mercredi 24 mai 2017

Martin Racine
Julien Hébert, fondateur du design moderne au Québec
Montréal, du passage, 2016, 256 p., 34,95 $.

Design industriel ou architecture de l’objet

Quel personnage que le regretté Julien Hébert, père du design moderne au Québec! Replongeons-nous dans l’après-guerre des années 1940 et comprenons que le dernier souci des entrepreneurs, toutes catégories confondues, était l’esthétique de leurs productions. Notre mémoire collective avait oublié le souci des artisans d’autrefois, notamment ceux qui fabriquaient du mobilier, de faire en sorte que leur travail soit non seulement utile et durable, mais aussi qu’il reflète une certaine beauté liée à l’environnement conférée par le matériau, dont la qualité des bois utilisés.




Or, des décennies plus tard, le jeune Hébert, après des études en philosophie et en sculpture à l’École des Beaux-Arts arts de Montréal, ne parvient pas à restreindre son talent et sa passion d’une création intégrée à l’architecture ou au mobilier, un art qui n’a pas encore vraiment de nom au Québec. Il part en France et « frappe à la porte de l’atelier d’Ossip Zadkine » qui l’accueille au sein de sa douzaine d’élèves. Écrire que la chimie entre les deux hommes opère est un euphémisme, car leur façon de comprendre le rôle multidimensionnel de l’art est de même nature. Il suffit de voir les sculptures de J. Hébert et celle de son maître pour comprendre aisément cette proximité.
Le retour au pays de la famille Hébert correspond, à peu près, à la parution de Refus global que signe Borduas, un de ses anciens professeurs. Si l’ouverture sur le monde artistique réclamée par les signataires est bien réelle, allant jusqu’à clamer haut et fort que c’est une véritable révolution sociale qui le permettra, J. Hébert connaît déjà cette liberté grâce à son séjour en Europe. Outre sa rencontre avec Zadkine, les travaux de l’école d’architecture et d’art appliqué du Bauhaus, fondée en Allemagne en 1919, l’ont également profondément marqué.
Comment allier connaissances académiques et pratiques artistiques dans une même esthétique? C’est là une question qui amènera Julien Hébert à créer une nouvelle pratique, celle du design industriel qu’on appelait alors « esthétique industrielle ». Un de ses premiers projets fut la création de chaises d’aluminium recouvertes de tissu; produites à Montréal, celles-ci furent exposées au MoMa de New York.
S’il continue à réfléchir à l’intégration de l’art à la vie quotidienne et à mettre ce concept en pratique, il travaille également sur le terrain en enseignant d’abord « l’histoire de l’art et la sculpture » à l’École des beaux-arts de Montréal, « puis l’aménagement et le design à l’École du meuble », cela avant de devenir «professeur agrégé à l’École de design industriel de l’Université de Montréal» dont il fut un ardent défenseur.
L’ouvrage de Martin Racine, Julien Hébert, fondateur du design moderne au Québec, nous apprend qu’il fut un « pionnier dans l’émergence du design au Québec », qu’il « a marqué les domaines du mobilier, de l’aménagement de l’espace, du design d’exposition, du graphisme, et a été le mentor de nombreux designers, dont Michel Dallaire. Plusieurs de ses œuvres sont célèbres, et certaines sont des jalons marquants de l’espace public: logo d’Expo 67, plafond du Centre national des arts à Ottawa, mobilier et espace du Canada à Expo 67, murales du métro Place-Saint-Henri et de la salle Wilfrid-Pelletier... ».
Une anecdote au sujet de J. Hébert et de son disciple Dallaire : le maître a eu de la difficulté à faire accepter la signature graphique d’Expo 67, devenue aujourd’hui celle du parc Jean-Drapeau, et l’élève, la fameuse torche olympique qu’il a conçue.

La vie et l’œuvre de Julien Hébert sont tout sauf ennuyeuses, et l’ouvrage de Racine nous fait découvrir un parcours personnel et professionnel hors du commun. C’est avec des hommes et des femmes de sa trempe qu’on bâtit un patrimoine culturel durable, ici d’avoir amené dans la modernité la créativité et l’esthétique des artisans d’autrefois.

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