mercredi 9 octobre 2019


Myriam Beaudoin
Épiphanie
Leméac, 2019, 144 p., 14,95 $.

L’impossible rêve

Au temps de mon enfance, l’Épiphanie, avec une majuscule, marquait la fête des Rois, le 6 janvier. Ce mot, sans majuscule cette fois, c’est aussi « la compréhension soudaine de l’essence ou de la signification de quelque chose ». Or, Épiphanie, le quatrième roman de Myriam Beaudoin, aborde justement la découverte fulgurante d’un sentiment, une révélation de soi à soi.



L’autrice de cette autofiction nous fait les témoins de sa quête : devenir mère. Rien ne va du côté de ses ovules et des spermatozoïdes de son conjoint N. qui semblent se fuir plutôt que de se fondre en un enfant à naître. En six tableaux et un épilogue, nous accompagnons la narratrice Myriam – l’autofiction, aussi vraie soit-elle, demeure une œuvre d’imagination – dans le dédale des thérapies de tout ordre.
Consultations et conseils ésotériques se succèdent, suite d’abus de la crédulité d’une femme et d’un conjoint prêts à tout pour devenir parents. Quelle misère que d’exploiter ainsi les gens de certains thérapeutes alternatifs – l’alternatif ici, c’est de devoir rémunérer rubis sur l’ongle chacun d’eux en ajoutant le prix des potions, tisanes ou crèmes recommandées.
Cette hâte prénatale démesurée fait perdre tous ses repères à la narratrice. N, le père en devenir, pense abandonner leur projet de fonder une famille traditionnelle. Arrive le diagnostic final : on ne peut expliquer l’impossibilité d’enfanter, la science ne pouvant pas tout élucider. Le couple se tourne alors vers l’adoption et ses longs préalables. Enfant d’ici ou d’ailleurs? Naissant ou de 2-3 ans? Quelles sont les principales caractéristiques recherchées? Ou bien la narratrice a choisi de ne pas entrer dans plus de détails du bébé cible parfait ou les gens consultés ont bâclé le dossier.
Peu importe, le problème n’est pas là, mais dans la rencontre de parents aux espoirs gonflés à bloc avec un potentiel enfant, un poupon dont on doute de l’état de santé réel. Le temps que la narratrice tienne dans ses bras ce petit être et comprenne que cela ressemble à un supplice imposé à un condamné. L’état de santé de Luna Grâce, le bébé en question, est préoccupant au point où il ne convient pas à un couple sans expérience parentale; hélas, Myriam subira longtemps les conséquences déroutantes de cette rencontre.
L’adoption d’un enfant n’est pas, à mon avis, un acte de générosité, mais le projet de toute une vie. Si jadis l’adoption avait une dimension secrète – de cette situation est né, entre autres, le mouvement retrouvailles encadrées aujourd’hui par une législation –, c’était parce que les mères célibataires étaient au ban de la société pour avoir conçu un enfant en dehors du lien sacré du mariage. En donnant son enfant, la mère naturelle– qui n’avait généralement pas le choix – s’engageait à ne jamais le revoir. Autre temps, autres mœurs, les diktats d’autrefois ont été remplacés par de nouveaux ni meilleurs ni pires.
Pour Myriam et N., la seule idée qu’on pourrait leur retirer l’enfant après en avoir fait le leur au fil des jours, des mois ou même des années leur est impensable. Même s’ils reconnaissent que la mère biologique peut éventuellement rester en contact avec l’enfant sous certaines conditions, il leur est impossible d’imaginer une garde partagée entre les parents biologiques et les parents adoptifs, entre eux et des inconnus, même pour l’enfant.
L’histoire que Myriam Beaudoin raconte dans Épiphanie n’a rien de joyeux. C’est la croix et la bannière du début jusqu’à la fin, ou presque, mais c’est surtout la volonté presque maladive d’avoir un enfant à qui donner le meilleur de soi. Le roman illustre bien que l’égoïsme de la parentalité peut devenir une nécessité vitale du couple et ainsi se transformer en pur altruisme, en générosité de tous les instants.
Croyez-moi, c’est possible, je peux en témoigner ayant vécu une telle expérience avec mes propres parents venus me chercher à l’hôpital de la Miséricorde à ma naissance, il y a plus de 72 ans.

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