François Hébert
Miniatures indiennes
Montréal, Leméac, 2019, 176 p., 21,95 $.
Le roman décomposé ou le non-roman
Premier livre de la rentrée
littéraire automnale recensé, le récit de François Hébert, Miniatures
indiennes, a les allures d’un recueil d’éphémérides où sont superposés
faits et anecdotes autobiographiques.
Il n’y a rien de fortuit dans ce
que l’écrivain a choisi parmi les événements, les lieux ou les personnages qui
composent la trame du roman, qu’il fait passer de la réalité à la fiction, car
ce n’« est pas un roman, n’est pas une pipe, n’est pas pire ». Ce n’est
d’ailleurs pas pour rien que Nathalie, la muse de l’auteur, « s’inquiète :
vas-tu joindre un mode d’emploi à ton livre? »
Il faut comprendre que le roman est
tel un rocher ayant une structure en feuilles se superposant. Ainsi, plusieurs strates
soutiennent le récit : celle du narrateur, de l’amoureuse, du professeur
et de quelques collègues, de ses élèves, des voyages en Inde et de la culture de
ce pays. Il y a aussi que le récit se joue du temps et de l’espace. Quelle action
est survenue avant ou après? Qu’importe puisque c’est l’ensemble qui constitue l’histoire
que les péripéties soutiennent dans un continuum aux formes molles, comme celle
imaginée par Dali.
Slalomant entre la narration de séquences,
plus courtes que longues, où on croise un confrère ou une consœur du narrateur,
une réflexion philosophique de ce dernier que lui inspirent les divinités indiennes
– « une religion est un système de coïncidences significatives et troublantes,
ni plus ni moins. » Il y a aussi celle que suscite l’amalgame de
situations répétitives de la vie courante comme les habitudes si profondément
ancrées dans les individus qu’ils les considèrent comme universelles.
Les parents illustrent bien la
tentation d’universaliser à partir de sa propre expérience. Il y a ceux du narrateur,
le père d’abord dont Martin Racine a raconté « le parcours hors du commun
de [Julien Hébert] artiste et designer qui fut, entre autres, élève d’Ossip Zadkine
à Paris, et qui est considéré comme étant le fondateur du design moderne au
Québec ». (2016, du passage, coll. « Design et architecture »,
p. 53). Quant à sa mère, le narrateur regrette de n’avoir pas été assez présent
auprès d’elle, le lot de plusieurs mères douées d’une immortalité imaginaire.
Toujours du côté famille, il y a
aussi le père de Nathalie à qui il suggère d’en faire le portrait dans un projet
de roman à réaliser comme celui dont l’écriture se réalise sous les yeux du
lecteur. Il y a cet élève, en classe de création littéraire, qui rêve d’un
roman comme la moitié de ses camarades et qui consulte monsieur le Professeur
presque à chaque virgule. Hélas, le rêve de ce brave garçon fond comme neige au
soleil le jour où, distrait par son projet, il néglige une vache mal en point du
troupeau et que son père ramène à la ferme familiale pour réparer son erreur.
L’autre famille dont la présence
émaille le récit est celle des dieux honorés en Inde et l’influence prégnante
qu’ils ont sur les populations et leurs religions.
Autre strate du récit, l’image parfois
idyllique parfois banale du professeur, des ateliers d’écriture, des élèves et
de leurs rêves illusoires. Parlant de création littéraire, on est surpris de
lire que : « Ça ne s’enseigne pas, ni l’amour. Une pauvreté. » Heureusement
pour lui, car « tu seras bientôt septuagénaire, si ce n’est déjà fait et
tu ne veux pas finir dans le passé, fini, fini… »
Si touffu qu’il puisse être, le
roman recèle quelques mots d’auteur qui méritent d’être retenus. Par exemple :
« Dire que les gens t’apparaissent n’est peut-être pas la bonne
formulation…. C’est ta retraite qui les fait tels, dans l’à-rebours de l’âge,
tels des revenants, exactement. » Ou encore : « On ne revient
pas de la vie dans la vie, pas plus que de la mort, on ne se refait pas dans le
temps qui nous varlope. » Ces images ne font pas un roman, mais elles
cimentent parfaitement les fragments épars d’une trame qui semblerait autrement
bancale.
Il m’arrive de suggérer de lire
au-delà des 50 premières pages d’une œuvre dont l’élément déclencheur tarde à
venir, car je sais que la petite magie du déclic va se produire à la page 52 ou
53. C’est le cas des Miniatures indiennes dont le titre est évocateur de
ce que François Hébert raconte, c’est-à-dire des éphémérides ficelées au fil
conducteur que sont des voyages, celui du roman et d’autres. Curieusement, malgré
le déni du professeur, le roman est un véritable atelier de création qui peut
servir d’exemple à celles et ceux qui ignorent ou doutent que l’ultime matériau
est le produit par leur propre vie. François Hébert a accumulé suffisamment de
matière pour écrire encore de nombreux livres, réels ou fictifs, pour le
plaisir des lectrices et lecteurs.