mercredi 22 août 2018


Tassia Trifiatis-Tezgel et Caroline Lavigne
Les platanes d’Istanbul
Montréal, du Passage, 2018, 128 p., 29,95 $.

Quand images et mots font corps

Istanbul, métropole de la Turquie. On y vient pour visiter la vielle ville, admiratif de tant de grandioses vestiges de l’histoire millénaire de celle qu’on appela Byzance, puis Constantinople. Les platanes d’Istanbul, roman graphique de Tassia Triafiatis-Tezgel et Caroline Lavergne, rappelle la magnificence des lieux et le charme irrésistible des Stambouliotes.




Le livre raconte les trois années durant lesquelles l’auteure et son époux ont séjourné à Istanbul, une décision prise dans l’urgence du mari d’aller revivre un temps dans sa ville d’origine, où la narratrice n’a jamais mis les pieds. Les premières semaines sont consacrées à la découverte du patrimoine historique et touristique. C’est l’occasion pour l’illustratrice de jouer de l’aquarelle et de dessiner à l’encre pour ainsi immortaliser ce qui est vu et ressenti.
Le couple s’installe dans le quartier de Yenibosna. Après la première année durant laquelle la narratrice comptait sur H. pour traduire l’essentiel de ses conversations, elle doit maintenant échanger seule avec le dépanneur, le boulanger, l’épicier, le boucher, etc. Si l’anglais est souvent la zone de confort, elle ne peut s’en contenter si elle veut vraiment communiquer avec les gens du quotidien et partager leur culture.
C’est en rencontrant Özlem que la narratrice retrouve ses repères de vivre avec des femmes. Sa jeune amie est « venue à Istanbul pour se marier avec un cousin éloigné qui était boucher dans un supermarché. » Özlem lui apprend, petit à petit, un peu de la vie des femmes du village qui l’a vue naître et la narratrice, celle des Montréalaises qu’elle a fréquentées.
Le récit de la relation des deux femmes témoigne de l’intensité de l’humanisme dans lequel baigne ce lien. Cela donne lieu à des passages très émouvants où leurs différences culturelles deviennent des voies d’échanges enrichissantes.
Un jour, Özlem annonce qu’elle est enceinte. Dès lors, de dire la narratrice, « notre amitié s’est logée dans le nœud permanent situé à la croisée de la vie et de la mort. » Cette dernière accompagne son amie dans sa grossesse, mais, le temps de l’accouchement venu, elle doit quitter Istanbul pour être au chevet de sa grand-mère en fin de vie. À son retour, Özlem a donné naissance à un fils prénommé Çinar, ce qui signifie platane en turc.
Les jeunes parents sont de plus en plus inquiets de l’état de santé de l’enfant. Des tests révèlent que Çinar souffre d’une maladie génétique rare et qu’il a « une espérance de vie d’environ cinq ans. » La narratrice visite son amie et son fils tous les samedis. C’est l’occasion de découvrir le quartier où ils habitent, en mots et en images, de connaître la famille d’Özlem et les traditions de cette microsociété. Vivre dans cette mégapole, sise entre l’Europe et l’Asie, dont le métissage des cultures est étourdissant : c’est ce que le roman illustre avec finesse et respect.
Quand la narratrice et son époux rentrent au Canada, l’éloignement d’Özlem, Ufu et Çinar les peine. Le destin tragique de l’enfant se scelle au moment où la narratrice devient enceinte. Cela donne lieu à une conversation téléphonique où l’une offre ses condoléances à l’autre tout en lui apprenant qu’un enfant va venir.
Les platanes d’Istanbul est une œuvre littéraire et graphique admirable, tant pour ce qu’il évoque que pour ce qu’il nous permet de découvrir des lieux et des gens. J’ai cru être de retour à Istanbul et d’y partager les multiples habitudes culturelles de ses populations métissées.
Je le redis : les éditions du Passage savent harmoniser le texte et l’esthétique d’un livre. Depuis les premiers recueils de poésie jusqu’au L’Actume, les dessins de Réjean Ducharme, tout rappelle qu’un bel ouvrage peut aussi appeler une lecture remarquable.

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