Louis-Philippe Hébert
Le view-master, roman poème
Saint-Sauveur-des-Monts, de la Grenouillère, coll. « L’atelier
des inédits », 2019, 136 p., 16,95 $.
L’épopée version 21e siècle
Enfant, au début des années 1950,
j’enviais le view-master de mon cousin Georges. Selon Wikipédia, la « visionneuse
View-Master se présente sous forme de jumelles dans lesquelles l’utilisateur
insère un disque cranté cartonné, comportant 7 paires de diapositives (on parle
alors de 7 " vues "), soit 14 au total. » En somme, il
s’agissait d’un projecteur personnel d’images 2 ou 3 D, ancêtre du cinéma du
même nom, voire de la réalité augmentée. C’est dans de tels univers que nous plonge
le nouveau roman de L.-P. Hébert, Le view-master.
L’écrivain résume bien son projet
en quatrième couverture affirmant que ce livre « pousse encore plus loin l’expérience
narrative déjà amorcée par Marie Réparatrice (2014) et Monsieur
Blacquières (2014). Dans ce monde que seule une écriture à trois dimensions
peut permettre, le temps, le rêve et la réalité ne forment plus qu’un. » Rien
d’étonnant à cela comme le rappelle une entrevue, tirée des archives de la SRC,
où le jeune écrivain, devenu homme d’affaires, explique que la micro-informatique
naissante pourrait devenir un support à la création ou même engendrer un nouveau
genre littéraire. C’est celui-ci, semblable à une réalité augmentée, que je
retrouve dans Le view-master.
L’auteur raconte ici l’histoire
de trois personnages partageant le nom de Maxime Parent, un récit qui devient une
véritable épopée adaptée au 21e siècle. Pourquoi enchâsser la trame
dans cette forme narrative, l’épopée, tombée en désuétude depuis longtemps? D’abord
pour son lustre ancien consistant à utiliser le discours poétique pour faire un
récit, puis pour mettre l’aventure des homonymes dans une perspective tridimensionnelle.
Qui sont ces Maxime Parent, se
demande-t-on? Le premier est une femme dont les parents ont choisi le prénom
avant sa naissance, ignorant le sexe de l’enfant à venir. Maxime leur convenait,
comme Claude ou d’autres confondant féminin et masculin. C’est cette Maxzime-là qui
raconte l’histoire à deux visiteurs venus la rencontrer dans le home pour
personnes âgées qu’elle habite. Sont-ils vraiment des policiers comme elle le
prétend, personne ne s’intéressant à elle depuis très longtemps?
Le va-et-vient entre le présent
et un passé défini profite aussi de l’effet 3D en permettant à la narratrice de
nombreux retours en arrière, la trame des événements justifiant ce qu’elle leur
raconte.
Jadis, habitant seule un logement
du boulevard Dorchester, devenue depuis René-Lévesque, elle découvre un jour qu’il
y a un autre Maxime Parent dans l’annuaire téléphonique, cet énorme index
distribué aux portes des villes, durant des décennies. Doit-elle risquer sa vie
et traverser le boulevard pour rencontrer son homonyme? L’hésitation étant un
de ses traits de caractère, la femme Maxime tergiverse, comme tous les indécis,
avant d’aller frapper à la porte de l’autre Maxime, un homme. L’adresse de ce
dernier n’a qu’un chiffre différent du sien, ce qui les rapproche un peu plus,
mais aussi ce qui occasionne à chacun des visites ou des appels importuns.
L’allure de Maxime Parent lui
plaît. Il lui raconte effectuer des recherches en biologie aquatique, sa
mission étant de compter le nombre de grenouilles dans un étang, un seul bien identifié.
Elle ne comprend pas l’utilité d’une telle étude, mais elle feint de l’intérêt pour
rester plus longtemps auprès du jeune homme et pour juger s’il y a une véritable
gémellité entre eux. Elle reviendra le visiter, faut-il comprendre.
L’autre chose qu’elle raconte à
ses visiteurs, c’est l’arrivée de Maxime Parent, l’enfant garçon. Grossesse
inopinée, souhaitée ou espérée? Tout ce que l’on sait, c’est que le père est
bel et bien le Maxime Parent habitant de l’autre côté du boulevard, celui qu’elle
ne semble plus voir maintenant. Ce flou narratif suggère que ce roman en vers
est bel et bien une épopée, car il auréole certaines péripéties d’un mystère évanescent
comme le brouillard d’un matin d’automne.
Il est où le Maxime enfant, la
troisième dimension du patronyme, semble-t-on lui demander? Louis-Philippe Hébert,
on l’a déjà souligné, est un passionné de science-fiction et je crois qu’il adapte
ici l’épopée à ce genre. Quand arrive le point culminant du récit, Maxime mère fait
une balade avec son fils les menant jusqu’à l’étang où Maxime, le père, effectue
ses recherches, car elle veut que le garçon connaisse le travail de son géniteur,
à défaut de ne l’avoir jamais vu. Nous sommes alors au début du printemps et le
plan d’eau luit sous les rayons du soleil tel un miroir. L’enfant, foulard
rouge au cou, s’aventure sur les eaux glacées pour observer les batraciens que
son père affectionne. Puis, crac! Sa mère fait tout pour le sauver, comme ceux
qui répondent à ses appels désespérés, mais sans parvenir le sortir des eaux froides.
Le trio des Maxime Parent n’existe
désormais plus. A-t-il vraiment existé ou était-il que le sujet d’une histoire
fantastique, d’une épopée des temps modernes? À la suite du roman, l’auteur propose
trois nouvelles brèves expliquant, de façon fictive, d’où lui est venu ce sujet
d’homonymie, cette histoire d’une mère ayant perdu un enfant sous les eaux et
cette autre d’un bébé étouffé. Loin de troubler la magie de l’épopée, ces
récits brefs lui confèrent une réalité… en trois dimensions distinctes.
Le view-master me semble l’image la plus juste pour évoquer la
trame de ce roman épique. La vie, la mort et l’incommunicabilité des êtres,
malgré les essais de rapprochement, y sont parfaitement articulées. En s’appropriant
le fonds et la forme la plus ancienne du récit en langue française, l’épopée, l’écrivain
a de nouveau choisi d’étonner ses lecteurs, sans trop les dérouter, mais en
demeurant le maître du jeu qu’est cette fiction littéraire dont il a l’art.
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