mercredi 16 octobre 2019

Louis-Philippe Hébert
Le view-master, roman poème
Saint-Sauveur-des-Monts, de la Grenouillère, coll. « L’atelier des inédits », 2019, 136 p., 16,95 $.

L’épopée version 21e siècle

Enfant, au début des années 1950, j’enviais le view-master de mon cousin Georges. Selon Wikipédia, la « visionneuse View-Master se présente sous forme de jumelles dans lesquelles l’utilisateur insère un disque cranté cartonné, comportant 7 paires de diapositives (on parle alors de 7 " vues "), soit 14 au total. » En somme, il s’agissait d’un projecteur personnel d’images 2 ou 3 D, ancêtre du cinéma du même nom, voire de la réalité augmentée. C’est dans de tels univers que nous plonge le nouveau roman de L.-P. Hébert, Le view-master.



L’écrivain résume bien son projet en quatrième couverture affirmant que ce livre « pousse encore plus loin l’expérience narrative déjà amorcée par Marie Réparatrice (2014) et Monsieur Blacquières (2014). Dans ce monde que seule une écriture à trois dimensions peut permettre, le temps, le rêve et la réalité ne forment plus qu’un. » Rien d’étonnant à cela comme le rappelle une entrevue, tirée des archives de la SRC, où le jeune écrivain, devenu homme d’affaires, explique que la micro-informatique naissante pourrait devenir un support à la création ou même engendrer un nouveau genre littéraire. C’est celui-ci, semblable à une réalité augmentée, que je retrouve dans Le view-master.
L’auteur raconte ici l’histoire de trois personnages partageant le nom de Maxime Parent, un récit qui devient une véritable épopée adaptée au 21e siècle. Pourquoi enchâsser la trame dans cette forme narrative, l’épopée, tombée en désuétude depuis longtemps? D’abord pour son lustre ancien consistant à utiliser le discours poétique pour faire un récit, puis pour mettre l’aventure des homonymes dans une perspective tridimensionnelle.
Qui sont ces Maxime Parent, se demande-t-on? Le premier est une femme dont les parents ont choisi le prénom avant sa naissance, ignorant le sexe de l’enfant à venir. Maxime leur convenait, comme Claude ou d’autres confondant féminin et masculin. C’est cette Maxzime-là qui raconte l’histoire à deux visiteurs venus la rencontrer dans le home pour personnes âgées qu’elle habite. Sont-ils vraiment des policiers comme elle le prétend, personne ne s’intéressant à elle depuis très longtemps?
Le va-et-vient entre le présent et un passé défini profite aussi de l’effet 3D en permettant à la narratrice de nombreux retours en arrière, la trame des événements justifiant ce qu’elle leur raconte.
Jadis, habitant seule un logement du boulevard Dorchester, devenue depuis René-Lévesque, elle découvre un jour qu’il y a un autre Maxime Parent dans l’annuaire téléphonique, cet énorme index distribué aux portes des villes, durant des décennies. Doit-elle risquer sa vie et traverser le boulevard pour rencontrer son homonyme? L’hésitation étant un de ses traits de caractère, la femme Maxime tergiverse, comme tous les indécis, avant d’aller frapper à la porte de l’autre Maxime, un homme. L’adresse de ce dernier n’a qu’un chiffre différent du sien, ce qui les rapproche un peu plus, mais aussi ce qui occasionne à chacun des visites ou des appels importuns.
L’allure de Maxime Parent lui plaît. Il lui raconte effectuer des recherches en biologie aquatique, sa mission étant de compter le nombre de grenouilles dans un étang, un seul bien identifié. Elle ne comprend pas l’utilité d’une telle étude, mais elle feint de l’intérêt pour rester plus longtemps auprès du jeune homme et pour juger s’il y a une véritable gémellité entre eux. Elle reviendra le visiter, faut-il comprendre.
L’autre chose qu’elle raconte à ses visiteurs, c’est l’arrivée de Maxime Parent, l’enfant garçon. Grossesse inopinée, souhaitée ou espérée? Tout ce que l’on sait, c’est que le père est bel et bien le Maxime Parent habitant de l’autre côté du boulevard, celui qu’elle ne semble plus voir maintenant. Ce flou narratif suggère que ce roman en vers est bel et bien une épopée, car il auréole certaines péripéties d’un mystère évanescent comme le brouillard d’un matin d’automne.
Il est où le Maxime enfant, la troisième dimension du patronyme, semble-t-on lui demander? Louis-Philippe Hébert, on l’a déjà souligné, est un passionné de science-fiction et je crois qu’il adapte ici l’épopée à ce genre. Quand arrive le point culminant du récit, Maxime mère fait une balade avec son fils les menant jusqu’à l’étang où Maxime, le père, effectue ses recherches, car elle veut que le garçon connaisse le travail de son géniteur, à défaut de ne l’avoir jamais vu. Nous sommes alors au début du printemps et le plan d’eau luit sous les rayons du soleil tel un miroir. L’enfant, foulard rouge au cou, s’aventure sur les eaux glacées pour observer les batraciens que son père affectionne. Puis, crac! Sa mère fait tout pour le sauver, comme ceux qui répondent à ses appels désespérés, mais sans parvenir le sortir des eaux froides.
Le trio des Maxime Parent n’existe désormais plus. A-t-il vraiment existé ou était-il que le sujet d’une histoire fantastique, d’une épopée des temps modernes? À la suite du roman, l’auteur propose trois nouvelles brèves expliquant, de façon fictive, d’où lui est venu ce sujet d’homonymie, cette histoire d’une mère ayant perdu un enfant sous les eaux et cette autre d’un bébé étouffé. Loin de troubler la magie de l’épopée, ces récits brefs lui confèrent une réalité… en trois dimensions distinctes.
Le view-master me semble l’image la plus juste pour évoquer la trame de ce roman épique. La vie, la mort et l’incommunicabilité des êtres, malgré les essais de rapprochement, y sont parfaitement articulées. En s’appropriant le fonds et la forme la plus ancienne du récit en langue française, l’épopée, l’écrivain a de nouveau choisi d’étonner ses lecteurs, sans trop les dérouter, mais en demeurant le maître du jeu qu’est cette fiction littéraire dont il a l’art.

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