Christian Barthomeuf
Autoportrait d’un
paysan rebelle : une histoire de pommes, de vin et de crottin
Montréal, du
passage, 2020, 232 p., 34,95 $.
Prédisposition : autodidacte
Associer les mots autoportrait et
rebelle a piqué ma curiosité. Il y a aussi que Laurel Waridel signe une des
présentations et que Virginie Gosselin a fait les photos, elle qui a cosigné avec
sa sœur Marie-Pier l’album familial, Au
gré des champs. Les astres montérégiens convergeaient, je me devais recenser
Autoportrait d’un paysan rebelle : une histoire de pomme, de vin et de
crottin, un essai de Christian Barthomeuf.
Laure Waridel salue la permaculture
pratiquée par C. Barthomeuf et Louise Dupuis sa compagne : l’agriculture
biologique. La militante écrit entre autres : « En cette ère de grands
bouleversements écologiques et de montée des inégalités sociales et économiques,
la lecture de ce livre donne un élan d’espoir. Il donne le goût de prendre soin
de la vie. Celle que l’on boit. Celle que l’on mange. Celle que l’on habite et
qui nous habite. Celle qui constitue notre bien commun le plus précieux. »
Cet engagement est le résultat d’un
long et lent cheminement qui fait qu’aujourd’hui le fruit de leur labeur est déjà
pérenne.
Le billet de Jacques Orhon, sommelier
et auteur d’ouvrages sur les vins, résume le chemin du combattant : du Domaine
des Côtes d’Ardoise créé en 1980, à la Chapelle Sainte-Agnès à Sutton en 1997
et, plus tard, à La Face cachée de la pomme et au Domaine Pinacle. Orhon rappelle
que C.B. est le créateur du cidre de glace, ce qui lui a valu diverses reconnaissances,
nationales et internationales.
Christian Barthomeuf a raconté les
faits marquants de sa carrière à Julie Aubé, nutritionniste et conférencière;
elle l’a assisté dans ce travail, tantôt pour préciser un événement, tantôt l’évolution
d’une activité ou d’un projet, et ce même s’il a sans doute le verbe aisé quand
il s’agit de raconter ses passions. Il n’est donc pas étonnant que cette
autobiographie se lit comme un roman d’aventures, celle d’un créateur aux multiples
talents qui ne compte ni les jours, ni les mois, ni les années pour réaliser
ses projets coûte que coûte.
Sa venue au Québec en 1974 n’est
pas touristique, mais la suite d’un cadeau que ses parents lui firent à l’occasion
de ses 11 ans : un petit Kodak Brownie. Ce modeste appareil photo va
changer le cours de son existence en éveillant la passion de la photographie
qui, un jour, l’amène à pratiquer professionnellement cet art. Mais avant, en
toile de fond de son enfance, C.B. applique à son histoire la phrase d’Euripide :
« Toutes les impressions qu’on reçoit dans l’enfance, on les conserve jusque
dans la vieillesse. »
Cette enfance est faite de leçons
tirées d’événements fortuits, de rencontres anodines et de vacances à la
campagne chez ses grands-parents paternels aux origines auvergnates dont les
terres étaient cultivées sans tracteur et sans engrais chimiques. Dans cette région,
on attribuait un surnom à chacune des familles; le sobriquet des siens était « Saragnat »,
un nom qu’il amène dans ses bagages. Le biographe n’est pas tendre envers l’enfant
qu’il fut, rappelant l’anathème si souvent lancé à son endroit, « bougre d’andouille ».
Adolescent, ses parents s’établissent à Saint-Martin-de-Crau, près d’Arles. L’école
n’est pas vraiment son truc et le diagnostic d’un orienteur est sans appel :
« prédisposition autodidacte ». Profitant de la maison des jeunes du coin,
il apprend à faire du laboratoire photo et devient pigiste pour le journal local.
Il quitte le nid familial encombré, s’installe à Toulouse avec son ami Gus
avant qu’arrive le service militaire obligatoire. Le récit de ces mois en uniforme
est truculent et rappelle certaines comédies françaises.
Après ce passage, C. Barthomeuf devient
copropriétaire de Labo Films Productions, une société spécialisée dans le
documentaire et le film touristique, établie à Montpellier. C’est là qu’il
rencontre une bande d’étudiants québécois, dont une certaine Denise qu’il accompagne
lors de son retour dans la belle province. En 1974, il y a ici plus d’emplois
que de personnel et tous les deux se trouvent du travail et un petit meublé à
Montréal. Il se découvre alors une passion pour les systèmes de son et décide d’ouvrir
un magasin spécialisé sur le boulevard Taschereau. Les affaires roulent si bien,
qu’il est sur le point d’ouvrir une seconde boutique… à Saint-Jean-sur-Richelieu.
En 1977, il rencontre un visiteur
français qui lui fait l’éloge du village de Frelighsburg. Denise et lui s’y
rendent, tombent sous le charme de l’endroit et veulent s’y établir. Ne trouvant
pas une exploitation qui leur convient, on leur propose une ferme abandonnée du
côté de Dunham et ils l’achètent. Que faire de cette propriété, ses seules
connaissances en agriculture sont ses souvenirs d’enfance? Heureusement, sa
compagne d’alors fait vivre le ménage en donnant des cours d’anglais aux
prisonniers de Cowansville. On lui fait remarquer que les côteaux de l’endroit
seraient une terre idéale pour faire pousser de la vigne. L’idée lui plait sans
qu’il ait les connaissances et les habiletés essentielles à cette culture.
Encore une fois, l’anathème du
conseiller en orientation le frappe et il se lance tête baissée dans cette énième
aventure qui ne sera pas la dernière. Il baptise son territoire Domaine des Côtes
d’Ardoise et y sème les premières vignes en 1980. Comme tout bon autodidacte,
il apprend sur le tas le métier de vigneron et ses aléas, tout en affrontant la
crise économique qui sévit alors. Été 1982, il accueille un stagiaire français,
Charles Henri de Crouseilles, fils de vigneron, qui crée, plus tard avec des
partenaires, le Vignoble de l’Orpailleur.
Les premières bouteilles des
Côtes arrivent l’année suivante. Lors d’un événement de fin d’année, le Dr
Jacques Papillon est séduit par le produit et propose d’acheter le vignoble tout
en embauchant Barthomeuf à titre de responsable de la production. Passionné
plus que jamais, le diable d’homme lit tout ce qu’il trouve sur le sujet, particulièrement
ce qui concerne les cépages vitis vinifera aussi appelés cépages nobles;
il va en France « quérir le matériel nécessaire à l’exploitation du jeune
vignoble (tracteurs enjambeurs, arroseur, etc.). »
Un des problèmes majeurs des vignobles
des années 1980-1990, et encore aujourd’hui, c’est le prix de vente de leurs
produits. Le coût réel de production et celui demandé pour les bouteilles à la
ferme est énorme en comparaison des vins importés. « Le rapport qualité-prix
ne correspondait pas à la réalité du marché. »
Toujours à l’affut de nouveauté, Christian
B. produit, en 1990, le premier vin de glace québécois avec du Vidal vendangé en
décembre précédent. Cette même année, il a l’idée de produire du cidre de glace
et embouteille sa première cuvée en 1992. Entre temps, il a quitté le vignoble
de Dunham et Louise, sa compagne depuis, entre dans sa vie. Malgré les diverses
expérimentations, le couple se garde du temps pour voyager. C’est d’ailleurs
lors d’un séjour en Mauritanie, en 1996, qu’ils font leur un dicton du pays :
« Ne faire que ce dont nous avons besoin. » Ce mantra guide depuis le
mode de vie et celui de leurs productions.
Le goût du vin n’est jamais loin.
Pour y revenir, ils choisissent la culture biologique même s’ils n’y
connaissent rien. Comme d’habitude, C.B. effectue des recherches pour se faire
une tête et évaluer la faisabilité d’un vignoble bio. La notion de terroir
devient un phare dans la nuit. « Un goût de terroir, c’est l’interaction
de la faune, la flore, les champignons, les micro-organismes (bactéries,
microbes, etc.) qui sont indispensables et indissociables de la vie du sol. »
Mais, avant de s’y mettre, il faut renaturaliser la terre, puisqu’après « quelques
années d’utilisation de désherbants, la structure vivante qui pourvoyait
gratuitement à la richesse du sol depuis des milliers d’années avait disparu. »
La théorie est évocatrice, mais la
pratique exige du temps, beaucoup de temps où il faut aussi assurer sa
subsistance. C.B. s’implique donc dans trois projets : le vignoble
Chapelle Sainte-Agnès à Sutton, les vergers la Face cachée de la pomme et le Domaine
Pinacle. Il met à profit l’expérience acquise tout en expérimentant ses
nouvelles découvertes. Louise et lui ne projettent pas alors d’acheter une
propriété, mais la visite d’une terre en friche dans la région de Frelighsburg
remet cela en question.
Débute alors
une aventure fort détaillée dans l’autobiographie. D’une certaine façon, les
expériences relatées permettent au commun des mortels, dont je suis, de mieux
comprendre ce qu’est la culture biologique, d’une part, et comment il est
possible de faire revivre une terre trop longtemps exposée aux pesticides et aux
engrais chimiques. Le Clos Saragnat, leur propriété et le nom de leur vin,
prend des années à ramener à la santé, à une vie naturelle. Comment nourrir la
terre autrement? Le crottin du titre de l’essai est une des réponses dont deux
chevaux triés sur le volet assurent la production. S’ajoutent aux équidés des
poules en liberté « surveillée » qui stimulent le couvert de terre en
picorant à qui mieux mieux, en déféquant à l’avenant et en les déplaçant en bande
d’un coin à l’autre de la propriété.
Autoportrait
d’un paysan rebelle : une histoire de pommes, de vin et de crottin est,
à sa façon, un roman d’aventures avec de multiples péripéties et de nombreux
rebondissements. Certes, c’est l’histoire de succès, mais constituée d’essais, d’erreurs
et de silences. On ne peut reprocher à Christian Barthomeuf la complaisance à l’égard
de son travail, car il en est ainsi de l’autobiographie. On peut rendre hommage
à sa détermination et, surtout, à son goût de l’aventure, lui dont a remarqué
la prédisposition autodidacte.