Marc Seguin
Les repentirs
Montréal, Québec Amérique, coll. « III », 2017,
160 p., 19,95 $.
Lucidité assassine
Il m’arrive encore d’être sans
mot devant une grande œuvre. Le nouveau roman de Marc Séguin, Les repentirs, m’a ainsi chamboulé par l’histoire de l’été des 11 ans du narrateur faite
de jeux, des premiers émois amoureux, du décès de l’ami Med, etc. L’enfant
devenu adulte ressent toujours l’impact de ces vacances, au-delà même du récit qu’il
en fait ici.
La trame de fond est en trois dimensions,
chacune empruntant un point de vue pour aborder des événements emmaillés les uns
dans les autres. Comme si l’histoire se déroulait devant un miroir, lequel reflétait
une seule des trois images en avant-plan. Comme si la naïveté de l’enfance
traversait le tain de la glace et la transformait en réalités d’autres âges.
Le narrateur se prénomme Marc. Or, même si
celui-ci est l’alter ego littéraire de l’auteur, il faut le considérer comme un
personnage fictif. C’est d’autant plus difficile ici, car le Marc conteur
semble se confondre avec l’artiste à maints égards.
Le premier récit raconte la
genèse d’un grand amour prénommé Arielle. Il y a aussi ces huit semaines
emplâtrées durant lesquelles Marc découvre le monde de la littérature à travers
les livres de la bibliothèque maternelle. C’est l’occasion pour le narrateur de
se situer par rapport à l’art et, le temps venu, de choisir les moyens
d’expression qui lui conviennent.
Marc avoue ici être réfractaire
aux émotions et aux sentiments convenus. Cette misanthropie l’oblige à se jouer
des événements pour éviter de paraître insensible et d’avoir à se justifier.
Même l’idée d’aimer ou d’être aimé ne lui semble pas convenable. Malgré cette
apparente timidité affective, Marc aime sa mère comme il aime Arielle.
Le deuxième récit fait la
narration des activités quotidiennes de l’été 1981. Marc passe les journaux et
joue avec ses amis. Il évite Arielle un peu malgré lui, car, à 11 ans, les
garçons ne frayent pas avec les filles. L’amitié des garçons et les jeux qu’ils
s’inventent sont comme un passage obligé, une initiation à l’adolescence et à la
liberté.
Le grand défi de ces camarades
consiste à mettre des pièces de cinq sous sur la « track » pour
qu’elles soient écrasées par un convoi et épouse la forme des vingt-cinq sous
que les machines de jeux vidéo avalent plus vite que les enfants n’en ont les
moyens.
Un jour, l’ami Georges-Ahmed n’est
pas au rendez-vous, Marc imagine un contretemps. Il part distribuer les
journaux, bavarde avec Arielle, puis rentre chez lui. En soirée, il y a l’appel
du père de Med, inquiet du retard de son fils, puis la visite des policiers voulant
connaître son emploi du temps ce jour-là. De questions en réponses, ils lui apprennent
le décès de son ami dans d’horribles circonstances, sur la voie ferrée. Ce
drame change la vie de Marc et galvanise ses rapports avec les émotions et sa
façon de les exprimer : « Cet été 1981, j’ai appris, chanceux et avec
violence, à faire confiance à mon instinct. Sans faillir depuis. »
Le dernier volet trace une arabesque
au-dessus des années après cet été déterminant. Dans ces pages, le narrateur semble
plus Séguin que Marc comme si la face publique de l’artiste était plus
rationnelle que sensible et celle de l’homme, plus émotive. Surtout qu’ici ce
sont les liens et la relation d’Arielle et de Marc qui sont évoqués. Ce chapitre
est aussi le plus intimiste, car l’auteur y lie les aspects de sa personnalité
et de son existence qui font qu’il est tel qu’il raconte, que l’homme,
l’artiste et le narrateur ne font qu’un.
Les repentirs propose un vaste espace de réflexions existentielles
et spirituelles dans une langue et avec un art d’écrire au ton juste. C’est une
chose rare en ce temps où règnent les diktats de l’éphémère, où le vrai et le
faux sont parfois aléatoires comme l’être et le paraître. Cela rappelle
qu’entre une idée et sa réalisation, il y a la volonté de créer et le devoir de
mettre en œuvre.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire