mercredi 10 avril 2019


Stéphane Savard
Denis Vaugeois : entretiens
Montréal, Boréal, coll. « Trajectoires », 2019, 376 p., 29,95 $.

Écrire l’Histoire

Quiconque s’intéresse à la culture québécoise et ses moyens d’expression connaît le nom de Denis Vaugeois. Historien, éditeur, député, ministre et dévoué serviteur de l’État: cet habile communicateur s’est entretenu avec Stéphane Savard, historien s’intéressant entre autres à l’histoire de la culture politique québécoise, et leurs échanges ont donné naissance à Denis Vaugeois : entretiens, un essai-bilan d’une carrière pour le moins éclectique.



Nous ne sommes pas ici dans la biographie, sinon le livre serait du côté de l’hagiographie ne racontant surtout que les réussites de M. Vaugeois et leurs aléas. Il faut dire que l’ensemble de ses activités professionnelles, à ce jour, est impressionnant. Il n’a pas toujours eu les choses faciles comme cela arrive fréquemment quand on veut ouvrir de nouvelles voies ou apporter des changements majeurs à des institutions sclérosées par de vieilles habitudes. Qu’il suffise de rappeler le Musée des beaux-arts du Québec, le Musée de la civilisation ou les musées régionaux dont il fut l’inspirateur, sinon l’instigateur.
En bons historiens, Savard et Vaugeois ont organisé leurs propos en s’appuyant sur l’ordre chronologique des événements, quitte à faire ici et là les rappels nécessaires, et en ajoutant, partout ils l’ont jugé à-propos, des notes pertinentes. J’ai d’ailleurs remarqué que ces renvois n’étaient pas qu’à des documents papier, mais aussi à des sites internet où ces informations sont disponibles d’un clic ou deux.
Originaire des Trois-Rivières, M. Vaugeois y a fait ses études et réuni un groupe d’amis aussi imaginatifs que lui, dont Jacques Lacoursière, avec lesquels il a amorcé une réflexion sur l’enseignement de l’Histoire. D’abord, en revoyant la matière même laissée trop longtemps à l’interprétation plutôt qu’aux faits eux-mêmes. Parmi leurs réalisations, il y a eu Le Boréal express, un périodique qui présentait des années choisies de l’histoire des Amériques, dont la nôtre, à la façon journalistique. Dire que ce périodique éphémère n’a pas semé l’émoi dans les chaumières serait un euphémisme.
Toujours du côté de l’Histoire, Denis Vaugeois s’est aussi intéressé à celle de la communauté juive et à celles des collectivités amérindiennes au Québec. Un intérêt qu’il a entre autres cultivé en publiant lui-même des ouvrages et acceptant de publier d’autres auteurs aux éditions du Septentrion, maison d’édition qu’il a fondée dans la Capitale nationale.
Puisqu’il est question d’édition, sa constante passion pour le livre a fait de lui un porte-parole qui a assumé son point de vue sur toutes les plateformes qui s’offraient à lui ou qu’il sollicitait. Dire qu’il est convaincant est une litote, car non seulement est-il capable de présenter des projets se rapportant à la culture, mais il sait aussi faire en sorte qu’ils se réalisent, tôt ou tard.
Même si pour lui le nationalisme est une conception risquée de la société, on le voit encore aujourd’hui, il n’est pas moins convaincu que tout le domaine du livre, de l’édition à la distribution, doit être l’apanage de sociétés québécoises. « La loi Vaugeois », comme on l’appelle familièrement, a fait en sorte que la propriété des maisons d’édition soit détenue majoritairement par nos concitoyennes ou concitoyens. Il en va de même pour la distribution et la vente du livre, les achats du secteur public (bibliothèques, écoles, municipalités, hôpitaux, etc.). Il aurait voulu implanter la formule du prix unique qui veut qu’où on achète un même livre il sera au même prix, mais, à l’époque, cela n’a pas eu l’aval de ses collègues politiciens; depuis, le prix unique revient constamment dans le paysage culturel, ici et ailleurs, la Belgique ayant récemment adopté une telle loi.
Denis Vaugeois : entretiens, en traitant de l’homme et de ses réalisations, dressent aussi un bilan du chemin parcouru par la reconnaissance de la culture québécoise, du côté des musées et du livre. Je n’oublie pas l’historien pour qui ce que l’Amérique a amené à la culture européenne est vite devenu redevable à celle des Amérindiens, un héritage méconnu, mais bien réel. Pour moi comme pour d’autres, Denis Vaugeois est un pilier de ce qui fut la suite de la Révolution tranquille en matière de culture.

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