Stéfani Meunier
La plupart du temps je
m’appelle Gabrielle
Montréal, Leméac, 2019, 128 p., 17,95 $.
Au pays de l’exception
De nouveaux auteurs ne font que
passer, le temps de quelques livres. Parfois, on aimerait savoir ce qu’ils sont
advenus, leurs ouvrages ayant retenu notre attention. C’est le cas de Stéfani
Meunier dont trois des premiers romans m’ont interpellé tant par la vivacité de
leur trame que leurs qualités stylistiques. L’arrivée de La plupart du temps je m’appelle Gabrielle fut donc une agréable
surprise.
La romancière explore ici l’univers
des acronymes reliés aux maladies mentales qui deviennent ainsi une voie express
d’entendement. Un TSA décrit, de façon rapide et incomplète, une personne
souffrant du spectre de l’autisme. Un TDAH éprouve un trouble déficitaire de l’attention
avec hyperactivité. Un TS évoque une travailleuse sociale et une TES, une technicienne
en éducation spécialisée. Et la liste de maux qui bouleversent les individus et
leur entourage peut s’étendre.
La Gabrielle du titre est travailleuse
sociale, une TS dans une école; elle partage un bureau avec l’orthopédagogue et
la psychoéducatrice. Gabrielle n’a que 21 ans, mais toute une vie d’expérience
avec les gens atteints d’une déviance de la personnalité. La première d’entre
elles, c’est le trouble dissociatif de l’identité de sa mère qui mène son mari
et sa fille dans une galère dont on ne sait jamais où le vent du jour les mènera.
Un jour, Maria, la maman, devient Susan dont la fille de 14 ans se prénomme
Maude et ne reconnaît pas la jeune femme qu’elle est devenue. Ces crises d’identité
sont imprévisibles et elles ont des conséquences fâcheuses sur sa santé et celle
de son entourage. Pierre, le père, aime son épouse à la folie et protège sa
fille du mieux qu’il peut. Pour lui, Maria est toujours en représentation et
son transfert de personnalité, un jeu de rôle qu’elle leur impose.
Gabrielle a développé une très
grande capacité d’empathie envers les individus atteints de divers troubles du
comportement. Son travail dans une école auprès de tels jeunes lui permet de
mieux partager leur différence. Parmi ceux qu’elle suit, il y a Jean et Lougan,
des frères jumeaux dont l’un est autiste et l’autre, TDAH.
Les garçons sont attachants dans
leur différence et la façon dont chacun exprime sa déviance. L’autisme de Jean se
manifeste par une hypersensibilité et une rare ouverture aux autres; l’huitre
en lui ne se referme pas dès qu’on s’en approche. La situation de Lougan est
plus complexe, car ses réactions aux interactions avec son entourage sont totalement
imprévisibles et peuvent être violentes.
Gabrielle et Jasmine, la mère des
garçons, deviennent amies, car elles ont en commun de voir au-delà de la
maladie qui squatte l’existence des jumeaux. Malgré leur différence d’âge, les
deux femmes ont des expériences de vie qui leur permettent de relativiser les
situations dramatiques qu’elles rencontrent presque tous les jours.
Pour Gabrielle, c’est son refus
de vieillir et de mettre à profit son expérience de vie avec sa mère qui nourrit
son état permanent de résilience. Il en va autrement pour Jasmine qui a appris
à composer avec les exigences de ses fils, laissant de côté ses rêves pour assurer
leur mieux-être en ne conservant qu’un mince espace de vie pour satisfaire ses
propres besoins.
Aux troubles du comportement qui
envahissent autant les personnes atteintes que leur entourage s’ajoute la
situation de ce qui est convenu d’appeler les aidants naturels, comme l’est Jasmine.
Pour elle et Pierre, le père de Gabrielle, il leur aura fallu un amour
inconditionnel des êtres en souffrance pour parvenir à tenir le cap de la vie
familiale contre les vents et marées des crises.
Gabrielle en vient à raconter à
Jasmine son enfance auprès d’une mère pour qui elle était un jour Gabrielle et
l’autre Maude. Elle raconte aussi comment elle et son père ont créé un
équilibre de vie aussi improbable qu’impossible.
Jasmine, pour sa part, relate ses
projets d’adolescente, sa soif de liberté, son séjour à Curaçao, la naissance
des jumeaux. C’est un retour sur cette île en leur compagnie qui semble la
rassurer sur ses choix devenus incontournables compte tenu de ses responsabilités
et de ses obligations qu’elle assume pleinement.
Stéfani Meunier sait créer des
univers où les situations dramatiques trouvent des solutions originales. Ses
personnages, comme ici, sont doués d’une très grande capacité de résilience, ce
qui leur permet d’assumer le soutien qu’ils apportent aux êtres souffrants dont
ils ont charge. Si l’univers de La plupart
du temps je m’appelle Gabrielle n’est pas simple, il n’est surtout pas désespérant,
si bien que Gabrielle, Pierre, Jasmine, Jean et Lougan ont trouvé un modus
vivendi qui leur convient comme à leur entourage.
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