mercredi 29 août 2018

Magali Sauves
160 rue Saint-Viateur Ouest
Montréal, Mémoire d’encrier, 2018, 312 p., 24,95 $ (papier), 18,99 $ (numérique).

Histoire d’altérités

Moins de fiction, plus de poésie et d’essai : le territoire des histoires inventées se réduit comme peau de chagrin, surtout depuis que l’info en continu empiète sur ses platebandes. Heureusement, il arrive encore que l’univers d’un roman est si vaste qu’on plonge dans sa trame comme dans une eau fraîche un jour de canicule.




C’est un tel jour que j’ai terminé 160 rue Saint-Viateur Ouest, le troisième roman de Magali Sauves, à la fois polar et roman de mœurs. Mais, le récit est d’abord un remarquable exercice de style, l’auteure jouant de toutes les nuances de son art. Je parle ici de la structure narrative complexe sur laquelle reposent trois fresques aussi près l’une de l’autre qu’elles semblent éloignées.
Au cœur du roman, il y a Mathisyahu Blaustein. Il a grandi dans le microcosme et les lois de la communauté hassidique montréalaise jusqu’au jour où, à l’âge de 15 ans, il croise le regard de Jean-Claude. Ce tout jeune professeur comprend le désarroi de l’adolescent et devient son pygmalion. Le tourment de l’ado lui vient d’« un grand-père narcissique, un raté de père, une mère dépressive, des frères et sœurs individualistes à l’extrême et une petite sœur qui refusait de parler. » Il y a aussi la société qui l’entoure avec laquelle il ne peut communiquer et encore moins partager la culture.
Jean Claude lui offre un toit, l’apprentissage du français et l’éducation que reçoivent les goys, les non-juifs. Du garçon à la naïveté confondante émerge un policier hautement qualifié qui grimpe rapidement les échelons de la profession. Il n’en perd pas pour autant sa culture originelle, que la relation avec Yocheved, sa mère, entretient malgré le désaveu de son grand-père et de son propre père.
Au cœur de l’histoire, il y a l’enquête que mènent Mathis et ses comparses Élaine Gendron et Benoît Fortin. L’investigation porte sur l’étrange décès de Georges Jalabert, « ingénieur en production et expérimentation végétales ». Outre des pustules semblables à une réaction allergique partout sur son corps, rien n’explique cette mort.
Après la famille hassidique, le meurtre de Jalabert, un aspect du roman brouille les pistes lorsque les deux vies de Mathisyahu se croisent, voire se confondent. Lors d’une visite à sa mère, il apprend qu’une vieille dame, portant une urne mortuaire, sonne régulièrement à sa porte et demande à voir Hannah. Une autre fois, Mathis est là, la dame passe, dit se nommer Léonie Laverdure, être la veuve d’un notaire réputé et la mère de Marion et de Paul-Hervé, qui interviendront à leur tour sur le fil de l’histoire.
160 rue Saint-Viateur Ouest m’a souvent donné l’impression de visiter l’exposition de toiles d’un maître où chaque salle illustre une époque, lesquelles composent l’ensemble de son œuvre. Magali Sauves a créé une osmose des péripéties de son histoire sans liens apparents, sinon par des rebondissements, parfois aux limites de la vraisemblance, et de nombreuses références à la culture hassidique comme à celle du Canada français des années 1939-1945 sous l’emprise de l’Église catholique et la duplicité du pouvoir politique.
Le titre du roman, 60 rue Saint-Viateur Ouest est en fait le fil conducteur que l’on découvre dans un aparté surprenant qui amène Marion et Mathis dans l’étude d’un notaire en Allemagne. Même dans cette scène, la romancière joue avec d’infimes détails qui s’avèrent être de grandes importances, car ils amènent la chute du roman.
L’humanisme que distille ce roman, à travers le croisement de cultures et d’époques autour d’énigmes à résoudre, n’est pas un simple divertissement. Il est guidé par la narration d’une suite d’événements enchevêtrés dont l’hétérogénéité même crée l’originalité de l’œuvre. Sans oublier, bien évidemment, ses qualités purement littéraires sur lesquelles on n’insistera jamais assez.

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