mercredi 16 janvier 2019

Louis-Philippe Hébert
Le dernier catéchisme illustré, récits
Saint-Sauveur-des-Monts, La Grenouillère, coll. « Livre de poche », 2018, 136 p., 18,95 $.

Pour saluer Louis-Philippe Hébert

1969, j’étudie à l’université McGill et vit dans une résidence située derrière l’hôpital Royal-Victoria. Pour m’éloigner quelques heures de cet univers pluriculturel, je descends le cœur léger la rue University pour aller retrouver un apprenti libraire, Louis-Philippe Hébert, qui officie à La Maison du livre de la Place Ville-Marie. Parfois, on y expose les œuvres de jeunes créateurs, dont les dessins de Micheline Lanctôt. J’ignore alors qu’elle et mon ami planchent sur une suite de textes et d’illustrations qui seront réunis en cinq volumes, et publiés de 1971 à 1975.




En octobre 2017, j’ai recensé la version remasterisée d’un ouvrage intitulé Le Roi Jaune, des textes en prose parus au Jour, en 1971, et illustrés par son amie Lanctôt. J’ai alors constaté que cet ouvrage n’a pas vieilli d’une virgule, son originalité initiale étant inaltérée, car inaltérable. Je citais alors le judicieux conseil de Jean-François Chassay : « Prenez le temps de lire. Ne sautez aucun mot. Ralentissez. Vous aurez des surprises. Et c’est dans pareil moment que la littérature joue pleinement son rôle. »
Au début de 2018, j’ai souligné la parution de Le cinéma de la Petite-Rivière, version aussi rematricée de la prose éponyme, et de Textes extraits de vanille et Textes d’accompagnement. Ces ouvrages sont tous illustrés par la jeune artiste qui allait devenir la comédienne que l’on sait et, plus tard, cette remarquable cinéaste. J’invitais les lecteurs à remarquer les mots en cascades de l’écrivain qui inventent des sens dans toutes les directions, créant de nouveaux mondes, chaque texte tenant lieu de laboratoire de l’imaginaire et de l’appropriation d’un style original, voire unique.
Ne manquait qu’un livre illustré de cette époque, Le petit catéchisme, paru à l’Hexagone, en 1972. Louis-Philippe Hébert dit qu’il s’agissait là de poèmes en prose, un genre ayant pris son essor en France au 19e siècle, entre autres sous la plume de Baudelaire et de Rimbaud. De tels poèmes « forment un tout et sont fondés sur des recherches de rythme, de sonorités, d’images propres à la prose mais qui sont utilisés différemment. »
Devenu Le petit catéchisme illustré, le livre compte une cinquantaine de textes regroupés en cinq segments comme autant de pistes de lecture dans lesquelles s’engager. Même loin de la narration dans son acception générale, deux personnages interviennent à travers les dits d’un narrateur aussi imaginaire qu’eux, On et W. Ici plus que jamais dans ses ouvrages précédents et ceux qui viendront dans les décennies suivantes, L.-P. Hébert « pourrait [comme l’écrit Michel Lord] s’inscrire dans la tradition des contempteurs de la tradition littéraire de stricte obédience : les Lautréamont, Alfred Jarry, Raymond Roussel, Henri Michaux, Claude Gauvreau… »
Moderne avant d’autres écrivains de l’École littéraire du Jour? Je le crois, car la quête apparente de Hébert n’était pas celle d’un pays, mais d’une littérature nouvelle par ce qui la distinguait de ses semblables. Jean-Pierre Vidal, le plus pointu des critiques, voire l’exégète de l’œuvre de Louis-Philippe Hébert, écrivait à son sujet, dans un dossier que la revue Lettre québécoise lui consacrait en 2003 : « On voit qu’il aura été tributaire […] de toutes sortes de discours et de pratiques littéraires, mais pour mieux suivre sa route à lui qui n’appartient en propre à aucun autre parcours. Tout au plus pourrait-on dire qu’il réussit ce tour de force d’être ainsi toujours un marginal, y compris par rapport à la marge, autoproclamée ou institutionnalisée. C’est sans doute ce qui lui vaut la relative obscurité dont l’entourent soigneusement les médias, comme par peur de voir leurs confortables certitudes ébranlées par une œuvre violemment inclassable. »
S’il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, je considère les premiers ouvrages d’un écrivain comme d’incontournables signes de piste quand son œuvre arrive à maturité. Or, je crois que Le petit catéchisme illustré est de ceux-là, car il nous dirige, d’un point de vue panoramique, vers ce qui allait devenir l’œuvre « totalisante » que Louis-Philippe Hébert a écrite à ce jour.

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