mercredi 14 mars 2018


Marc Seguin
Les repentirs
Montréal, Québec Amérique, coll. « III », 2017, 160 p., 19,95 $.

Lucidité assassine

Il m’arrive encore d’être sans mot devant une grande œuvre. Le nouveau roman de Marc Séguin, Les repentirs, m’a ainsi chamboulé par l’histoire de l’été des 11 ans du narrateur faite de jeux, des premiers émois amoureux, du décès de l’ami Med, etc. L’enfant devenu adulte ressent toujours l’impact de ces vacances, au-delà même du récit qu’il en fait ici.
La trame de fond est en trois dimensions, chacune empruntant un point de vue pour aborder des événements emmaillés les uns dans les autres. Comme si l’histoire se déroulait devant un miroir, lequel reflétait une seule des trois images en avant-plan. Comme si la naïveté de l’enfance traversait le tain de la glace et la transformait en réalités d’autres âges.




Le narrateur se prénomme Marc. Or, même si celui-ci est l’alter ego littéraire de l’auteur, il faut le considérer comme un personnage fictif. C’est d’autant plus difficile ici, car le Marc conteur semble se confondre avec l’artiste à maints égards.
Le premier récit raconte la genèse d’un grand amour prénommé Arielle. Il y a aussi ces huit semaines emplâtrées durant lesquelles Marc découvre le monde de la littérature à travers les livres de la bibliothèque maternelle. C’est l’occasion pour le narrateur de se situer par rapport à l’art et, le temps venu, de choisir les moyens d’expression qui lui conviennent.
Marc avoue ici être réfractaire aux émotions et aux sentiments convenus. Cette misanthropie l’oblige à se jouer des événements pour éviter de paraître insensible et d’avoir à se justifier. Même l’idée d’aimer ou d’être aimé ne lui semble pas convenable. Malgré cette apparente timidité affective, Marc aime sa mère comme il aime Arielle.
Le deuxième récit fait la narration des activités quotidiennes de l’été 1981. Marc passe les journaux et joue avec ses amis. Il évite Arielle un peu malgré lui, car, à 11 ans, les garçons ne frayent pas avec les filles. L’amitié des garçons et les jeux qu’ils s’inventent sont comme un passage obligé, une initiation à l’adolescence et à la liberté.
Le grand défi de ces camarades consiste à mettre des pièces de cinq sous sur la « track » pour qu’elles soient écrasées par un convoi et épouse la forme des vingt-cinq sous que les machines de jeux vidéo avalent plus vite que les enfants n’en ont les moyens.
Un jour, l’ami Georges-Ahmed n’est pas au rendez-vous, Marc imagine un contretemps. Il part distribuer les journaux, bavarde avec Arielle, puis rentre chez lui. En soirée, il y a l’appel du père de Med, inquiet du retard de son fils, puis la visite des policiers voulant connaître son emploi du temps ce jour-là. De questions en réponses, ils lui apprennent le décès de son ami dans d’horribles circonstances, sur la voie ferrée. Ce drame change la vie de Marc et galvanise ses rapports avec les émotions et sa façon de les exprimer : « Cet été 1981, j’ai appris, chanceux et avec violence, à faire confiance à mon instinct. Sans faillir depuis. »
Le dernier volet trace une arabesque au-dessus des années après cet été déterminant. Dans ces pages, le narrateur semble plus Séguin que Marc comme si la face publique de l’artiste était plus rationnelle que sensible et celle de l’homme, plus émotive. Surtout qu’ici ce sont les liens et la relation d’Arielle et de Marc qui sont évoqués. Ce chapitre est aussi le plus intimiste, car l’auteur y lie les aspects de sa personnalité et de son existence qui font qu’il est tel qu’il raconte, que l’homme, l’artiste et le narrateur ne font qu’un.
Les repentirs propose un vaste espace de réflexions existentielles et spirituelles dans une langue et avec un art d’écrire au ton juste. C’est une chose rare en ce temps où règnent les diktats de l’éphémère, où le vrai et le faux sont parfois aléatoires comme l’être et le paraître. Cela rappelle qu’entre une idée et sa réalisation, il y a la volonté de créer et le devoir de mettre en œuvre.

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