Myriam Beaudoin
Épiphanie
Leméac, 2019, 144 p., 14,95 $.
L’impossible rêve
Au temps de mon enfance, l’Épiphanie,
avec une majuscule, marquait la fête des Rois, le 6 janvier. Ce mot, sans majuscule
cette fois, c’est aussi « la compréhension soudaine de l’essence ou de la
signification de quelque chose ». Or, Épiphanie, le quatrième roman
de Myriam Beaudoin, aborde justement la découverte fulgurante d’un sentiment, une
révélation de soi à soi.
L’autrice de cette autofiction nous
fait les témoins de sa quête : devenir mère. Rien ne va du côté de ses
ovules et des spermatozoïdes de son conjoint N. qui semblent se fuir plutôt que
de se fondre en un enfant à naître. En six tableaux et un épilogue, nous
accompagnons la narratrice Myriam – l’autofiction, aussi vraie soit-elle,
demeure une œuvre d’imagination – dans le dédale des thérapies de tout ordre.
Consultations et conseils ésotériques
se succèdent, suite d’abus de la crédulité d’une femme et d’un conjoint prêts à
tout pour devenir parents. Quelle misère que d’exploiter ainsi les gens de
certains thérapeutes alternatifs – l’alternatif ici, c’est de devoir rémunérer
rubis sur l’ongle chacun d’eux en ajoutant le prix des potions, tisanes ou
crèmes recommandées.
Cette hâte prénatale démesurée
fait perdre tous ses repères à la narratrice. N, le père en devenir, pense abandonner
leur projet de fonder une famille traditionnelle. Arrive le diagnostic final :
on ne peut expliquer l’impossibilité d’enfanter, la science ne pouvant pas tout
élucider. Le couple se tourne alors vers l’adoption et ses longs préalables. Enfant
d’ici ou d’ailleurs? Naissant ou de 2-3 ans? Quelles sont les principales
caractéristiques recherchées? Ou bien la narratrice a choisi de ne pas entrer
dans plus de détails du bébé cible parfait ou les gens consultés ont bâclé le
dossier.
Peu importe, le problème n’est
pas là, mais dans la rencontre de parents aux espoirs gonflés à bloc avec un
potentiel enfant, un poupon dont on doute de l’état de santé réel. Le temps que
la narratrice tienne dans ses bras ce petit être et comprenne que cela ressemble
à un supplice imposé à un condamné. L’état de santé de Luna Grâce, le bébé en
question, est préoccupant au point où il ne convient pas à un couple sans
expérience parentale; hélas, Myriam subira longtemps les conséquences déroutantes
de cette rencontre.
L’adoption d’un enfant n’est pas,
à mon avis, un acte de générosité, mais le projet de toute une vie. Si jadis l’adoption
avait une dimension secrète – de cette situation est né, entre autres, le
mouvement retrouvailles encadrées aujourd’hui par une législation –, c’était
parce que les mères célibataires étaient au ban de la société pour avoir conçu un
enfant en dehors du lien sacré du mariage. En donnant son enfant, la mère
naturelle– qui n’avait généralement pas le choix – s’engageait à ne jamais le revoir.
Autre temps, autres mœurs, les diktats d’autrefois ont été remplacés par de nouveaux
ni meilleurs ni pires.
Pour Myriam et N., la seule idée
qu’on pourrait leur retirer l’enfant après en avoir fait le leur au fil des
jours, des mois ou même des années leur est impensable. Même s’ils reconnaissent
que la mère biologique peut éventuellement rester en contact avec l’enfant sous
certaines conditions, il leur est impossible d’imaginer une garde partagée entre
les parents biologiques et les parents adoptifs, entre eux et des inconnus,
même pour l’enfant.
L’histoire que Myriam Beaudoin
raconte dans Épiphanie n’a rien de joyeux. C’est la croix et la bannière
du début jusqu’à la fin, ou presque, mais c’est surtout la volonté presque
maladive d’avoir un enfant à qui donner le meilleur de soi. Le roman illustre
bien que l’égoïsme de la parentalité peut devenir une nécessité vitale du
couple et ainsi se transformer en pur altruisme, en générosité de tous les instants.
Croyez-moi, c’est possible, je
peux en témoigner ayant vécu une telle expérience avec mes propres parents venus
me chercher à l’hôpital de la Miséricorde à ma naissance, il y a plus de 72 ans.
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