mercredi 17 avril 2019


Stéfani Meunier
La plupart du temps je m’appelle Gabrielle
Montréal, Leméac, 2019, 128 p., 17,95 $.

Au pays de l’exception

De nouveaux auteurs ne font que passer, le temps de quelques livres. Parfois, on aimerait savoir ce qu’ils sont advenus, leurs ouvrages ayant retenu notre attention. C’est le cas de Stéfani Meunier dont trois des premiers romans m’ont interpellé tant par la vivacité de leur trame que leurs qualités stylistiques. L’arrivée de La plupart du temps je m’appelle Gabrielle fut donc une agréable surprise.




La romancière explore ici l’univers des acronymes reliés aux maladies mentales qui deviennent ainsi une voie express d’entendement. Un TSA décrit, de façon rapide et incomplète, une personne souffrant du spectre de l’autisme. Un TDAH éprouve un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité. Un TS évoque une travailleuse sociale et une TES, une technicienne en éducation spécialisée. Et la liste de maux qui bouleversent les individus et leur entourage peut s’étendre.
La Gabrielle du titre est travailleuse sociale, une TS dans une école; elle partage un bureau avec l’orthopédagogue et la psychoéducatrice. Gabrielle n’a que 21 ans, mais toute une vie d’expérience avec les gens atteints d’une déviance de la personnalité. La première d’entre elles, c’est le trouble dissociatif de l’identité de sa mère qui mène son mari et sa fille dans une galère dont on ne sait jamais où le vent du jour les mènera. Un jour, Maria, la maman, devient Susan dont la fille de 14 ans se prénomme Maude et ne reconnaît pas la jeune femme qu’elle est devenue. Ces crises d’identité sont imprévisibles et elles ont des conséquences fâcheuses sur sa santé et celle de son entourage. Pierre, le père, aime son épouse à la folie et protège sa fille du mieux qu’il peut. Pour lui, Maria est toujours en représentation et son transfert de personnalité, un jeu de rôle qu’elle leur impose.
Gabrielle a développé une très grande capacité d’empathie envers les individus atteints de divers troubles du comportement. Son travail dans une école auprès de tels jeunes lui permet de mieux partager leur différence. Parmi ceux qu’elle suit, il y a Jean et Lougan, des frères jumeaux dont l’un est autiste et l’autre, TDAH.
Les garçons sont attachants dans leur différence et la façon dont chacun exprime sa déviance. L’autisme de Jean se manifeste par une hypersensibilité et une rare ouverture aux autres; l’huitre en lui ne se referme pas dès qu’on s’en approche. La situation de Lougan est plus complexe, car ses réactions aux interactions avec son entourage sont totalement imprévisibles et peuvent être violentes.
Gabrielle et Jasmine, la mère des garçons, deviennent amies, car elles ont en commun de voir au-delà de la maladie qui squatte l’existence des jumeaux. Malgré leur différence d’âge, les deux femmes ont des expériences de vie qui leur permettent de relativiser les situations dramatiques qu’elles rencontrent presque tous les jours.
Pour Gabrielle, c’est son refus de vieillir et de mettre à profit son expérience de vie avec sa mère qui nourrit son état permanent de résilience. Il en va autrement pour Jasmine qui a appris à composer avec les exigences de ses fils, laissant de côté ses rêves pour assurer leur mieux-être en ne conservant qu’un mince espace de vie pour satisfaire ses propres besoins.
Aux troubles du comportement qui envahissent autant les personnes atteintes que leur entourage s’ajoute la situation de ce qui est convenu d’appeler les aidants naturels, comme l’est Jasmine. Pour elle et Pierre, le père de Gabrielle, il leur aura fallu un amour inconditionnel des êtres en souffrance pour parvenir à tenir le cap de la vie familiale contre les vents et marées des crises.
Gabrielle en vient à raconter à Jasmine son enfance auprès d’une mère pour qui elle était un jour Gabrielle et l’autre Maude. Elle raconte aussi comment elle et son père ont créé un équilibre de vie aussi improbable qu’impossible.
Jasmine, pour sa part, relate ses projets d’adolescente, sa soif de liberté, son séjour à Curaçao, la naissance des jumeaux. C’est un retour sur cette île en leur compagnie qui semble la rassurer sur ses choix devenus incontournables compte tenu de ses responsabilités et de ses obligations qu’elle assume pleinement.
Stéfani Meunier sait créer des univers où les situations dramatiques trouvent des solutions originales. Ses personnages, comme ici, sont doués d’une très grande capacité de résilience, ce qui leur permet d’assumer le soutien qu’ils apportent aux êtres souffrants dont ils ont charge. Si l’univers de La plupart du temps je m’appelle Gabrielle n’est pas simple, il n’est surtout pas désespérant, si bien que Gabrielle, Pierre, Jasmine, Jean et Lougan ont trouvé un modus vivendi qui leur convient comme à leur entourage.

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