mercredi 23 janvier 2019

Éric Plamondon
Taqawan
Montréal, Le Quartanier, coll. « Écho », 2018, 224 p., 13,95 $.

D’une colonie à l’autre

Je laisse aux autres de commenter les livres ayant valu un prix littéraire à leur auteur. Il en est ainsi, car je ne vois pas l’utilité d’une nouvelle opinion sur une œuvre déjà abondamment analysée ou d’un commentaire sur la décision d’un jury sur laquelle on ne peut plus rien. Or, voilà que je fais exception en parlant de Taqawan, roman pour lequel on a remis le Prix France-Québec 2018 à l’auteur Éric Plamondon.




Pourquoi ce livre plutôt qu’un autre? Parce que le France-Québec est un prix qui ouvre les portes du territoire planétaire où les lecteurs francophones sont légion. La France elle-même, mais aussi la Belgique, la Suisse, des pays d’Afrique et tous ceux pour qui Paris est au cœur de la culture littéraire. Ce détour est obligé pour la littérature québécoise comme celle de tant d’autres pays, même si nos écrivains trouvent rarement leur place sur les rayons des librairies en Hexagone.
Venons-en à Taqawan. Septième récit de Plamondon, il nous fait voyager en territoire mal connu, celui des Micmacs du Québec, au moment des événements de Ristigouche en 1981, ce fleuve où la pêche au saumon a été l’objet d’une crise majeure entre autochtones et pêcheurs commerciaux blancs.
Le romancier situe la trame au moment d’affrontements entre les deux communautés sur les droits de pêche des uns et des autres. Comme si ce conflit ne suffisait pas, il s’intéresse aussi à la condition des Amérindiennes et à l’irrespect des hommes blancs, souvent en autorité, dont elles sont victimes, même en bas âge.
Pour s’assurer de bien mettre en les perspectives ce fil narratif, Plamondon fait, tout au long du roman, de brefs apartés historiques sur divers aspects des traditions micmaques ancestrales, si souvent bafouées depuis l’arrivée des premiers colons français.
L’histoire pivot du roman raconte la décision d’Yves Leclerc, garde-chasse au moment des événements, qui refuse d’accepter la brutalité de l’intervention policière lors des affrontements entre pêcheurs amérindiens et blancs. Non seulement remet-il sa démission, mais il prend parti en faveur des « Mi’gmaq ».
Parallèlement à ce récit, Taqawan raconte le sort subit par Océane, une adolescente micmaque, et le destin de Caroline Seguette, une Française venue enseigner au Québec pour un an, témoin malgré elle des dérives de nos ancêtres, français comme elle. L’adolescente et l’enseignante vont se retrouver dans l’univers d’Yves à des moments déterminants de leur vie. Caroline le rencontre dans un bar du coin où elle habite, d’amis ils deviendront amants. Quant à Océane, c’est à la suite d’un viol dont elle est victime que Leclerc entre dans sa vie, la mettant hors de danger à deux occasions.
De rapprocher ainsi un drame personnel à celui d’une société et d’en faire une seule et même tragédie peut paraître audacieux. En même temps, cela permet de mieux comprendre l’unicité des individus et du rôle de la communauté chez les Micmacs, le tous pour un, un pour tous.
Leclerc, après avoir recueilli Océane et amené chez lui, constate qu’il lui faut une médecine autre que celle des blancs et il part à la rencontre de William, un sexagénaire Micmac vivant en solitaire depuis des années, qui peut venir en aide à l’adolescente. De retour chez lui, Yves et son compagnon constatent qu’il y a des visiteurs. L’amérindien reste en retrait et son ami se dirige vers l’entrée. À l’intérieur, il trouve deux individus qui ont ligoté et bâillonné Océane. Ils sont armés, le menacent, l’amènent dans la forêt, laissant l’adolescente seule. Une grosse roche sur leur passage fera l’affaire pour se débarrasser d’Yves, en ayant l’air d’un accident. Au moment où l’un d’eux passe à l’action, il s’effondre en gémissant : « le vieux Mi’gmaq » lui a lancé une hache dans le dos.
Après cette péripétie, Éric Plamondon opère une longue circonvolution du récit pour raconter, entre autres, que l’origine du taqawan, saumon dans la langue micmac. Il en profite pour introduire de nouveaux personnages dont Pierre Pesant, anthropologue au service de la Commission des droits de la personne et retraité de l’Université Laval, ayant un faible pour les jeunes femmes. Ce dernier habite temporairement chez Caroline, le temps de documenter le conflit de la Ristigouche.
Yves et William ont d’ailleurs demandé à cette dernière de veiller sur Océane, le temps qu’ils règlent quelques affaires. Le lendemain à leur retour, la porte du logis de l’enseignante est grande ouverte, elle et Océane ont disparus, et Pesant git sur le sol. Les deux amis ne tergiversent pas et partent avec Pesant dans la direction où les kidnappeurs semblent être allés. En route, ils interpellent des pêcheurs qui disent avoir vu un zodiac passé à vive allure en indiquant la direction qu’il a prise. Sachant où trouver rapidement une embarcation, « Yves Leclerc, William Metallic et Pierre Pesant remontent la Ristigouche ».
Après avoir parcouru deux kilomètres, ils aperçoivent un zodiac accosté devant la pourvoirie Adams et s’en approchent. Leclerc va vers le chalet, l’Amérindien vers la forêt et Pesant veille sur l’embarcation. Voilà Yves devant Herman Adams, le maître des lieux, prétextant vouloir acheter de l’essence. Pendant ce temps, William découvre un énorme Winnebago où Océane est ligotée, et peut-être droguée. Au moment où Adams revient avec l’essence, Pesant arrive derrière Leclerc, reconnaissant ainsi sa complicité avec le pourvoyeur. Ils enferment Yves et la Française, aussi faite prisonnière, car il leur faut trouver urgemment le Mi’gmaq. Entre temps, ce dernier a mis Océane en sécurité et fait en sorte que l’autocaravane descende vers le camp, le fasse exploser et permette à ses amis de fuir.
La chute du roman peut sembler aller de soi, mais ce serait oublié le fil conducteur de la trame, le conflit entre les droits de pêche au saumon et la réaction exagérée de la Sureté du Québec. Ces événements pousseront Océane, devenue jeune adulte, à faire des études en droit afin de protéger ceux de sa nation dans le cadre légal et juridique de la société québécoise et canadienne.
Nul doute, Taqawan mérite le prix France-Québec, considérant le vaste spectre sociopolitique que l’écrivain déploie tantôt celui de l’histoire de la société micmaque et de la colonisation française, tantôt des droits de pêche ancestraux des Autochtones et des lois édictées par les Blancs, tantôt la liberté des uns au détriment de celle des autres. La littérature a le pouvoir d’éduquer en utilisant la trame d’un récit pour toucher les consciences et peut-être changer les mentalités, ce que parvient à faire Taqawan, un mot qui, je le rappelle, signifie saumon en la langue micmaque.

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