Frédérick Lavoie
Avant l’après :
voyages à Cuba avec George Orwell
Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 448 p., 27,95 $.
Tout inclus,
avez-vous dit!
Le titre de cette chronique évoque
l’éloignement du quotidien, sans autre préoccupation que laisser passer le temps,
sans même observer la population et les lieux, sans partager leur histoire et
leur culture. Qu’en est-il d’un « tout inclus » dont on profite autrement
que dans la seule oisiveté?
L’idée du « tout inclus »
de Frédérick Lavoie, journaliste pigiste dont on a pu lire au Allers simples, aventures journalistiques en
post-soviétie (2012) et Ukraine à
fragmentation (2015), s’entend autrement. Il s’installe chez l’habitant pour
vivre au même rythme que lui avec, en poche, une feuille de route noircie de
questions auxquelles il cherche des interlocuteurs capables de satisfaire sa
curiosité de « tout inclure » dans sa quête sociopolitique et sociologique.
Impossible ici de ne pas dire un mot d’À table avec l’ennemi, une suite de six émissions diffusées sur les
ondes de TV5 où Lavoie, en compagnie du chef Charles-Antoine Crête, réunit,
autour d’un repas élaboré en respectant les traditions des vis-à-vis, des gens
qui ressentent plus une aversion qu’une amitié opposant les uns les autres. Il
fut ainsi question de la guerre civile colombienne, du Fatah contre le Hamas,
de la frontière américano-mexicaine, du génocide rwandais 20 ans plus tard, de
la révolte au Chiapas et des affrontements des Tamouls contre les Cinghalais au
Sri Lanka. Pour tout dire, il fallait avoir du cran pour ainsi réunir autour
d’une table des frères ennemis.
Frédérick Lavoie a récemment publié Avant l’après :
voyage à Cuba avec George Orwell (La Peuplade, 2018), un ouvrage qui, comme
ses livres précédents, tient du récit et de l’essai. Cette fusion des genres
facilite la compréhension de sujets qui, autrement, pourraient sembler
complexes. Ici, l’auteur s’intéresse à la société et à la politique cubaine de
l’ère Castro, mais surtout de la fin du régime révolutionnaire.
Que vient faire l’écrivain anglais George Orwell dans
cette recherche? Lavoie utilise trois textes de cet auteur –les récits de
politique-fiction La ferme des animaux
(1945) et, surtout, 1984 (1949), et un
bref essai Pourquoi j’écris (1946) –
comme points de référence pour lui permettre d’observer jusqu’où le régime
dictatorial a assoupli son pouvoir en permettant la publication d’œuvres
critiques d’une dictature.
Le journaliste effectue trois voyages à La Havane,
entre février 2016 et février 2017, après avoir lu que 1984 allait être réédité dans une nouvelle traduction cubaine. « Mais
qui donc a autorisé la parution d’une telle hérésie sociopolitique »,
s’est-il demandé?
Habitué aux dédales administratifs de l’ancienne URSS,
Lavoie voyage comme touriste et s’installe chez la mère d’un ami afin d’éviter
tout soupçon sur le véritable but de ses séjours et d’avoir les coudées
franches pour mener son enquête. C’est le récit de ses séjours, des gens qu’il
a côtoyés, des habitudes qu’il a prises, des observations et des analyses qu’il
a pu faire des transformations du pouvoir politique des Castro qu’il raconte de
façon détaillée. Rien ne semble échapper à sa vigilance au grand bénéfice du
lecteur ou de quiconque s’intéresse à la politique internationale.
Si Cuba n’est qu’une île de passage pour plusieurs
d’entre nous, c’est que ses politiciens sont parvenus à se faire oublier et à banaliser
les conditions de vie de la population cubaine. C’est cet écran de fumée
masquant les rigueurs politiques que repousse la démarche du journaliste qui
fait ainsi voir ce qu’un séjour « tout inclus » cache ou que les
villégiateurs ne veulent surtout pas voir. Or, les gens que fréquente Lavoie
sont des intellectuels hautement politisés qui sont en mesure d’estimer les
rigueurs du pouvoir, même les plus subtiles. Cela justifie amplement qu’« avant
l’après » du titre suggère que ce livre trace une fresque vivante de cet entre-deux
politique.
Ultime tentation de l’auteur : lire un extrait de
son livre, en public à Cuba, pour « transgresser une limite non écrite,
mais évidente, à la liberté d’expression sur l’île afin de mieux souligner son
existence. » Surtout, Frédérick Lavoie tente « d’encapsuler le présent
[cubain] pour un usage futur », alors que ce pays traverse une période
charnière de son histoire. C’est aussi un arrêt sur image d’une autre chute du
communisme dont il a déjà été témoin.
Ce voyage, en compagnie de George Orwell, pour
observer l’Avant l’après du
castrisme, se lit comme un roman d’aventure, à la différence que nous sommes
dans la réalité du Big Brother de 1984
plus vivante que jamais.
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