jeudi 7 février 2019


Eric Dupont
La route du lilas
Montréal, Marchand de feuilles, 2018, 592 p., 34,95 $.

Un peu, beaucoup, trop ou pas assez

Je me suis intéressé à La route du lilas, le nouveau roman d’Eric Dupont, d’abord pour comprendre pourquoi cet opus de 600 pages a reçu moult éloges dithyrambiques. Sans douter du talent et de l’art de l’auteur de La fiancée américaine, il fallait des qualités exceptionnelles pour faire si rapidement l’unanimité des critiques.




Je me suis donc engagé sur cette route en compagnie de Shelly et Laura, États-Uniennes passionnées du lilas au point d’en suivre annuellement l’éclosion en « remontant les vallées du Mississippi et de l’Ohio ». Une autre adepte de leur connaissance, la Québécoise Rose Ost, leur demande d’amener Maria Pia Barbosa, une amie brésilienne.
Les deux femmes l’embarquent à l’endroit convenu, ajoutant ainsi du piquant à leur pèlerinage tout en fleurs. Elles conviennent avec leur passagère des règles à suivre pour le bien être de chacune dans l’espace réduit de la caravane, entre autres de consacrer tous les jours du temps pour écrire un peu de leur vie, leurs réflexions ou tout autre sujet stimulant leur créativité.
Pia va bien au-delà de la consigne et raconte de façon détaillée sa vie, de l’enfance à l’âge adulte jusqu’à ce jour, elle qui a plus de 70 ans. Intégré à l’histoire principale du voyage, ce récit est une première mise en abyme, c’est-à-dire une histoire dans une autre. Il y en a d’autres, un peu comme si le roman était un ensemble de poupées gigognes.
La note biographique de Pia occupe près de 200 pages, en italiques. Cela leur confère un ton distinct dont dépend toute la trame. Née sur une très grande ferme, loin de la ville, elle y vit avec sa sœur Vitória sous l’autorité d’Aparecida, celle qui dirige l’entreprise familiale et toute la maisonnée depuis le décès de la mère. Son père, Hércules Barsalo, est un maître des lieux absent qui exige que ses filles fréquentent un couvent de religieuses pour y étudier, les pires années de son adolescence selon Pia.
Pour fuir cette vie imposée, elle contourne les règles et se fait un amoureux prénommé Thiago. C’est sa façon de mettre de la distance entre elle et son père, tout en gardant contact avec Vitória et Aparecida. Le garçon est photographe et joue au paparazzi en suivant Édith Piaf de passage au Brésil. Pia toujours aux études, c’est son amoureux qui amène l’eau au moulin, ce qui requiert du doigté pour éviter les querelles et éveiller le caractère violent du jeune homme.
Pia et Thiago partent en France, lui pour tenter sa chance, elle pour y poursuivre des études universitaires. Les pages que Pia consacre à l’épopée parisienne, dans les années 1950-1960, sont riches en rebondissements. L’appartement que Mme Renard leur loue tient de la chambre dont le loyer en fait oublier l’étroitesse, même pour trois personnes, car, entretemps, Jean-Paul est né. Puis, les malheurs se mettent à dévaler en cascade. Il y a la mort du fils, suivi d’un glissement de terrain qui détruit l’édifice où ils habitent et celles de voisins. Pia a déjà rencontré Thérèse, une Québécoise qui jouera un rôle important dans sa vie.
Thiago de plus en plus violent, la jeune femme rentre au Brésil. Les choses y ont beaucoup changé. Le père est mort, il faut régler la succession et sa sœur Vitória est mariée. Informé, Thiago rentre à son tour flairant la bonne affaire. Pia ne l’accueille pas à bras ouverts, mais le revoit à l’occasion et tombe à nouveau enceinte. Ne pouvant plus supporter sa violence, elle en parle à sa sœur qui prend la situation en main. Thiago disparaît du jour au lendemain.
Shelly et Laura veulent comprendre pourquoi le Brésil fut jadis un État portugais, ce qui donne lieu à la deuxième mise en abyme. Pia fait le récit de ce qui ressemble à une épopée historique au cœur de laquelle se trouve Léopoldine de Habsbourg. Nul doute, Eric Dupont a bien fait ses devoirs et il utilise avec à-propos l’histoire du Portugal et de sa présence au Brésil. Est-ce ce long périple entre l’Europe et l’Amérique du Sud est absolument nécessaire? J’en doute.
Ce récit est entrecoupé d’événements se rapportant à « la route des lilas », aux observations que font les voyageuses et aux préparatifs pour leur arrivée au Canada. Outre l’achat d’un faux passeport et le maquillage aux couleurs du lilas de leur véhicule, on apprend que Pia poste son récit autobiographique à Simone, sa fille.
Celle-ci, la quarantaine bien sonnée, est en rupture de banc avec sa mère comme celle-ci le fut avec sa famille. Cette nouvelle mise en abyme menée par Simone nous en apprend un peu plus sur Pia, ses rapports avec sa fille et ce qui a amené cette dernière à ne plus la voir. Simone a du caractère et ne s’en laisse pas imposer même au risque d’un échec. Recevra-t-elle la lettre-fleuve de sa mère? Si oui, qu’en fera-t-elle?
Arrivées au Québec, enfin diront certains, la route doit les mener jusqu’à Notre-Dame-du-Cachalot, un village inventé de Gaspésie, pour y retrouver Rosa Ost, aussi passionnée des lilas que les États-Uniennes, mais aussi fille de Thérèse, l’amie de Pia rencontrée à Paris. Une ultime mise en abyme raconte qu’à son retour de France, Thérèse a mis en application les principes du socialisme dont elle vantait les mérites et en a fait le mode de vie des habitants du village. Les biens de chacun sont devenus ceux de toute la communauté, ce communisme bon enfant est devenu un mode de vie morose. Il a alors suffi qu’un enfant du milieu étudie au loin, revienne avec une théorie sociale hyper capitaliste et la mette en pratique pour redonner vie au village. Hélas, les habitants sont passés d’un état de dépendance à un autre plus étouffant, Notre-Dame-du-Cachalot étant devenu une geôle de consommation. Rosa devient alors celle qui libère ses congénères de façon plutôt amusante.
En refermant La route du lilas, j’ai compris le road trip qu’Eric Dupont a voulu faire en prétextant la saison du lilas et la floraison de ses diverses variétés. Les personnages qu’il a créés sont certes à la mesure ou à la démesure de son récit ou, comme on dit dans le langage de tous les jours : trop, c’est comme pas assez, même en littérature.

2 commentaires:

  1. Un beau plaisir de lecture. Le style est ludique, le récit est fouillé. Dommage que certaines parties du livre viennent gâcher une impression globalement très positive. Les cinquante dernières pages sont une dérive décevante: Rosa confisque la place de Pia, alors héroïne au centre du récit. On nous laisse avec des inventions douteuses comme le MERDIQ et on oublie d'attacher les ficelles qui pendouilles dans le récit. - Martin Duval

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  2. Le fameux MERDIQ était déjà présent dans La Logeuse, second roman de Dupont. Je crois qu'il avait envie d'y revenir, mais en effet, pour ma part ce n'était pas nécessaire.

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