mercredi 29 décembre 2021

Marc Séguin

L’atelier, photos de Caroline Perron et Maude Chauvin

Montréal, Fides, 304 p., 69,95 $.

Allumer les réverbères de l’imaginaire I

Aux aveilles du temps des Fêtes 2021-2022, j’ai choisi quelques beaux livres tant par leurs qualités matérielles et graphiques que par les voyages qu’ils nous font effectuer dans des univers si loin de notre quotidien, quel qu’il soit. Ils nous donnent l’impression d’être dans un ailleurs dépourvu du poids de l’espace-temps. Cette semaine, je vous invite dans l’univers de Marc Séguin et Mathieu Dubé.

Marc Séguin est un artiste multidisciplinaire au talent aussi immense que l’attention et l’écoute qu’il porte à la société actuelle. Au fil de leur parution, j’ai recensé ses fictions et ses poèmes, chacun illustrant sa façon d’observer, d’appréhender et de commenter l’univers à travers le prisme du créateur qu’il est. Je pense ici à La foi du braconnier (2009), à Nord Alice (2015), Jenny Sauro (2020) et à son recueil Au milieu du monde (2017).

Cette fois, Séguin nous amène dans ses espaces de création à travers les pages de L’atelier. Ce livre est remarquable par ce qu’il relate dans le journal de bord du quotidien de l’artiste, entre autres des aléas avant, pendant et après chaque séquence où il exerce son art devenu son métier de peintre. Remarquable aussi par le vestimentaire que l’éditeur n’a pas lésiné à lui donner. Même imprimer en Chine, il ne faut pas que cela gâche l’immense plaisir de faire ce voyage initiatique auquel Marc Séguin nous convie en mots et grâce aux centaines de photos de Caroline Perron et Maude Chauvin qui nous font littéralement entrer dans son univers, réel et imaginaire. J’ai même parfois cru respirer les effluves de la térébenthine qui flottent dans l’air de ses espaces de travail.

Autant ces images valent-elles mille mots, autant le journal vaut les mille et une observations et les quelques leçons de vie qui soulignent les différents endroits qu’il n’a d’autre choix que d’habiter, généralement de façon plaisante, parfois platement triviale. J’ai passé de nombreuses heures dans son chez-soi new-yorkais, montréalais ou de L’Isle-aux-Grues / Île-aux-Oies, à regarder des toiles en création ou en achèvement, à observer l’artiste relatant diverses étapes de son processus de création, du terre-à-terre de l’achat des toiles et de l’installation sur des cadres de bois jusqu’à l’élément déclencheur de son imaginaire, en passant par le choix des couleurs et l’équilibre, harmonieux ou discordant, qu’elles occuperont sur la toile.

Jamais je n’ai eu l’impression d’être aussi près de l’intimité de la création picturale. La franchise de Marc Séguin sur sa profession et sur une aura dont se drapent certains marchands, acheteurs ou journalistes patentés peut surprendre pour qui n’est pas familier avec cet univers. Les situations racontées ressemblent, à maints égards, à celui d’un certain élitisme de l’institution littéraire dont il ne faut pas trop se soucier, sans le déconsidérer.

Les inégalités, les injustices, la pauvreté, la violence faite aux enfants et aux femmes, la nature et l’environnement sont au cœur des préoccupations de Séguin et il les représente sur ses toiles comme dans ses romans. Il y a une force tranquille et persistance dans les thèmes que M.S. aborde, lesquels ne peuvent laisser indifférents même les plus blasés.

J’ai beaucoup lu, relu et annoté – sur des feuilles volantes, car incapable de briser l’harmonie du livre – les pages du journal, plus vastes et plus intelligibles qu’une suite de leçons théoriques. Ces enseignements sont tout le contraire, car ils donnent presque à voir ce qui se passe dans la tête de Marc Séguin en état de gestation et de création, ce qui n’est pas toujours aussi idyllique qu’on peut le croire. Créer est d’abord une suite d’actions basiques menant à l’œuvre, certaines plus concrètes et essentielles, suivie de l’œuvre elle-même et de sa mise en marché.

Le peintre résume ainsi son travail : « J’aime tout de la peinture. Surtout sa rage sans degré. Celle qu’on ne jauge pas. Parce que quand on commence à compter on dilue. Le geste, encore, le geste. Le risque. Le prendre chaque fois comme une fin de course. Tout jouer sans savoir. Avec l’espoir naïf que la magie existe encore. Jusqu’à perde cinquante heures de travail. »

Je pourrais continuer ainsi la visite des univers de Marc Séguin, ses toiles et ses mots, car je considère L’atelier comme un des quatre ou cinq livres exceptionnels parus en 2021.


Mathieu Dubé

Morceaux de mémoire, écritures et poèmes-collages

Montréal, Sémaphore, coll. « Mobile 02 », 2021, 224 p., 49,45 $.

Bâtir avec les mots

Le second ouvrage dont je vous parle brièvement est celui de Mathieu Dubé. Ce livre est un défi tant pour l’auteur que son éditeur en ce qu’il va au-delà des sentiers battus de la création littéraire et de la création éditoriale et graphique. De très grand format (27 x 24 cm), Morceaux de mémoire est « un album-recueil de morceaux choisis parmi les poèmes-collages que Mathieu Dubé a publiés, au fil des années, sur son compte Instagram. Des mots choisis, tombés des lames, minutieusement assemblés: le travail de l’éleveur de vers libres relève de l’orfèvrerie. Il appelle au renouveau de la parole, à l’adéquation entre l’être et le paraître. Autant œuvre d’art que littérature exquise, la poésie de Mathieu Dubé sait enchanter œil et esprit; livrer ses collages en couleur et en grand format (comme les albums de beaux-arts) tombait sous le sens. »

Certes, mais il fallait encore le réaliser et je vois votre œil dubitatif devant l’objet livre qu’il représente. Pour faire disparaître votre hésitation, tournez délicatement les pages et laissez vos yeux parcourir la poésie qu’elles portent comme une offrande aux dieux de l’intelligence pour qui il n’y a jamais rien de trop beau pour élever une œuvre artistique au-delà de l’ordinaire et de l’éphémère. Et cela se regarde, cela se lit, cela nous fait voyager bien loin de l’intranquillité dans laquelle la pandémie nous a abandonnés.

mercredi 22 décembre 2021

Rachel Leclerc

La chambre des saisons

Montréal, Noroît, 2021, 178 p., 23 $ (papier), 15,99 $, (numérique).

Temps d’hier, vie d’aujourd’hui

Rachel Leclerc, dois-je le rappeler, est une écrivaine qui joue de plusieurs instruments, de la prose narrative à la critique littéraire, mais aussi et surtout d’une poésie qui coule d’un recueil à l’autre comme une inépuisable source d’images évocatrices d’une vie intérieure fort riche.

Avec La chambre des saisons, elle nous amène du côté de sa Gaspésie natale où elle est revenue vivre en 2016 après une longue résidence à Montréal. Ce serait faire court de dire qu’elle n’a pu résister à l’appel du large, mais ce peut aussi être une métaphore vers laquelle les vers de son nouvel ouvrage nous orientent :

le brouillard sur la mer de novembre

évoquera les paysages d’Islande

plus tard, célébrant

la forêt quadrillée d’or

scintillera par tous ses sentiers (13)

« Souvent l’infini me terrasse », premier et très long poème du recueil, a les airs d’une narration intérieure inspirée par l’horizon jusqu’au plus lointain du large qu’elle perçoit par tous les pores de sa chair et l’entièreté de ses capteurs d’émotions.

Je n’ai pas voyagé plus loin

que le bout de ces phrases

je reste immobile, ne réclamant

que le juste et le nécessaire

 un seul regard me suffit pour l’avenir

car je veux la résonnance de l’intime (24)

Cet écho du soi à soi, le ciel dégagé des turbulences, voulues ou non, n’interdit pas le rêve que font naître les eaux océanes :

Un esquif léger suffirait

libéré du verbe et de sa nécessité

pour accueillir la courbe du jour (49)

La seconde suite du livre s’intitule « Famine ». L’écrivaine Leclerc y fait le récit poétique des conséquences d’un événement tragique survenu en « 1815, la grande éruption du volcan Tambora, en Indonésie, [qui] a provoqué ce qu’on a appelé l’Année sans été. Un nuage de cendres s’est répandu pendant quelques mois dans l’hémisphère Nord... » Cela a eu, entre autres incidences, que « Dépendants de la mer et de la terre, les Gaspésiens ont souffert comme les autres de la famine. » (55) Faire du beau avec la misère des gens n’a rien de paradoxal, c’est bien plus la quête de l’humanisme profond des êtres émergeant lors de grandes, de très grandes adversités, comme s’il s’agissait de l’ultime résilience dont ils sont capables.

« La dernière saison », troisième et dernière suite, se déroule au rythme de trois mouvements : "L’automne ou l’attachement", "L’hiver ou l’affliction", "Le printemps et l’été, l’enfance". Dédiée sa sœur Cécyle, la poétesse y fait la cartographie des saisons semblables à l’image d’une vie de famille qui tanguent, de gauche et de droite, de bas en haut, figurant un bateau ivre dans le tumulte des eaux incertaines :

mais faut-il en vouloir aux saisons

après l’orage elles dressent des colonnes

de clarté solaire au milieu des forêts

elles inaugurent aussi le bal des castes

et les serments échangés entre terriens (102)

Il est ainsi vrai que « Rachel Leclerc prête sa voix aux fantômes de sa famille, en particulier à celui de la mère disparue trop tôt. »

De cette vaste fresque du temps qu’il fait sur le pays de l’intime, de celles et ceux qui l’habitent, de celles et ceux dont chaque segment du recueil et chaque vers donnent l’impression qu’ils volent au-dessus de leur existence. À se demander s’ils la vivent vraiment.

Une longue strophe qui n’a cessé de retenir mon attention, comme si ses vers étaient une vasque dans laquelle baignaient les quêtes de l’écrivaine :

"et si demain j’ouvrais les yeux

qu’apprendrais-je qui ne me fut d’avance

accordé par la liberté des rivages

ou qu’il me suffisait d’aller voir

au-delà des grands fleuves et déserts…" (113)

Ainsi va La chambre des saisons de Rachel Leclerc qui nous invite à faire, défaire ou refaire ce tour d’horizon, d’hier à demain, au temps d’aujourd’hui pour tenter d’y recomposer le passé imparfait jusqu’à devenir cet impossible plus que parfait.

mercredi 15 décembre 2021

Nathalie Watteyne

Le sourire des fantômes, avec des dessins de Jacques Brault

Montréal, Noroît, 2021, 56 p., 21 $ (papier), 14,99 $ (PDF).

À la recherche des temps égarés

Nathalie Watteyne est reconnue pour ses essais critiques de haut niveau. On lui doit, entre autres, d’avoir dirigé l’édition critique des Œuvres intégrales d’Anne Hébert, cinq tomes remarquables parus dans la collection « Bibliothèque du Nouveau Monde » (PUM). L’essayiste est aussi cette poète qui nous donne à lire Le sourire des fantômes, vingt-trois poèmes accompagnés de neuf dessins du poète Jacques Brault.


Nous sommes ici dans le présent, si imparfait soit-il, un présent que l’écrivaine observe, soupèse et s’approprie en le réinventant de mille façons :

à défaut d’être comprises

celles qui veulent être aimées

la nuit exhibent de beaux atours

même s’il pleut même si d’autres

s’en mettent plein la vue. (p. 9)

Était-ce là la principale quête au cœur de tous les poèmes du livre? Qui sait ce qu’est cet amour, ici plus pluriel que singulier?

Je lis « Silhouettes au jardin » :

en confiant les clés

à l’homme de la maison je dis

quand tu n’es pas là je me cherche

 

et pourtant

je l’aurais voulue comme il faut

la famille

avec des chats des chiens

qu’elle se colle un peu ma fille

bien au chaud ça nous tiendrait. (p. 13)

J’entends là non pas un regret, mais le détournement d’un espoir désamorcé avant de parvenir à exploser du trop-plein d’une vie commune.

« tu es partie tu es venue en moi comme je fus en toi / c’est ainsi » : ces vers de Jacques Brault sont en exergue d’un poème intitulé « nevermore », un "plus jamais" d’une certaine passion :

bras et jambes désaccordés

sans faire de bruit sont partis

comment parler de toi

avec des fourmis dans les jambes

et des heures de non-dits

avec une gerbe de roses dans les bras

pourquoi faire du dis

je suis morte. (p. 19)

Je reviens à Jacques Brault, écrivain et grand observateur de notre littérature, dont neuf dessins accompagnent Le sourire des fantômes. J’insiste : neuf dessins qui se lovent entre les mots de Nathalie Watteyne, sans les illustrer à proprement parler. Je lis ces images comme si elles étaient l’expression d’un décodage personnel de l’aura qui nimbe le recueil et se love d’un poème à l’autre. Des dessins comme un second souffle aux vers ainsi donnés à vivre plus qu’à lire. Il y a une complicité entre le dessinateur et l’autrice comme s’ils longeaient des voies parallèles menant à des destinations distinctes autant que similaires. Un jeu de pistes auquel nous sommes conviés.

Je lis « la nature a horreur du vide », des vers d’où se dégage l’intelligence du recueil, tel un leitmotiv récurrent :

l’aujourd’hui en août

n’offre que les attributs

de la soif de la faim

soleil aiguilles coques

 

pour que ne s’étiolent les forces

dans la glaise avons glissé

comme si légères importaient davantage

que vertes ces feuilles et rouges ces baies

qui font de l’ombre à la terre

où dorment les chiens et miaulent les chats (p. 23).

Nommer aussi bien le banal et l’exceptionnel, l’espérer et la désespérance, le présent imparfait ou l’autre plus que parfait : c’est ainsi que Nathalie Watteyne réinvente l’univers qu’elle imagine ériger sur les vestiges de tous les passés, les siens comme d’autres. J’en prends pour exemple un poème de prose intitulé « tout le meilleur possible »:

De jour comme de nuit, cet ami bien doux émet des ondes pour répondre à mon désir et une telle musique à mes oreilles aide en retour à comprendre le sien. Il est si délicat que j’ai cru qu’il allait demander ma main. J’ai fait mine de ne pas saisir, car ma décision n’est pas arrêtée, et pour ne pas me laisser intimider par les picosseux avec leur cortège de mots creux. Réflexion faite, je dirai oui à des noces discrètes, sur les rives d’un cours d’eau, non loin d’un pont. (p. 49)

En refermant les pages du Sourire des fantômes, j’ai eu la certitude tranquille qu’une source d’eaux vives jaillissait des vers de la poète, tantôt épuisant tantôt revigorant Le sourire des fantômes. Il y a une légèreté d’être allant au-delà des atermoiements par l’évocation du toujours vierge et possible, car réinventant sans cesse le présent.

mercredi 8 décembre 2021

Victor-Lévy Beaulieu

Écrire sur Facebook. La vieille dame de Saint-Pétersbourg

Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, 2021, 208 p., 39,95 $.

La vie est un éclair, la mort sans fin

Victor-Lévy Beaulieu publia Ma Chine à moi le printemps dernier. Pour contourner le spleen d’après chef-d’œuvrage, il s’est remis au jogging intellectuel en affichant une prose nouvelle quotidiennement, ou presque, sur face de bouc. Il a ainsi renoué avec cette jouissive novlangue sienne, une appropriation du discours sans cesse réinventé. Après quelques mois sur le réseau, il s’est dit : « Pourquoi ne pas transformer cette centaine de contes et de racontars en un livre auquel on joindrait les illustrations que les facebookiens apprécient tant? » Et voilà qu’arrive Écrire sur Facebook. La vieille dame de Saint-Pétersbourg, contes et racontars.


De la centaine de messages parus de février à juin 2021, l’auteur en a conservé plus d’une cinquantaine, fusionnant les histoires racontées sur quelques jours. Ainsi, « Hell de Hell! » réunit les textes parus du 18 au 23 mars; il y relate la visite du réalisateur de Race de monde aux Trois-Pistoles qu’il avait invité, car il voulait lui faire comprendre pourquoi le comédien Robert Rivard devait impérativement interpréter le personnage de l’oncle Phil.

Il en va de même pour la truculente histoire de « la vieille dame de Saint-Pétersbourg » du titre, une remarquable fantasmagorie dont vous vous souviendrez longtemps tellement cette vieillissante dame indigne est à la hauteur des grands personnages dont foisonne l’œuvre de VLB.

Comment a-t-il assemblé une telle courtepointe de mots et d’images? Outre les récits dont je viens de parler, tous sont, à peu de chose près, identiques à l’original. Il y a cependant un ajout important : les exergues en tête de chacun, comme autant de poèmes dont les images illustrent le thème qu’ils jouxtent. Voyez ces exemples :

Ce qui est sans partage

Dans sa vie

Ne laisse pas de quoi

Se ressouvenir.

Ou :

L’enfance ne se vit pas

Dans l’action

Mais dans quelque chose

De plus subtil,

Qu’on appelle l’innocence

À défaut de pouvoir

La mieux nommer.

Et enfin :

La littérature des autres

A au moins ceci de bon :

Elle est consolante

Parce qu’elle sait mieux exprimer

Ce qui ne peut pourtant pas l’être.

Il y a dans ce patchwork des couleurs et des motifs entrelacés. Il en va ainsi de "l’art de se remembrer" : « J’aime cette expression et je trouve dommage qu’on l’ait mise de côté comme tant de belles choses venues de la langue française. Se remembrer, c’est se souvenir tout à coup et presque toujours par hasard d’un moment particulier du passé qui, nous revenant à l’esprit, change quelque chose de fondamental en son soi-même. »

Une question revient telle une marée d’un livre de VLB à l’autre : quelle est l’origine de son prénom. "Drôle de parentelle" nous l’apprend avec toute la richesse de la langue que l’écrivain sait si bien renouvelée. Victor lui vient de son parrain et Lévy, d’une histoire géopolitique « d’une tribu juive en exil en royaume de France, tribu surbroquée les Lévy-LeRoy. » « Si ce jour d’hui, je souffre peut-être d’une schizofinie mal identifiée mais fiable, c’est à cause que dans ma famille où c’est que ma mère aguissait le nom de Victor, j’étais surnommé Lévy… sauf, manquablement, quand on rendait vesite à mononcle Victor. Je sortais de là avec deux gros cinquante cents en argent sivousplaît, mais les oreilles pas mal écorchées, de quoi pus savoir rien de mon identifiable! »

Écrire dans les médias sociaux peut sembler un talent dont tous les abonnés sont doués. Nenni, car combien de fois les cheveux nous dressent sur la tête en constatant le bas niveau de littéracie qu’on y pratique, une constatation que font aussi les profs de cégep et d’université. À contrario, un écrivain de carrière peut faire de l’espace disponible sur les plateformes numériques un vaste terrain de jeu où pratiquer son art de diverses façons. C’est ce qu’a fait VLB, profitant du même coup des réactions immédiates de ses abonnés, de plus en plus nombreux, cela sans que Cerbère, le gardien des enfers facebookiens, ne montre ses crocs, charmé par la musique de la lyre montant de la Mer Océane.

Ces brèves histoires permettent de butiner comme les abeilles dans les jardins du Manoir French où habite l’écrivain Beaulieu et de polliniser notre imaginaire. D’ailleurs, le livre fait place en son centre à un cahier de 24 pages de superbes illustrations couleur rameutant, entre autres, dans les jardins luxuriants du maître des lieux, quelques-uns de ses animaux dont des chats, ses chiens partis dans l’au-delà, sa « vieille Fury III de1966 », sa sportive Morgan, Mélanie – une de ses « filles-sauvages » –, son lui-même, etc.

Ce superbe recueil de fables jamais moralisatrices – ou d’isopets écrits en vernaculaire beaulieusien – parce que tant et tant évocatrices que je les ai déjà lus plus d’une fois. Je vous suggère fortement de vous l’offrir et aux vôtres en famille serrée et chaleureuse en ces aveilles de Noël 2021. Pour pourrez ensuite vous y esbaudir et jouer de la langue inventive de Victor-Lévy Beaulieu qu’aucune foi ni loi ne saura encarcaner dans une bulle, si tant pétillante fut-elle qu’elle vous monte à la tête et éclaire votre esprit de son verbe haut et fort.

VLB, Dessine-moi un dimanche, Franco Nuovo, 12 décembre 2021: https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/dessine-moi-un-dimanche/episodes/590497/rattrapage-du-dimanche-12-decembre-2021

mercredi 1 décembre 2021

Collectif

L’Histoire de la loi

Montréal, Marcel Didier, coll. « Les grands concepts expliqués », 2021, 338 p., 34,95 $.

Hors-la-loi la justice? 

L’instant présent étant l’actuel étalon du temps, me semble-t-il, il n’est pas surprenant que la justice ait maille à partir avec la loi. Mais de quoi parlons-nous : de loi ou de justice? Ces deux mots ne sont pas synonymes, du moins dans les sociétés occidentales dites démocratiques comme la nôtre. Comme VLB l’écrit : « La justice n’a rien à voir / Avec la Loi parce que la Loi / Est au-dessus de tout / Et qu’il y a juste les incapables / Qui essaient de la changer ».

Pour tenter d’éclairer la lanterne du savoir, je me suis plongé dans un essai collectif, un livre de référence intitulé L’histoire de la loi. Faisant partie de la collection « Les grands concepts expliqués », l’ouvrage trace une vaste fresque des lois, des origines connues à celles d’aujourd’hui, évoquant ainsi divers thèmes : nous cultivons la justice, mes enfants ne seront pas jugés en fonction de la couleur de leur peau, Dieu est-il juste?, la guerre et la loi, la vengeance n’est pas la justice, les hommes naissent et demeurent libre et égaux en droits, la vraie loi est la bonne raison, etc.

Le concept de loi étant si vaste, le collectif d’auteurs a encadré le résultat de ses recherches en six époques : les premières lois (2100 avant J.-C. à 500 après J.-C.); le doit au Moyen Âge (500 à 1470); de la Renaissance aux Lumières (1470 à 1800); l’avènement de l’État de droit (1800 à 1945); un nouvel ordre international (1945 à 1980); le droit d’aujourd’hui (1980 à nos jours).

Il appert que deux lignes directrices convergent vers la nécessité des lois : celles édictées par un dieu et celles obligées pour une vie en société harmonieuse. Peu importent la ligne ou le point de vue considéré, l’application des lois est confiée soit à la clémence ou des châtiments du dieu, soit à la bonté ou la férocité du législateur. Il arrive même que la loi et son application se confondent au gré de la volonté du pouvoir religieux ou politique, souvent le même.

Il faut la Renaissance et des Lumières, 15e – 18e siècles, pour mettre un peu d’ordre entre les lois et leurs applications. Certes, que ce soit les politiques ou le clergé, quelle que soit la religion, aucun ne veut laisser trop de pouvoir au jugement d’une quelconque autorité, fût-elle morale. Il suffit alors de jongler avec les tenants et les aboutissants du système de justice qu’eux-mêmes mettent en place pour se garder les coudées franches.

L’exploration de nouveaux territoires et l’avènement des colonies, l’industrialisation et le commerce hors frontières, l’instauration de démocraties éclairées et l’évolution du droit sont autant de facteurs qui favorisent l’implantation du droit et de lois. La séparation du pouvoir de l’application des lois suivra, encore là avec une certaine résistance des politiques, laïques ou religieuses, grisées par le pouvoir. Ce seront et ce sont toujours les mêmes modus operandi : tenir la population en situation d’extrême pauvreté, loin des écoles et sous la férule d’hommes de main capables de toutes les vilénies.

On pense rapidement à certaines religions dont les lois sont les mêmes que celles des États qui, de toute façon, sont entre les mains d’icelles. On doit aussi se souvenir, hélas, du rôle d’éducateur des jeunes amérindiens confié jadis à l’Église au Canada. Il y a aussi la faiblesse des systèmes politiques où la nomination des juges, principaux responsables de l’application des lois, est confiée aux dirigeants en place; cette façon de faire a parfois pour résultat de leur rendre des effets délétères.

L’histoire de la loi ne se lit certes pas comme un récit d’une folle aventure, bien qu’à maints égards elle le soit, compte tenu des diverses orientations qu’elle a prises au cours des siècles et continue d’emprunter. On constate cependant sa constance de lenteur à changer certaines conceptions, même en tenant compte du renouvellement des sociétés. La cohérence sociale est devenue, depuis les années 1950, l’apanage de diverses révolutions culturelles, chez nous la Révolution tranquille.

Un demi-siècle, c’est déjà loin et plusieurs lois et leur application ont trouvé des porte-voix qui réclament haut et fort d’être actualisés. Cela n’est pas nouveau, mais la hâte en décevra plus d’une et plus d’un, car les lois ont toujours été des escargots sociaux.