Lise Gauvin
Et toi, comment vas-tu?
Montréal, Leméac, 2021, 144 p., 19,95 $.
Pour saluer une grande dame : Lise Gauvin
Un jour, à la revue Lettres québécoises, j’ai eu le privilège de travailler avec Lise Gauvin, une universitaire et une écrivaine engagée plus que quiconque par-devers l’ensemble de la Francophonie littéraire tant par les essais qu’elle consacre aux autrices et auteurs qui participent à ce grand amalgame d’une seule et même langue, mais aussi en ajoutant à cette diaspora sa propre voix, entendue entre autres dans ses récits.
« Hier, maman est morte » : ainsi débute Et comment vas-tu?, le plus récent ouvrage de Lise Gauvin, ce qui m’a rappelé Meursault au début de L’Étranger de Camus : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
Et toi, comment vas-tu? est un récit
polyphonique dans lequel quatre de femmes croisent leur destin comme si elles
tissaient un réseau générationnel. Il y a Anne, une orpheline française abandonnée
à l’Hôpital général de Paris, la Salpêtrière, en août 1656. Puis voilà Réjeanne,
« la dernière de huit enfants : quatre filles et quatre garçons dont
les âges varient de cinq à vingt-deux ans »; nous sommes en mars 1897. Cette
même Réjeanne aura quatre enfants, deux filles et deux garçons, l’aînée se prénommant
Marianne; c’est ce personnage qui sera au cœur de la trame narrative et que nous
rencontrerons en 1922. Enfin, il y a Viviane, notre contemporaine née en 1940;
c’est elle qui sera à la fois un personnage important, car elle est la
référence spatiotemporelle du récit, mais aussi parce que c’est sa voix hors
champ qui raconte l’histoire de ces quatre générations d’Anne l’orpheline pour
qui apprendre à lire et écrire est signe de son affranchissement à la misère
humaine qu’elle connaît à Viviane, la plus instruite pour qui lire et écrire sont
au centre de son existence.
Le propos de cette narratrice,
jamais nommément identifiée mais qu’on reconnaît par les caractères typographiques
sans empattement utilisés pour distinguer son temps présent du passé des autres
personnages de la galerie de femmes. Cette façon de souligner la distance
narrative permet de distinguer l’autrice de la narratrice et d’un personnage au
cœur du récit; autrement, l’ouvrage serait, à proprement parler, une autofiction.
Il n’en demeure pas moins difficile d’affirmer qu’Et toi, comment vas-tu? n’emprunte
pas à ce genre littéraire, la narratrice, comme le personnage de Viviane, ayant
plusieurs traits du caractère public de Mme Gauvin.
La fiction donne parfois le
privilège de raconter la perception de l’autrice ou de l’auteur d’événements
bien réels, qu’ils ont vécus ou non, mais qu’ils s’approprient de plein droit.
Au cœur de ces voix
générationnelles, un fil conducteur qui permet à l’autrice de raconter, presque
en temps réel et sans s’impliquer autrement que par le personnage de Viviane,
les cinq derniers jours de vie de Marianne, la mère de cette dernière. Quiconque
a accompagné un parent ou un ami proche en fin de vie sait très bien que ce
sont des moments intemporels qui permettent une mise à nu de faits concrets du
passé et de l’univers intime jusqu’au dernier souffle, en partageant sentiments
et émotions réciproques. C’est là un privilège dont Lise Gauvin communique l’essence
avec fidélité, délicatesse et finesse. La seule absente de ces moments
intemporels, c’est peut-être cette indicible odeur annonçant la mort imminente
comme celle qui précède la pluie ou l’orage.
Ces quatre femmes d’époques et de
conditions de vie différentes sont de la même lignée, chacune cherchant à sa
façon et selon l’époque et les moyens disponibles à améliorer sa condition en
faisant valoir ses droits dans le contexte d’alors. On peut dire sans se
tromper qu’Anne, Réjeanne, Marianne et Viviane donnent ensemble une image forte
du féminisme à travers les âges, du début de la colonie à aujourd’hui. Un
féminisme transmis de mère en fille, l’expérience de l’aînée servant d’appui à
celle qui prend le relais et continue la route vers la reconnaissance pleine et
entière des droits des femmes.
Plus près de nous, le récit qui
est fait du personnage de Viviane, de ses propres expériences, de 1940 à nos
jours, met en relief la proximité de la trame avec des événements de notre
histoire sociopolitique contemporaine et, ce faisant, nous fait comprendre que
la réalité peut être cousine de la fiction.