merci d'exister chère et honorable poétesse de notre temps qui s'écroule mais qui se reconstruit au fil de tes mots qui démystifient les maux...

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