mercredi 12 septembre 2018


Jean Barbe
Discours de réception du prix Nobel
Montréal, Leméac, 2018, 64 p., 11,95 $.

Écologie de la culture ou culture écologique

J’ai découvert la plume et le propos polyphonique de Jean Barbe dans Voir, périodique dont il fut un des fondateurs. Puis, il y a eu Comment devenir un monstre (2004) et Comment devenir un ange (2005), romans acclamés parus chez Leméac. Dire que Barbe est un intellectuel et un homme de lettres est un euphémisme, ce que confirme Discours de réception du prix Nobel, un essai en forme de récit où la réalité et l’imaginaire se confondent.




« (Si on me le donnait, tel serait mon discours.) » prévient l’auteur en exergue. Qu’allait-il alors faire à Stockholm, capital de la Suède, dont le hall de l’hôtel de ville reçoit les lauréats des prix Nobels, à l’exception du Nobel de la paix remis à Oslo, en Norvège? Certains y ont vu de la vanité, d’autres une barrière à des lecteurs non lettrés. Jugements un peu courts, l’hypothétique Nobel me semblant un prétexte pour dresser un très vaste constat sur l’état actuel de la littérature et les arts en général au 21e siècle.
Première étape : comment entre-t-on en littérature, sinon en découvrant la lecture des grandes œuvres quand le livre est quasi absent de votre enfance, sinon par la bibliothèque du quartier ou de la ville? C’est ainsi que le narrateur de ce « discours » en est venu à s’y intéresser grâce à la biographie d’un cycliste réputé dont le récit correspondait à sa propre expérience du quotidien. Vélo, lecture et littérature : même combat pour un gamin hyperactif grâce au lien entre sa réalité et celle de l’athlète. Pourquoi alors ne pas rouler au-delà de ce pragmatisme en explorant d’autres univers sur lesquels règne l’imaginaire.
La littérature jeunesse, il la juge sévèrement, l’accusant d’emprisonner ses lecteurs dans un monde minimaliste pour leur vendre ce dont on juge leur être d’un besoin immédiat, sans leur permettre d’explorer des fantasmagories éveillant leur imagination. L’auteur justifie son point de vue en invoquant que les fervents de littérature jeunesse font rarement des lecteurs adultes convaincus, sinon ça se saurait grâce à des études et des statistiques.
Barbe ne blâme pas les écrivains jeunesse, mais bien le consumérisme dans lequel baigne la littérature et les arts en général, exemples à l’appui. Parmi ceux-là, les salons du livre sur lesquels règne l’hyper commercialisation par vedettes interposées. Ainsi, les files d’attente pour obtenir une dédicace sont comme un applaudimètre de succès, éludant les qualités intrinsèques des livres et de leur littérarité.
Est-ce à dire que le livre en général ou la réalisation d’autres œuvres artistiques subissent le même sort que le reste de la planète et que leur puissance évocatrice est victime des changements climatiques qui s’opèrent sur l’esprit humain? Aussi théorique que cela puisse sembler, cette érosion de la culture vient de sa transformation en un ensemble homogène de produits culturels, peu importe leurs origines.
Le narrateur affirme avoir « la conviction intime qu’il est notre devoir d’artiste et d’écrivain de faire tout en notre pouvoir pour que les citoyens des pays riches s’intéressent à l’art et à la littérature non pas au bénéfice de l’art et de la littérature, mais pour ce que l’art et la littérature véhiculent de sens et de générosité et de compréhension de l’autre. »
Je termine la lecture de ce « discours » alors que s’essoufflent les débats autour du concept d’appropriation culturelle. Or, n’est-ce pas là le fonds culturel de tous les artistes dont leur pratique en est l’expression? À l’ère du vrai et du faux, donc de l’approximatif, et de l’éphémère qui n’a que faire de la pérennité, le Discours de réception du prix Nobel de Jean Barbe alimente une réflexion que je crois essentielle pour l’avenir de la liberté de penser et du droit de s’exprimer sans entrave dans les sociétés dites démocratiques comme la nôtre.

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