Xue Yiwei
Les gens de Shenzhen,
traduit du mandarin par Michèle Plomer
Montréal, Marchand de feuilles, 2017, 224 p., 19,95 $.
Shenzhenner ou
immigrer chez soi
J’étais curieux de lire Xue
Yiwei, écrivain sino-Montréalais, pour mettre à jour ma connaissance littéraire
de la Chine. C’est Michèle Plomer qui a proposé à l’auteur de dix-huit ouvrages
de traduire Les gens de Shenzhen, un
recueil des dix nouvelles, plusieurs se déroulant à Shenzhen, une municipalité
de plus de 7 millions d’habitants regroupant la plus jeune population du pays.
« La fille de la campagne »
a d’abord retenu mon attention. L’histoire se déroule à bord d’un train
Toronto-Montréal emprunté régulièrement par la fille du titre. Ce jour-là, un
Asiatique est son voisin de banquette. En route, elle s’adresse à lui, curieuse
de ses origines, puis la conversation s’engage sur Paul Auster et l’authenticité
d’une œuvre traduite. Ils s’interrogent : « Une traduction est-elle
identique à l’œuvre originale? Une traduction peut-elle y être fidèle? […] Quelqu’un
n’ayant jamais lu l’original d’un ouvrage peut-il juger de la qualité de sa
traduction? »
Cette rencontre se poursuit par
un échange de courriels. Un jour, celui qui a habité Shenzhen lui envoie une
toile représentant une jeune femme nue. Étonnée, la jeune femme constate qu’elle
lui a servi de modèle. L’artiste explique, dans une lettre accompagnant
l’œuvre, ce qui l’a poussé à faire cette toile qu’il intitule « Mon petit
monde de rêve ». Il lui apprend aussi avoir reçu un diagnostic médical fatal,
raison pour laquelle il ne peut aller à sa la rencontre.
Plusieurs des fictions du recueil
se déroulent dans des univers clos, un microcosme où les acteurs terminent un
cycle de leur vie qui, parfois, les propulse vers un état nouveau. «Le
prodige», par exemple, nous fait côtoyer un jeune garçon talentueux encouragé
par ses parents à suivre des leçons de piano. Un grand maître s’intéresse à lui
et le prend pour élève. Tant que sa mère l’accompagne, ses aptitudes
progressent, mais dès qu’il va seul à la leçon, les choses changent rapidement.
L’enfant ne comprend pas l’intérêt soudain du professeur pour sa personne, les
abus dont il devient la victime lui font détester le piano et son maître. Devenu
un homme, il dira : « Treize ans ont passé et c’est la mort du diable
qui rouvre toutes ces plaies. Je n’ai plus joué de piano. J’ai également
abandonné la lecture, les échecs et tous mes autres passe-temps. Je suis devenu
un enfant qui ne s’intéresse à rien. »
D’autres « petits malheurs »
sont gravés dans la trame des autres récits du recueil Les gens de Shenzhen. Ainsi, « Le chauffeur de taxi »
quitte son emploi, la ville lui étant devenue méconnaissable depuis le décès de
son épouse et de leur fille. Que dire du drame que vivent les « deux sœurs »,
la grande et la petite, cette dernière affirmant à un homme de théâtre que si « notre
vie est une pièce de théâtre, alors la nôtre est une tragédie ». Ce « dramaturge »,
au cœur de la nouvelle éponyme, s’est éloigné de la reconnaissance que son
œuvre lui méritait afin de retrouver un amour maladroitement perdu.
Jamais ces personnages, aussi
malmenés par les aléas de la vie, n’éprouvent de la rancœur. Ils font plutôt
preuve de résilience face à l’adversité à laquelle ils ont été soumis bien
malgré eux. Au point où on peut se demander si leur apparente sérénité n’est
pas simplement une autre façon d’exprimer leurs émotions.
En refermant Les gens de Shenzhen, je me suis demandé, comme les personnages de
« La fille de la campagne », si les nouvelles du recueil étaient comme
Xue Yiwei les avait imaginées et écrites ou si elles étaient plutôt teintées
des pratiques littéraires de Michèle Plomer, la traductrice. Sachant que
l’auteur et la traductrice ont collaboré pour mener à bien le travail, j’aime
croire que ce livre est bel et bien l’œuvre du premier, maintenant écrit sur la
portée de la traductrice.
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