Jérôme Élie
Le coup du héron
Montréal, Pleine lune, 2020, 128
p., 20,95 $.
Kaléidoscope hallucinant
Monsieur Belmont et sa fille
Lédia font leur marche dominicale avenue Émile-Zola, en direction du pont Mirabeau,
celui immortalisé par Guillaume Apollinaire, et de là jusqu’au square
Théophile-Gauthier, une place en forme de T. Lui lira un journal pendant que la
gamine s’esbaudira dans les allées. Ce jour-là, après s’être amusée, elle veut
rejoindre son papa, mais il ne semble ne plus être là où elle l’a laissé. Panique
en la demeure! L’inquiétude passée, elle le retrouve, mais lui ne comprend pas
cette agitation et la rassure.
Cette scène ouvre la porte de l’univers
de Lédia, personnage au cœur du septième roman de Jérôme Élie, Le coup du
héron. Le décor, vous aurez compris, est planté dans un quartier de la
Ville lumière qu’on peut imaginer comme les quatre ou cinq personnages de cette
histoire aux allures de récit surréaliste. Chose certaine, la rigueur de la
structure de Jérôme Élie a donné à son œuvre – trois parties, la première en
deux sections, la deuxième en six, et la dernière en une seule – évite que l’on
s’égare.
Le père des premières pages meurt, le temps que « vienne le pire, sonne l’heure. » Lédia, encore très jeune, est ainsi confronté au deuil, mais aussi au désarroi de sa mère lequel se manifeste par de curieuses réactions. Ainsi, un jour où la fillette rentre de l’école et, ayant oublié ses clés, sonne à la porte; sa mère lui ouvre, mais ne la reconnaît absolument pas. L’enfant court chez sa tante, lui raconte l’incompréhensible réaction de sa mère, qui la ramène sans que Mme Belmont reconnaisse sa fille. Il faut quelques mois de soins pour qu’elle se rétablisse du « délire d’identification » et d’une dépression faisant suite au décès trop rapide de son époux.
Premier saut dans le temps. Nous
retrouvons Lédia en fac de Lettres, amoureuse d’Albert qui prépare médecine et partage
ses confidences avec Alejandra, « poétesse argentine émigrée en France,
jouissant déjà d’un vrai renom dans son pays » Un jour, le jeune homme traduit
un poème de cette amie; celle-ci apprécie son travail, ce qui sème un peu de
jalousie dans l’esprit de son Lédia. De fil en aiguille, ce sentiment empiète
sur son amour et l’amène à faire mille reproches à Albert. Tant et si bien, qu’un
jour, Lédia est surprise de trouver un appartement très bien rangé, mais les
tiroirs et le placard où se trouvent normalement les vêtements de son compagnon
sont vides.
Elle téléphone Alejandra et lui
raconte son désespoir. Son amie écrivaine est étonnée, car elle ne connaît
aucun Albert dans la vie de Lédia. « Ce qui se trame n’a rien à voir avec
la maladie mentale, ce n’est pas sa vision distordue de la réalité qui est en
cause, mais la réalité elle-même qui lui joue un sale tour. » La situation
va de mal en pie au point où Alejandra en informe la mère et la tante de son
amie. Cette dernière voit là une certaine analogie entre les symptômes de sa
nièce et ceux de sa sœur, la maman de la jeune femme qui fut traitée pour un ictus.
Les trois femmes finissent par convaincre Lédia de consulter, mais elle « ne
dévoilait que ce qui l’accommodait. »
Se la jouant avec conviction,
elle en vient à ne plus mentionner le nom d’Albert et de leur relation, sans l’oublier
pour autant même vingt ans plus tard. Un jour pourtant, elle croit l’apercevoir
sur la rue et se met à le filer jusqu’à ce qu’elle découvre où il habite et,
surtout, son nom, « car c’était bien lui ».
La deuxième partie du roman se
résume en un chassé-croisé entre rêves et réalités, entre souvenirs et oublis,
entre passé et présent. Au cœur de ce ballet de moments cocasses et d’instants
graves, il y a Lédia, évidemment, et surtout l’Albert qu’elle croit avoir retrouvé.
Il est médecin, comme l’autre qu’il se défend d’être malgré l’insistance de Lédia.
Cela devient pour elle et lui une quête à laquelle ils refusent de mettre fin
tant et aussi longtemps qu’ils ne l’ont pas menée à bien.
Jérôme Élie jongle habilement avec
la mémoire et les souvenirs de ses personnages, l’une étant ici vive et là
trompeuse, les souvenirs, telle une photo de classe, parfois mensongers. Lédia
et Albert retrouvent un ancien confrère de classe, Séguret, et ils réalisent alors
qu’ils ont fréquenté la même école, mais que, même si leurs noms figurent
derrière la photo de groupe, ils ont été gommés de l’image. Quant « au
coup du héron », il ressemble à un coup du destin qu’on ne puisse jamais affirmer
ou nier avec certitude. Ainsi, on n’est pas surpris que la disparition de Lédia
elle-même, car tout « ainsi va s’effaçant ».
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