Tassia Trifiatis-Tezgel et Caroline Lavigne
Les platanes
d’Istanbul
Montréal, du Passage, 2018, 128 p., 29,95 $.
Quand images et mots
font corps
Istanbul, métropole de la Turquie.
On y vient pour visiter la vielle ville, admiratif de tant de grandioses vestiges
de l’histoire millénaire de celle qu’on appela Byzance, puis Constantinople. Les platanes d’Istanbul, roman graphique
de Tassia Triafiatis-Tezgel et Caroline Lavergne, rappelle la magnificence des
lieux et le charme irrésistible des Stambouliotes.
Le livre raconte les trois années
durant lesquelles l’auteure et son époux ont séjourné à Istanbul, une décision
prise dans l’urgence du mari d’aller revivre un temps dans sa ville d’origine,
où la narratrice n’a jamais mis les pieds. Les premières semaines sont consacrées
à la découverte du patrimoine historique et touristique. C’est l’occasion pour
l’illustratrice de jouer de l’aquarelle et de dessiner à l’encre pour ainsi
immortaliser ce qui est vu et ressenti.
Le couple s’installe dans le
quartier de Yenibosna. Après la première année durant laquelle la narratrice comptait
sur H. pour traduire l’essentiel de ses conversations, elle doit maintenant échanger
seule avec le dépanneur, le boulanger, l’épicier, le boucher, etc. Si l’anglais
est souvent la zone de confort, elle ne peut s’en contenter si elle veut
vraiment communiquer avec les gens du quotidien et partager leur culture.
C’est en rencontrant Özlem que la
narratrice retrouve ses repères de vivre avec des femmes. Sa jeune amie est « venue
à Istanbul pour se marier avec un cousin éloigné qui était boucher dans un
supermarché. » Özlem lui apprend, petit à petit, un peu de la vie des
femmes du village qui l’a vue naître et la narratrice, celle des Montréalaises
qu’elle a fréquentées.
Le récit de la relation des deux
femmes témoigne de l’intensité de l’humanisme dans lequel baigne ce lien. Cela
donne lieu à des passages très émouvants où leurs différences culturelles
deviennent des voies d’échanges enrichissantes.
Un jour, Özlem annonce qu’elle
est enceinte. Dès lors, de dire la narratrice, « notre amitié s’est logée
dans le nœud permanent situé à la croisée de la vie et de la mort. » Cette
dernière accompagne son amie dans sa grossesse, mais, le temps de
l’accouchement venu, elle doit quitter Istanbul pour être au chevet de sa
grand-mère en fin de vie. À son retour, Özlem a donné naissance à un fils
prénommé Çinar, ce qui signifie platane en turc.
Les jeunes parents sont de plus
en plus inquiets de l’état de santé de l’enfant. Des tests révèlent que Çinar
souffre d’une maladie génétique rare et qu’il a « une espérance de vie
d’environ cinq ans. » La narratrice visite son amie et son fils tous les
samedis. C’est l’occasion de découvrir le quartier où ils habitent, en mots et
en images, de connaître la famille d’Özlem et les traditions de cette
microsociété. Vivre dans cette mégapole, sise entre l’Europe et l’Asie, dont le
métissage des cultures est étourdissant : c’est ce que le roman illustre
avec finesse et respect.
Quand la narratrice et son époux
rentrent au Canada, l’éloignement d’Özlem, Ufu et Çinar les peine. Le destin tragique
de l’enfant se scelle au moment où la narratrice devient enceinte. Cela donne
lieu à une conversation téléphonique où l’une offre ses condoléances à l’autre tout
en lui apprenant qu’un enfant va venir.
Les platanes d’Istanbul est une œuvre littéraire et graphique
admirable, tant pour ce qu’il évoque que pour ce qu’il nous permet de découvrir
des lieux et des gens. J’ai cru être de retour à Istanbul et d’y partager les
multiples habitudes culturelles de ses populations métissées.
Je le redis : les éditions
du Passage savent harmoniser le texte et l’esthétique d’un livre. Depuis les
premiers recueils de poésie jusqu’au L’Actume,
les dessins de Réjean Ducharme, tout rappelle qu’un bel ouvrage peut aussi appeler
une lecture remarquable.
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