mercredi 20 février 2019


Karoline Georges
De synthèse
Québec, Alto, coll. « Coda », 2018, 240 p., 15,95 $.

Le livre du désespoir consolé

J’étais curieux d’entrer dans l’univers de Karoline Georges, écrivaine et artiste pluridisciplinaire. La science-fiction ne m’ayant jamais séduit, comment expliquer que De synthèse m’a interpelé? Qu’importe, je m’y suis plongé et j’en suis sorti vivifié par tant d’images.




La narratrice est un personnage polymorphe. Sa complexité physique aussi bien qu’intellectuelle la rend insaisissable pour elle-même et pour ceux qui la côtoient. Il faut dire que la solitude est son point d’ancrage dans une existence frugale; c’est dans les arcanes de celle-ci qu’elle s’enferme pour se recréer ou devenir une mutante de sa propre vie.
« Je suis devenue une image de femme avant d’atteindre la puberté. À treize ans, je rêvais depuis déjà longtemps d’apparaître sur papier glacé. » Ainsi se résume la quête de la narratrice qu’elle réalisera malgré sa misanthropie qui se manifeste par son aptitude à se perdre dans la foule, si petite soit-elle. Ne pas être remarquée, ne pas attirer les regards, suivre la masse écolière qui l’entoure. C’est d’ailleurs par souci d’imitation qu’elle se présente à un concours visant à trouver des jeunes filles intéressées au mannequinat.
Non seulement son regard vide retient l’attention du jury, mais il lui ouvre les portes d’un univers qui, autrement, lui aurait échappé. À 16 ans, autorisée par des parents menant une vie pitoyable, elle part à Paris pour six mois et en revient… huit ans plus tard.
Karoline Georges a mis son expérience artistique à profit en utilisant les nouvelles technologies comme moyen d’expression de son héroïne, lui donnant ainsi le poids de la réalité au service de la fiction qui, petit à petit, se mue en science-fiction.
Au cœur des préoccupations de l’héroïne, il y a l’image, de sa complexité primaire à une impossible transformation perpétuelle. Les pages du roman où nous accompagnons la mannequin qui explore l’univers de la mode et de la publicité illustrent la complexité d’univers qui peuvent sembler artificiels, mais qui sont plutôt le fruit d’un ensemble de règles obscures qu’appliquent les photographes, parfois de manière dictatoriale. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la narratrice fréquente le moins possible ses collègues dont elle partage le logement et qu’elle accepte tous les projets que lui propose son agence. Une surexposition voulue comme son contraire.
Elle n’a d’ailleurs qu’une amie à Paris, Camille. Cette dernière, plus âgée qu’elle, fait son éducation à l’image, entre autres en lui faisant visiter des musées de la ville. Camille s’intéresse à la photo, préférant le noir et blanc, car, à son avis, l’argentique communique mieux la vie intérieure des sujets.
Vient un jour où l’héroïne se lasse d’être un écran vivant sur lequel on fait réfléchir des sentiments ou des émotions. Elle décide de rentrer au pays au grand dam de son employeur. Ayant si peu touché à l’argent gagné, elle s’offre un condo dans une tour de la Métropole, loin des quartiers où s’alignent des bungalows trop semblables aux rues de son enfance. Commence alors une autre étape de sa quête de l’idéal féminin et de son image. C’est ainsi qu’elle découvre et explore les nouvelles technologies, Internet et les réseaux sociaux qui relient des artistes qui mènent de semblables quêtes en créant des avatars qui interagissent entre eux. La narratrice crée un personnage qu’elle prénomme Anouk comme sa mère aurait voulu la nommer, mais que des considérations familiales l’ont empêché.
Nous devenons alors les témoins des essais et des erreurs de l’héroïne qui tente de donner une forme tangible à une créature qu’elle ne cesse de transformer, jamais satisfaite du résultat. Un jour, elle reçoit un appel de son père dont la voix plus que le propos lui fait comprendre l’urgence de sa demande : venir visiter sa mère à l’hôpital où des ennuis de santé la retiennent. Commence alors une valse-hésitation d’y aller ou non, de renouer avec ses parents ou non, de passer plus de temps dans la réalité ou non.
La romancière a ainsi imaginé une véritable quadrature du cercle dont nous ne pouvons voir l’issu. C’est pourtant par le rapprochement mère, enfant, père et avatar que la situation, de plus en plus dramatique, sera résolue. Sans révéler la chute du roman, je retiens qu’il suffit de l’image d’une époque où le bonheur amoureux unissait ses parents pour que l’héroïne voie l’aboutissement de sa propre quête.
De synthèse m’a certes ouvert le mystère d’une science-fiction et m’a ainsi permis d’avoir sous les yeux une œuvre des plus actuelles qui fait se côtoyer dans un même univers la réalité tangible et l’imaginaire en mouvement perpétuel des réalités augmentées.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire