mercredi 19 mai 2021

Marie-Ève Martel et Gabrielle Brassard-Lecours (dir.),

Prendre parole : Lettres de la (plus si jeune) relève journalistique

Montréal, Somme toute, 2021, 120 p., 17,95 $.

Le faux n’engendrera jamais le vrai

Si Obélix, enfant, est tombé dans la potion magique, je suis tombé dans celle, tout aussi énergétique, de l’information – journaux locaux, presse nationale, revues spécialisées, radio, télé – grâce à mon père. Jusqu’à la fin de ses jours, je l’ai vu un journal à la main, quotidiens métropolitains et hebdos régionaux. Il écoutait aussi les infos à la radio et à la télé.

Voilà pourquoi tout ce qui concerne l’information m’intéresse au plus haut point et que je tente de lire, entre autres, les essais qui s’y consacre. C’est ainsi que j’ai recensé ici Extinction de voix : plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale (Somme toute, 2018), un essai de Marie-Ève Martel. Elle y rappelle que la propriété des médias régionaux est passée d’individus à conglomérats, Quebecor ou Transcontinental, et que cette joute de titans a malmené, sinon tué des hebdos. L’essayiste constate aussi que Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (GAFAM) ont squatté les communautés en appâtant leur principale ressource : la publicité. Que dire de la gratuité des médias sur la toile, sinon que c’est un échec financier.


 

Mme Martel et Gabrielle Brassard-Lecours proposent aujourd’hui Prendre parole : lettres de la (plus si jeune) relève journalistique, un recueil de brefs essais qui fait le bilan de l’état de l’information au Québec. On y lit les réflexions de sept journalistes proposées sous forme d’une lettre que chacun adresse à un correspondant différent : décideurs des médias, journalistes de carrière, internautes, ministres de l’Éducation et de la Culture, membres de l’Assemblée nationale du Québec, journalistes recherchistes, grands consommateurs d’information et enfin quiconque serait tenté de créer son propre média.

On retrouve ainsi Thomas Deshaies (journaliste à Radio-Canada) dans « Sortons du média-spectacle et gagnons la confiance des citoyens »; Émélie Rivard-Boudreau (correspondante régionale pour de nombreux médias en Abitibi-Témiscamingue) dans « La pige pour faire parler les régions »; Bouchra Ouatik (journaliste scientifique à l’émission Découverte, à Radio-Canada) dans « Fausses nouvelles, vrais problèmes »; Marie-Ève Martel (journaliste au quotidien La Voix de l’Est) dans « De la nécessaire éducation aux médias »; Naël Shiab (journaliste à Radio-Canada) dans « Données cherchent journalistes »; Michael Nguyen (journaliste judiciaire au Journal de Montréal) dans « Du renouvellement du savoir »; et Gabrielle Brassard-Lecours (journaliste indépendante) dans « Créer son propre journalisme ».

Martel et Brassard-Lecours racontent en introduction que le projet de cet essai collaboratif leur est venu au sortir « d’une rencontre à l’école d’hiver de l’Institut du Nouveau Monde où nous [Martel et Brassard-Lecours] avions parlé journalisme avec de jeunes adultes qui nous ont abreuvées de questions. Malgré cette curiosité rafraîchissante, nous n’avons pu igno­rer plusieurs constats dressés au cours des échanges avec notre public d’un jour : pratiquement personne ne payait pour des contenus d’actualité; tous, ou presque, s’informaient ex­clusivement en ligne; très peu comprenaient le processus de création d’une nouvelle; et bon nombre ne pouvaient pas distinguer un texte d’opinion d’un reportage neutre. Voilà le portrait du contexte dans lequel nous exerçons notre métier. Ajoutons à cela la compétition féroce des fausses nou­velles en ligne (provoquant du même souffle une importante crise de confiance envers les médias traditionnels), la dégrin­golade croissante et accélérée des revenus qui précarise de plus en plus toutes les ramifications de la profession et un exode des talents. »

L’essentiel de l’essai peut se résumer ainsi : « D’aucuns n’oseraient dire le contraire : les enjeux auxquels se confronte la relève journalistique sont de taille. Pourtant, lorsqu’il est question de l’avenir des médias, ce sont souvent les mêmes voix qui se font entendre; celles de journalistes d’expérience, modèles pour la jeune génération. Bien que leurs contributions aux débats en cours soient essentielles, il est aussi nécessaire d’entendre la relève journalistique, parce que le futur des médias résultera, en grande partie, des décisions que cette nouvelle génération prendra. Dans ce livre, sept d’entre eux s’expriment sur les enjeux de demain, leurs incertitudes et leurs aspirations. De l’indépendance journalistique aux stratégies pour combattre les fausses nouvelles, en passant, entre autres, par la transmission du savoir, la création de nouvelles instances médiatiques et le traitement de données numériques, la diversité des sujets abordés reflète celle des défis qui les assaillent. Si incertain soit l’avenir des médias, les textes réunis ici permettent de réaliser qu’il reste de l’espoir. Et que cet espoir réside dans la relève. »

On a longtemps dit que les médias étaient le quatrième pouvoir en démocratie, un rôle qu’il ne faut pas échapper car plus important que jamais, entre autres face au libertarisme que pratiquent les médias sociaux et la montée des fausses nouvelles comme autant de miroirs aux alouettes.

Mickaël Bergeron

Tombée médiatique. Se réapproprier l’information, Montréal, Somme toute, 2021, 240 p., 24,95 $.

Je vous propose la lecture d’un autre essai, publié à la même enseigne, s’intéressant aux aléas de la carrière d’un journaliste pigiste.

« Fuite des revenus publicitaires, méfiance du public, fake news, virage numérique, compressions budgétaires, réduction des effectifs, fermetures… dire qu’une crise secoue les médias relève aujourd’hui de l’euphémisme. Disons-le franchement : le milieu journalistique est en chute libre. Si aucun coup de barre n’est donné, les entreprises médiatiques continueront de fermer les unes après les autres. Bientôt, il ne restera que quelques structures dans les mains de deux ou trois milliardaires en quête d’influence. Ou encore, une poignée de petits organismes sans moyens. L’infospectacle, les chroniques et les réseaux sociaux resteront les seules façons de s’informer et les assises de la démocratie s’effriteront peu à peu.

Dans Tombée médiatique, Mickaël Bergeron dresse un portrait de la situation en distinguant trois priorités sur lesquelles travailler : le modèle de financement doit être repensé, les médias ont à assumer leurs responsabilités sociales, les salles de nouvelles doivent reconnaître l’importance de la diversité. Au carrefour de l’essai et du manifeste, du personnel et de l’universel, du découragement et de l’espoir, l’ouvrage se veut un plaidoyer pour que cette crise se transforme en opportunité. »

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