mercredi 18 avril 2018


Frédérick Lavoie
Avant l’après : voyages à Cuba avec George Orwell
Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 448 p., 27,95 $.

Tout inclus, avez-vous dit!

Le titre de cette chronique évoque l’éloignement du quotidien, sans autre préoccupation que laisser passer le temps, sans même observer la population et les lieux, sans partager leur histoire et leur culture. Qu’en est-il d’un « tout inclus » dont on profite autrement que dans la seule oisiveté?
L’idée du « tout inclus » de Frédérick Lavoie, journaliste pigiste dont on a pu lire au Allers simples, aventures journalistiques en post-soviétie (2012) et Ukraine à fragmentation (2015), s’entend autrement. Il s’installe chez l’habitant pour vivre au même rythme que lui avec, en poche, une feuille de route noircie de questions auxquelles il cherche des interlocuteurs capables de satisfaire sa curiosité de « tout inclure » dans sa quête sociopolitique et sociologique.
Impossible ici de ne pas dire un mot d’À table avec l’ennemi, une suite de six émissions diffusées sur les ondes de TV5 où Lavoie, en compagnie du chef Charles-Antoine Crête, réunit, autour d’un repas élaboré en respectant les traditions des vis-à-vis, des gens qui ressentent plus une aversion qu’une amitié opposant les uns les autres. Il fut ainsi question de la guerre civile colombienne, du Fatah contre le Hamas, de la frontière américano-mexicaine, du génocide rwandais 20 ans plus tard, de la révolte au Chiapas et des affrontements des Tamouls contre les Cinghalais au Sri Lanka. Pour tout dire, il fallait avoir du cran pour ainsi réunir autour d’une table des frères ennemis.




Frédérick Lavoie a récemment publié Avant l’après : voyage à Cuba avec George Orwell (La Peuplade, 2018), un ouvrage qui, comme ses livres précédents, tient du récit et de l’essai. Cette fusion des genres facilite la compréhension de sujets qui, autrement, pourraient sembler complexes. Ici, l’auteur s’intéresse à la société et à la politique cubaine de l’ère Castro, mais surtout de la fin du régime révolutionnaire.
Que vient faire l’écrivain anglais George Orwell dans cette recherche? Lavoie utilise trois textes de cet auteur –les récits de politique-fiction La ferme des animaux (1945) et, surtout, 1984 (1949), et un bref essai Pourquoi j’écris (1946) – comme points de référence pour lui permettre d’observer jusqu’où le régime dictatorial a assoupli son pouvoir en permettant la publication d’œuvres critiques d’une dictature.
Le journaliste effectue trois voyages à La Havane, entre février 2016 et février 2017, après avoir lu que 1984 allait être réédité dans une nouvelle traduction cubaine. « Mais qui donc a autorisé la parution d’une telle hérésie sociopolitique », s’est-il demandé?
Habitué aux dédales administratifs de l’ancienne URSS, Lavoie voyage comme touriste et s’installe chez la mère d’un ami afin d’éviter tout soupçon sur le véritable but de ses séjours et d’avoir les coudées franches pour mener son enquête. C’est le récit de ses séjours, des gens qu’il a côtoyés, des habitudes qu’il a prises, des observations et des analyses qu’il a pu faire des transformations du pouvoir politique des Castro qu’il raconte de façon détaillée. Rien ne semble échapper à sa vigilance au grand bénéfice du lecteur ou de quiconque s’intéresse à la politique internationale.
Si Cuba n’est qu’une île de passage pour plusieurs d’entre nous, c’est que ses politiciens sont parvenus à se faire oublier et à banaliser les conditions de vie de la population cubaine. C’est cet écran de fumée masquant les rigueurs politiques que repousse la démarche du journaliste qui fait ainsi voir ce qu’un séjour « tout inclus » cache ou que les villégiateurs ne veulent surtout pas voir. Or, les gens que fréquente Lavoie sont des intellectuels hautement politisés qui sont en mesure d’estimer les rigueurs du pouvoir, même les plus subtiles. Cela justifie amplement qu’« avant l’après » du titre suggère que ce livre trace une fresque vivante de cet entre-deux politique.
Ultime tentation de l’auteur : lire un extrait de son livre, en public à Cuba, pour « transgresser une limite non écrite, mais évidente, à la liberté d’expression sur l’île afin de mieux souligner son existence. » Surtout, Frédérick Lavoie tente « d’encapsuler le présent [cubain] pour un usage futur », alors que ce pays traverse une période charnière de son histoire. C’est aussi un arrêt sur image d’une autre chute du communisme dont il a déjà été témoin.
Ce voyage, en compagnie de George Orwell, pour observer l’Avant l’après du castrisme, se lit comme un roman d’aventure, à la différence que nous sommes dans la réalité du Big Brother de 1984 plus vivante que jamais.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire