mercredi 28 avril 2021

Pierre Filion

Les derniers jours de la Reine, « triptyque des vestiges amoureux 3 »

Montréal, Leméac, 2021, 144 p. 14,95 $.

Requiem pour unamour en-allée

Les derniers jours de la Reine du Nord, le nouvel opus de l’auteur et éditeur Pierre Filion, nous plonge au cœur d’un drame si difficile à contenir qu’il faut en déconstruire la trame et renouer avec les mots en empruntant l’orthographe d’avant la réforme de 1835 alors que le « françois passe au français ».


 

Que dire de ces mots soudés les uns contre les autres à la recherche d’une voie qui permet d’entendre la mélopée de leur propre voix. Pourquoi un tel maelström, sinon parce que la puissance du récit serait impossible à seulement vouloir évoquer.

Le roman met en scène Bob et Zaza, un homme et une femme découverts dans Luxe (1989), le premier récit d’un « triptyque des vestiges amoureux » où ils se rencontrent dans un resto branché de Montréal et deviennent, presque malgré eux, des amoureux. Ils poursuivent leur quête dans Les chiens de l’enfer (1991), l’occasion de faire un « road trip » espéré salvateur.

Le roman La mort de l’âme fut annoncé comme allant être la fin de leur histoire, mais c’est plutôt Les derniers jours de la Reine du Nord qui marque le point d’orgue d’une relation tumultueuse où l’intensité des sentiments prime par-dessus tout, rappelant des écorchés vifs au napalme des émotions.

Pourquoi insister sur toutes ces années passées entre le début et la fin de ce projet, sinon pour bien faire comprendre que les jours pèsent de tout leur poids sur ce dénouement aussi difficile à raconter qu’impossible à taire par crainte d’en oublier les moindres fragments.

La Reine du Nord, c’est bien Zaza, rencontrée autrefois au Lux avec ses copines et que Bob est parvenu à séduire. Ensemble, ils feront plus tard un voyage en Californie avec une halte dans la Death Valley, une escale prémonitrice. Cette Vallée de la mort, ils se la rappellent alors que Zaza est confrontée à sa propre fin de vie, ce que sont les « derniers jours de la Reine du Nord ».

L’impuissance de Bob devant cette mort appréhendée est telle qu’il cherche à en retarder l’échéance en emmagasinant le plus de souvenirs possibles, les siens et ceux que Zaza veut ou peut encore pérenniser. Cet état d’urgence et ce devoir de mémoire sont d’une telle intensité que Bob fait de sa narration un cénacle dans lequel seul est admis un discours dont la forme importe presque plus que son cours, que sa trame.

Pierre Filion connaît mieux que quiconque le poids des mots, les règles qui contribuent à construire la structure narrative du roman tout en respectant la personnalité littéraire de l’autrice, l’auteur. Non seulement parce qu’il n’en est pas à son premier récit, mais aussi parce qu’il est un grand accompagnateur d’écrivaines et d’écrivains célébrés, l’éditeur de Michel Tremblay, Jacques Poulin, Ying Chen et tant d’autres.

Les derniers jours de la Reine du Nord n’est pas un roman à clefs, un roman dont il faudrait connaître les tenants et les aboutissants d’une histoire personnelle de l’auteur ou de son jumeau de plume. C’est une histoire si éminemment intime qu’elle interpelle des formes plus anciennes d’écriture, comme si elle était écrite par quelqu’un d’autre que ce Bob imaginaire qui ne se résout pas à mettre en mots la charge émotive de son chagrin d’assister impuissant à la lente et tourmentée agonie de sa compagne.

Bob résume ainsi la vie du couple :

« Nous devînmes une immense irruption à l’intérieur d’un œuf de coq. Puis entassâmes nos sottises sans les regretter jamais. Puis fûmes rapidement instruits des malheurs que l’horizon nous avoit préparés mijotés mitonnés fricotés. Puis redevînmes à force de rires des pulpes abrogées choses chosettes déchosés des transes infirmes des jeux charnus. La cata totale. Je savois bien disois-tu. Ton propos étoit du direct et non de l’indirect libre Il ne faut pas toujours générer du sens lors que le sens ne sert qu’à rassurer la forme et la forme qu’à supporter l’origine. » (p. 30-31)

Non seulement ce passage décrit l’« égrégore » de Zara et Bob, mais il illustre l’éventail des répétitions de synonymes ou de mots inventés dont le romancier fait bon usage, comme si le narrateur voulait blinder leurs souvenirs de tout oubli passé, présent ou à venir.

Qu’il me suffise de citer un autre passage du roman pour illustrer cette prégnance des composantes du discours narratif devenue indispensable :

« Zaza surtout regardoit loin loin loin loin loin cinq siècles d’enfoncement et d’intervalle venoient revenoient vers elle des fragments d’une oscillation qu’elle avoit l’impression le pressentiment l’assurance de reconnaître. Elle se savoit aussi d’une autre époque du Nord ils le savoient s’étoient raconté toutes ces radoteries et ravaudages cousus de chairs anciennes. De celles qui reparaissent sans qu’on les invite au coin du feu. Qui se reconstruisent par lots d’images furtives tirées des fonds d’archives où elles s’étoient déposées en sédiments sur lelit des mères. » (p. 42) Et comme pour appuyer ma compréhension, l’auteur note : « Même la combinaison des mots choisis d’une vie appartient au scénario des croisières tout-inclus. » (p. 132)

Les derniers jours de la Reine du Nord peut « étonner par son caractère insensé, déraisonnable, excessif » tant des personnages et des péripéties racontées que de son matériau plus basiquement littéraire. En cela, je suis d’avis qu’il se rapproche de la facture du surréalisme, ce « mouvement intellectuel et artistique révolutionnaire qui prône l’utilisation des forces psychiques libérées du contrôle de la raison et l’abolition des valeurs reçues. » Comment aurait-il pu en être autrement quand on se fait le devoir de mémoire d’une relation démesurée parce qu’immesurable?

mercredi 21 avril 2021

Dan Hooke (dir.)

L’Atlas des changements climatiques. Que se passe-t-il? Comment peut-on agir?, Montréal, Hurtubise, 2021, 198 p., 22,95 $.

De la théorie à la pratique : le temps d’agir

Les changements climatiques, convenons-en, sont le principal enjeu de l’avenir de la planète terre et de tout ce qui s’y trouve. Plus je lis sur le sujet, écoute les informations scientifiques et cherche à mieux comprendre l’état des lieux, plus j’adapte mon quotidien aux réalités environnementales actuelles. Or, voilà que paraît L’Atlas des changements climatiques. Que se passe-t-il? Comment peut-on agir? qui résume en mots et en images l’abc de ces changements.


 

Pour pallier mon inculture en matière de chimie et de physique, je me tourne vers l’ouvrage dirigé par Dan Hooke qui propose une lecture interactive des sources du réchauffement dont on découvre, jour après jour, les effets pervers sur la nature végétale, animale et minérale, son territoire et ses eaux. Ainsi, il s’intéresse au climat mondial, aux causes et aux effets du changement climatique, et comment agir pour le contrer.

Nous qui sommes abonnés aux bulletins météo qui dictent nos journées, du vestimentaire à la moindre activité, l’état du climat mondial est plus vaste, car il fait référence à l’« ensemble des phénomènes météorologiques qui caractérisent l’état moyen de l’atmosphère en une région donnée » lequel subit les changements climatiques. Par exemple, la température du mois de mars 2021, nettement plus élevée que normalement, reflète les effets des changements climatiques. Que dire de l’effet de serre, du cycle du carbone, de l’empreinte carbone et de l’importance que revêt l’étude du climat?

Quelles sont les principales causes des changements climatiques? L’Atlas en retient une dizaine : les activités humaines qui émettent des gaz à effet de serre (GESS) et leur empreinte carbone, l’accroissement de la population planétaire, les divers usages des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), la pollution de l’air de plus en plus visible, la part de l’agriculture et de ses productions, la déforestation, les transports routiers, la part de l’avion et le textile. Ces situations sont archiconnues, mais difficilement renversées. Par exemple, si la pandémie a réduit le trafic aérien, le transport routier s’est accru, entre autres au détriment des transports collectifs craints pour cause de contamination.

La troisième section du livre s’intéresse aux effets des changements climatiques partout sur la planète, entre autres les diverses façons qu’ils affectent l’atmosphère, la végétation, la faune et l’environnement. Que dire du réchauffement global causé par l’augmentation des GES dans l’atmosphère terrestre, sinon qu’il entraîne la multiplication des extrêmes climatiques, dont les vagues de chaleur qui occasionnent la hausse des décès, les crues imprévues qui isolent des communautés, les ouragans et les tsunamis, les feux de forêt, etc. Cela sans oublier la fonte accélérée des calottes polaires – « la glace d’été arctique a perdu environ 40 % de sa surface depuis le premier suivi satellite en 1979 » – et l’effet sur la population et les animaux qui habitent ces territoires et le réchauffement des océans.

Ces inquiétudes, bien réelles, ne sont pas reconnues de tous et les moyens pour contrer les changements climatiques ont peu à voir avec les catastrophes observées. Les objectifs internationaux sont ambitieux, mais ne se traduisent pas par de réelles actions pour réduire les GES. Les solutions solaires pour capter la puissance de cet astre, peu importe la saison, ne sont pas négligeables comme la part de l’éolien. L’électricité et les divers usages mis de l’avant ne conviennent pas à tous les pays, car la production d’électricité est souvent plus polluante que la diminution de GES ciblée selon ses sources. La restauration des forêts et les programmes de protection de la biodiversité sont aussi des moyens efficaces si on ne cède pas aux impératifs commerciaux. Enfin, que peut-on faire individuellement pour ralentir la progression des changements climatiques, sinon de changer certaines de nos habitudes de vie quotidienne.

Bref, L’Atlas des changements climatiques nous apprend l’essentiel de « ce qu’il faut savoir sur l’urgence climatique actuelle et de quelle façon nous pouvons changer le cours des choses. »

mercredi 14 avril 2021

Karine Geoffrion

La valse

Montréal, Sémaphore, 2021, 104 p., 16 $ (papier), 12,99 $ (numérique).

Le vernis de l’illusion

Le poids que portent parfois les gens riches et célèbres, ou juste fortunés, est parfois si banal qu’on ne saurait même pas l’imaginer. Le vernis de leur univers, qu’on imagine faussement artificiel, est à peine appliqué qu’il craquèle de tout bord tout côté. Alors, l’image de soi en prend un coup qu’il ne faut surtout pas laisser paraître pour ne pas avoir à repartir à zéro, ce nombre si dégradant. C’est un peu ce qui me turlupinait en lisant La valse, second roman de Karine Geoffrion paru dernièrement aux éditions du Sémaphore.


L’héroïne et narratrice de l’histoire se nomme « Isabelle Lalande, designer d’intérieur de renom, animatrice d’une émission de télévision de décoration ». « Xavier Sauriol, sommité en doit des affaires, associé directeur à quarante-deux ans d’un des plus grands cabinets montréalais » est son époux et partenaire de jeu. Marié depuis 10 ans, le couple a deux garçons, Édouard et Paul. Quant à Luisa, c’est la femme à tout faire : nounou, cuisinière, femme de ménage; bref, c’est la régente de la maisonnée en l’absence des parents.

Xavier est toujours très occupé, il travaille de plus en plus fréquemment tard en soirée pour rencontrer des clients en urgence ou finir de préparer un dossier complexe entendu le lendemain en cours. Isabelle est aussi très accaparée par son équipe de décoratrices, les clients à rencontrer pour initier ou compléter un projet, ses amies avec qui jouer un match de tennis suivi d’un lunch sur le pouce dans un resto branché, cela sans parler de l’organisation de leur dixième anniversaire de mariage. Heureusement, elle peut compter sur Michèle, sa dévouée secrétaire qui gère son agenda et voit à l’intendance de tout ce qui peut déborder des occupations de sa patronne.

On rencontre aussi la mère d’Isabelle pour qui les succès de son gendre adoré comptent plus que tout au monde, alors que les réussites de sa fille sont normales. Que dire de Marie, la sœur cadette de la décoratrice, sinon qu’elle a toujours vécu dans l’ombre de sa sœur et, ne parvenant pas à créer un certain équilibre émotif, elle semble toujours vouée à l’échec. Enfin, il y a Henri, un ami indéfectible d’Isabelle qui lui sert de chevalier servant lors d’activités sociales quand Xavier est indisponible; il y a aussi Mylène, une ancienne employée renvoyée et qui, morte de jalousie, lui a volé quelques clients.

La romancière dessine une fresque intimiste de la vie d’Isabelle et Xavier à un moment charnière de leur existence. Au-delà du blingbling qu’Isabelle aime, entre autres en glissant des noms connus, le bijoutier français Cartier par exemple, ou les « cinq mille dollars bien investis » pour le gâteau de leur anniversaire de mariage, il y a un vent d’inquiétude qui s’élève sur sa vie de couple. D’ailleurs, les préparatifs de cette fête, pour laquelle elle a loué une auberge au bord du lac Memphrémagog, semblent loin de sa vie de couple. Ce n’est pas pour rien que la première des trois parties du roman s’intitule « L’anniversaire ».

Or, il y a un éléphant dans la pièce qui se manifeste par des passages en italique dispersés à travers la trame et qui raconte une histoire parallèle, une mise en abyme de l’histoire principale. Qui est l’autrice des péripéties se jouant en même temps que se prépare la fête? On en vient à comprendre que ce récit se rapporte aux appréhensions d’Isabelle, à savoir que Xavier a une maîtresse. Qui est cette autre femme? Le seul nom qui vient à l’esprit d’Isabelle est celui de Mylène, son bras droit déchu. Mais à qui confier ses doutes, son inquiétude, car ce serait avouer un échec impensable pour l’image du couple propret qu’elle entretient?

Leur anniversaire de mariage, où tout n’est jamais assez gros et assez grand pour Isabelle, devient l’apothéose de cette fuite en avant. Mylène, étant parmi les invités, c’est sa robe transparente qui la fait réagir, car elle est plus remarquable que la sienne, pourtant taillée sur mesure par une designer à la mode. Il y a aussi que Mylène fait de nombreux apartés avec Xavier, ce qui entretient son doute qu’elle est sa maîtresse.

Soyons prudents, restons dubitatifs, car la romancière a créé une Isabelle ambitieuse, parfois manipulatrice et surtout prête à tout pour préserver son image de femme parfaite réussissant sa vie de famille aussi bien que sa vie professionnelle.

La fête passée, Isabelle a accepté de rendre service à Marie pendant un séjour à Paris et de passer régulièrement chez elle pour nourrir le chat. « L’appartement », la deuxième partie de La valse, relate les visites chez sa sœur, en profitant aussi pour s’y réfugier. C’est d’abord une occasion de casser du sucre sur le dos de sa sœur, une « looser » selon elle, cela lui permet de se familiariser avec le quotidien d’une femme qui est autre que celle qu’elle a imaginé être sa propre sœur.

Le roman se termine sur « La porte », celle qu’Isabelle referme craignant voir sa vie de couple basculée dans une rupture aussi fracassante que déshonorante. Qu’a-t-elle compris sinon que peu importe avec qui Xavier a pu entretenir ou entretient une liaison, cette autre n’aura eu que ses restes à elle, mais jamais de partager la vie de cet homme. Aveuglement volontaire d’Isabelle? Non, plutôt sa façon d’assumer le personnage qu’elle a fait d’elle-même et qui lui convient malgré tout.

Le roman de Karine Geoffrion nous fait entrer dans un univers où les artifices, les illusions et le paraître comptent par-dessus tout. Nous y découvrons l’envers du tape-à-l’œil, beaucoup moins reluisant celui-là. Le jeu de qui perd gagne que propose l’autrice est d’une redoutable efficacité, un univers où tous les coups semblent permis à condition qu’ils restent du domaine privé.

mercredi 7 avril 2021

Stéphane Garneau

Celui qui reste : lettre à une amie disparue

Montréal, Libre Expression, 2021, 136 p., 22,95 $.

L’ironie de soi

Quand la mort vous a-t-elle rejoint? Moi, ce fut le 16 juillet 1959. J’avais douze ans et m’esbaudissais dans une colonie de vacances quand mon père est venu me chercher : grand-papa Paul, le père de maman, venait de décéder. Depuis, je n’ai jamais oublié l’idole de ma petite enfance.

C’est l’histoire de morts, toujours vivants dans le souvenir, que raconte le journaliste et auteur Stéphane Garneau dans Celui qui reste : lettre à une amie disparue. Rien de triste ici, à peine un peu de nostalgie en se remémorant des moments précis ou, plus simplement, de la présence affective de gens qu’il a connus. Il y a aussi ceux dont le décès fut irrévérencieux, parce que trop brutal, et dont il a voulu connaître l’état des survivants dans lequel la Faucheuse les a laissés ou abandonnés.



« La mort a eu la bonne idée de me foutre la paix pendant une grande partie de ma vie adulte. Puis vint la décennie 2010. La série noire. Comme pour rattraper le temps perdu, elle allait emporter plusieurs membres de mon entourage proche. Fin 2012, on comptait cinq hommes dans ma famille immédiate. Depuis l’été 2018, je suis le seul qui est encore debout. » (4e de couverture)

L’exercice auquel Stéphane Garneau se livre consiste à partager diverses façons de vivre l’après-décès, ce deuil dont on parle tant et qui est bien plus que de lâcher prise et de laisser le temps faire son œuvre. C’est pourquoi il suggère de noter rapidement des détails qui finiront par s’évanouir sans qu’on y puisse quoi que ce soit.

L’auteur a choisi de faire ce pèlerinage au pays des défunts en écrivant une « lettre à une amie disparue », « Beauté ». Il relate leur relation dès le début de sa quête, ce qui atténue l’aspect dramatique de son récit. Cette « Beauté des îles » devient sa partenaire de narration dont il emprunte les mots pour mettre son discours en perspective.

Ce que j’apprécie de ces 9 instantanés, auquel s’ajoute une mise en perspective du vivre un deuil, c’est la distance de ton qu’il s’efforce de conserver du début à la fin, même dans les passages nettement plus émouvants. Jamais de pathos, mais toujours cette bouée si utile qu’est l’ironie par-devers lui-même ou par-devers des situations relatives à ses rapports ou ses liens avec tel ou tel défunt. D’ailleurs, il identifie uniquement les gens connus de la sphère publique, comme son père ou les parents de Dominique Anglade; l’important n’est pas le nom des défunts, mais les conséquences que leur disparition a eues sur leur entourage.

Y a-t-il une différence entre un décès médicalement « programmé » – ce glas sonné par l’oncologiste ou quel qu’autre soignant et une mort subite? Et ces gens avec qui on a partagé de bons moments ou une certaine intimité dont on a perdu la trace et qui nous reviennent sur le pas d’un mausolée imaginaire?

Perdre une amie, un frère, un neveu ou même son père sont des situations distinctes selon l’intensité des relations entretenues avec chacun. Notre âge, comme celui de la défunte ou du défunt, joue aussi sur notre appropriation du décès, car la mort gagne une forme d’acceptation de plus en plus raisonnée avec le vieillissement puisque nous savons que nous allons y passer tôt ou tard.

De tels contextes sont relatés quand l’auteur parle de son neveu ou de la conversation avec l’homme d’affaires Alexandre Taillefer dont le fils adolescent s’est suicidé. Le mythe voulant que le décès d’un enfant ne doive jamais se produire avant celui des parents a la vie dure. Hélas! cela se produit de plus en plus fréquemment et cause tous les dommages moraux qu’on peut imaginer.

Le récit intitulé "Mon frère" est fort émouvant. Il exige une mise en contexte pour bien comprendre la relation entre les deux frères et leur famille, pour mesurer les conséquences de ce décès sur leur entourage. On peut croire qu’il y a eu une relation amour-haine entre les frères et une relation toxique pour le reste de la famille. Et le voilà qu’après s’être sorti de la rue, au sens propre et au figuré, ce frère meurt des années plus tard sans que leur relation soit complètement rétablie.

Qu'en est-il du décès de Richard Garneau, le "Papa" de l’auteur? Celui-ci brosse une fresque des relations père-fils à différentes époques et il exprime sa fierté, son admiration pour son père en relatant quelques anecdotes, dont cette dernière émission de « Samedi et rien d’autre » à laquelle ils ont participé.

Stéphane Garneau fait œuvre utile en publiant cette lettre à une amie, son témoignage permettant de mettre en perspective diverses réactions au moment du décès d’une personne qui nous est ou nous fut chère. Cela permet, entre autres, de mesurer le poids des relations familiales et celui des amitiés, ces liens que l’éducation judéo-chrétienne donne à croire éternels.

Quand il écrit que, lorsque les familles Garneau réunies au chevet du papa pour décider de mettre fin ou non au traitement devenu inutile, son père était déjà décédé dans son for intérieur. Pour avoir pris semblable décision après avoir accompagné mon propre père durant ses dernières semaines sur terre, je crois que le moment final est venu de lui-même, un apaisement profond comme une porte d’entrée du deuil.