Éric Plamondon
Taqawan
Montréal, Le Quartanier, coll. « Écho », 2018, 224
p., 13,95 $.
D’une colonie à
l’autre
Je laisse aux autres de commenter
les livres ayant valu un prix littéraire à leur auteur. Il en est ainsi, car je
ne vois pas l’utilité d’une nouvelle opinion sur une œuvre déjà abondamment analysée
ou d’un commentaire sur la décision d’un jury sur laquelle on ne peut plus rien.
Or, voilà que je fais exception en parlant de Taqawan, roman pour lequel on a remis le Prix France-Québec 2018 à l’auteur
Éric Plamondon.
Pourquoi ce livre plutôt qu’un
autre? Parce que le France-Québec est un prix qui ouvre les portes du territoire
planétaire où les lecteurs francophones sont légion. La France elle-même, mais
aussi la Belgique, la Suisse, des pays d’Afrique et tous ceux pour qui Paris
est au cœur de la culture littéraire. Ce détour est obligé pour la littérature
québécoise comme celle de tant d’autres pays, même si nos écrivains trouvent
rarement leur place sur les rayons des librairies en Hexagone.
Venons-en à Taqawan. Septième récit de Plamondon, il nous fait voyager en
territoire mal connu, celui des Micmacs du Québec, au moment des événements de
Ristigouche en 1981, ce fleuve où la pêche au saumon a été l’objet d’une crise
majeure entre autochtones et pêcheurs commerciaux blancs.
Le romancier situe la trame au
moment d’affrontements entre les deux communautés sur les droits de pêche des
uns et des autres. Comme si ce conflit ne suffisait pas, il s’intéresse aussi à
la condition des Amérindiennes et à l’irrespect des hommes blancs, souvent en
autorité, dont elles sont victimes, même en bas âge.
Pour s’assurer de bien mettre en les
perspectives ce fil narratif, Plamondon fait, tout au long du roman, de brefs
apartés historiques sur divers aspects des traditions micmaques ancestrales, si
souvent bafouées depuis l’arrivée des premiers colons français.
L’histoire pivot du roman raconte
la décision d’Yves Leclerc, garde-chasse au moment des événements, qui refuse
d’accepter la brutalité de l’intervention policière lors des affrontements
entre pêcheurs amérindiens et blancs. Non seulement remet-il sa démission, mais
il prend parti en faveur des « Mi’gmaq ».
Parallèlement à ce récit, Taqawan raconte le sort subit par
Océane, une adolescente micmaque, et le destin de Caroline Seguette, une
Française venue enseigner au Québec pour un an, témoin malgré elle des dérives
de nos ancêtres, français comme elle. L’adolescente et l’enseignante vont se
retrouver dans l’univers d’Yves à des moments déterminants de leur vie. Caroline
le rencontre dans un bar du coin où elle habite, d’amis ils deviendront amants.
Quant à Océane, c’est à la suite d’un viol dont elle est victime que Leclerc
entre dans sa vie, la mettant hors de danger à deux occasions.
De rapprocher ainsi un drame personnel
à celui d’une société et d’en faire une seule et même tragédie peut paraître
audacieux. En même temps, cela permet de mieux comprendre l’unicité des
individus et du rôle de la communauté chez les Micmacs, le tous pour un, un
pour tous.
Leclerc, après avoir recueilli
Océane et amené chez lui, constate qu’il lui faut une médecine autre que celle
des blancs et il part à la rencontre de William, un sexagénaire Micmac vivant en
solitaire depuis des années, qui peut venir en aide à l’adolescente. De retour chez
lui, Yves et son compagnon constatent qu’il y a des visiteurs. L’amérindien
reste en retrait et son ami se dirige vers l’entrée. À l’intérieur, il trouve
deux individus qui ont ligoté et bâillonné Océane. Ils sont armés, le menacent,
l’amènent dans la forêt, laissant l’adolescente seule. Une grosse roche sur
leur passage fera l’affaire pour se débarrasser d’Yves, en ayant l’air d’un
accident. Au moment où l’un d’eux passe à l’action, il s’effondre en gémissant :
« le vieux Mi’gmaq » lui a lancé une hache dans le dos.
Après cette péripétie, Éric
Plamondon opère une longue circonvolution du récit pour raconter, entre autres,
que l’origine du taqawan, saumon dans la langue micmac. Il en profite pour
introduire de nouveaux personnages dont Pierre Pesant, anthropologue au service
de la Commission des droits de la personne et retraité de l’Université Laval,
ayant un faible pour les jeunes femmes. Ce dernier habite temporairement chez
Caroline, le temps de documenter le conflit de la Ristigouche.
Yves et William ont d’ailleurs
demandé à cette dernière de veiller sur Océane, le temps qu’ils règlent quelques
affaires. Le lendemain à leur retour, la porte du logis de l’enseignante est
grande ouverte, elle et Océane ont disparus, et Pesant git sur le sol. Les deux
amis ne tergiversent pas et partent avec Pesant dans la direction où les kidnappeurs
semblent être allés. En route, ils interpellent des pêcheurs qui disent avoir
vu un zodiac passé à vive allure en indiquant la direction qu’il a prise.
Sachant où trouver rapidement une embarcation, « Yves Leclerc, William
Metallic et Pierre Pesant remontent la Ristigouche ».
Après avoir parcouru deux
kilomètres, ils aperçoivent un zodiac accosté devant la pourvoirie Adams et s’en
approchent. Leclerc va vers le chalet, l’Amérindien vers la forêt et Pesant
veille sur l’embarcation. Voilà Yves devant Herman Adams, le maître des lieux, prétextant
vouloir acheter de l’essence. Pendant ce temps, William découvre un énorme Winnebago
où Océane est ligotée, et peut-être droguée. Au moment où Adams revient avec
l’essence, Pesant arrive derrière Leclerc, reconnaissant ainsi sa complicité
avec le pourvoyeur. Ils enferment Yves et la Française, aussi faite prisonnière,
car il leur faut trouver urgemment le Mi’gmaq. Entre temps, ce dernier a mis Océane
en sécurité et fait en sorte que l’autocaravane descende vers le camp, le fasse
exploser et permette à ses amis de fuir.
La chute du roman peut sembler
aller de soi, mais ce serait oublié le fil conducteur de la trame, le conflit
entre les droits de pêche au saumon et la réaction exagérée de la Sureté du
Québec. Ces événements pousseront Océane, devenue jeune adulte, à faire des
études en droit afin de protéger ceux de sa nation dans le cadre légal et juridique
de la société québécoise et canadienne.
Nul doute, Taqawan
mérite le prix France-Québec, considérant le vaste spectre sociopolitique que
l’écrivain déploie tantôt celui de l’histoire de la société micmaque et de la
colonisation française, tantôt des droits de pêche ancestraux des Autochtones
et des lois édictées par les Blancs, tantôt la liberté des uns au détriment de
celle des autres. La littérature a le pouvoir d’éduquer en utilisant la trame
d’un récit pour toucher les consciences et peut-être changer les mentalités, ce
que parvient à faire Taqawan, un mot
qui, je le rappelle, signifie saumon en la langue micmaque.
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