mercredi 9 juin 2021

Raymond Paul

Sortir du labyrinthe

Montréal, Druide, cool. « Écarts », 2021, 328 p., 24,95 $.

Présence de l’absence

J’emprunte le titre à un recueil de Rina Lasnier, même si le roman de Raymond Paul, Sortir du labyrinthe évoque une tout autre absence : l’amnésie totale de Suzanne, en apparence du moins. Cette rupture ou cette fuite de la réalité a duré 12 ans et, au moment où le récit débute, elle émerge du chaos et vogue sur les eaux mouvementées du quotidien.


On assiste à la sortie du dédale dans lequel un maelström persistant a plongé Suzanne et dont on cherche à découvrir l’origine et les conséquences. C’est là la quête de la première partie du roman, intitulée « Le retour ». Le second volet, « des pas sur la neige », permet à l’héroïne de raconter des événements survenus durant son amnésie et depuis son retour à la réalité, et leurs incidences sur sa vie et celle de son entourage.

On peut résumer Sortir du labyrinthe en disant qu’il s’agit d’une histoire de familles, celle de Suzanne et de François auprès de leurs parents. Puis, il y a la famille qu’ils forment avec leurs filles Gabrielle et Virginie. De prime abord, cela peut sembler réduire la complexité des rapports humains que les personnages et les leurs entretiennent. Mais non, car la notion même de famille est la principale quête des personnages.

Considérant que les années que Suzanne a passées en maison de santé, on constate qu’aucun membre de sa parentèle ne l’a visitée, comme s’ils avaient perdu foi dans son éventuel retour à leur normalité. Ce sont ses filles, son époux François et Léa, la mère de ce dernier, son frère Louis et son compagnon Julien, ainsi qu’Éric, un neveu, qui ont été fidèles à l’horaire des visites imaginé par François dans le but de stimuler l’esprit de Suzanne pour qu’elle effectue le chemin à rebours de sa réalité à la leur.

François a aussi imaginé que de lui faire la lecture comme de l’amener dans le jardin de l’institution privée où elle est traitée lui sera bénéfiques. Or, un jour de visite, Virginie et son cousin Éric croient avoir provoqué les premières réactions de la malade grâce à un jeu scénique. Les jeunes gens en viendront à comprendre que les chants des oiseaux virevoltant autour d’eux ont aussi participé à l’éveil de Suzanne.

Je note que des oiseaux de toutes sortes font partie du paysage de la trame, si bien que l’œuvre musicale d’Olivier Messiaen, « les chants d’oiseaux », est rappelée et crée l’ambiance sonore du roman.

Revenons à la famille de Suzanne. Dire que son père est un despote qui n’a de règles de vie que les siennes est un euphémisme. La loi du silence règne et on ne peut dire que le bon côté des choses afin de préserver la réputation de la famille. Un exemple de ce diktat : on tait la période d’égarement qu’enfant Suzanne a traversée, au point où elle-même semble l’avoir gommé de sa vie. Une autre illustration l’atmosphère pourrie de son enfance : la disparition de Zoé, sa peluche préférée. Ce geste évoque une autre règle du « jansénisme » familial : les enfants ne possèdent rien, car c’est malsain de s’attacher aux biens matériels.

Quant à Zoé, elle est devenue l’amie imaginaire, la confidente de Suzanne qui en a fait une girafe aux pouvoirs magiques qui peut l’amener très loin des contingences de l’existence.

C’est sa rencontre de François qui a permis à Suzanne de s’éloigner, sinon de rompre avec sa famille. Il est alors un jeune professeur, elle à la fin de ses études. Le coup de foudre ressenti fut d’une puissance fusionnelle. Leurs fréquentations et les événements en découlant se sont déroulés à vitesse grand V, si bien que Suzanne n’a appris que plus tard la vilenie de ses parents qui ont fait signer à François un engagement devant notaire.

Suzanne trouve dans la famille de François une sérénité qu’elle ne pouvait imaginer. Léa devient le tendre guide de la jeune femme qui n’hésite pas à lui confier les petites ou grandes difficultés que la vie lui réserve. Il y a aussi Louis, le frère de son mari, et Julien, le conjoint de ce dernier; l’un et l’autre sont des personnages importants que ce soit durant les années d’internement de Suzanne ou, plus tard, pour l’aider à dénouer un imbroglio familial.

Parenthèse. Raymond Paul nous permet d’accompagner Louis et Julien dans une croisière en partance de Barcelone. Les détails du quotidien des croisiéristes sont fidèles à la réalité d’un tel voyage et cette péripétie permet de mieux appréhender le rôle de chacun d’eux dans l’économie l’entièreté de l’œuvre.

La vie de la famille que Suzanne et François forment a des similitudes avec celle de Léa qui les a accompagnés avec une fine discrétion. Au début du récit, Léa est décédée et Gabrielle, l’aînée des filles de Suzanne et François, s’est mariée et est devenue maman. Virginie, la cadette, vit toujours chez ses parents et elle se soucie du retour de sa mère à la vie quotidienne. Elle n’hésite donc pas à la ramener à la réalité dès qu’elle croit percevoir qu’elle s’enferme dans sa bulle, craignant qu’elle s’absente à nouveau. Cette crainte et l’espoir que les souvenirs reviennent dans la tête de sa mère sont manifestes dans les textos qu’elle et son cousin Éric s’échangent à tout moment du récit. Ces messages ressemblent à des bulletins de santé éphémères qui, éventuellement, dépasseront les limites d’une thérapie participative en cherchant à connaître des secrets qui ne les concernent pas. C’est d’ailleurs une remarque que Gabrielle fera à sa jeune sœur.

Faut-il parler de George et de son frère Édouard, le premier étant le PDG de la compagnie d’assurance dont le siège social est à Londres pour laquelle François travaille? Bien qu’accessoire au fil conducteur du récit, ils n’en sont pas moins importants dans la vie et la guérison de Suzanne. Le romancier en a fait des personnages dont les interventions, en des lieux et à des moments distincts, sont brèves, mais combien déterminantes.

Sortir du labyrinthe peut sembler une histoire complexe, mais, grâce à l’intelligence créatrice de Raymond Paul et à sa maîtrise de l’art d’écrire, tous les éléments qui composent la trame s’enchaînent parfaitement. Chacun des personnages autour de Suzanne joue un rôle comme les pièces d’un puzzle dont l’image finale est une fresque illustrant une histoire de famille. En se rappelant la phrase de Nietzsche – « le diable est dans les détails » – qui est ici tout à fait approprié.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire